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285. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Cette position de ministre en expectative se prolongea assez longtemps pour M. d’Argenson, qui s’en accommodait fort bien ; on sentait autour de lui qu’il le deviendrait tôt ou tard : « Mes bonnes intentions, dit-il, et des méditations fort sérieuses que j’ai faites sur les affaires d’État, commencent à percer beaucoup dans le monde ; à quoi joignant de la retraite qui me donne de la rareté, cela me fait passer pour un homme singulier dans le bien, et bien des gens qui ne me connaissent que d’imagination me prônent et m’élèvent. » Il lui venait des offres de services ; on lui proposait de le pousser auprès du roi par les domesticités ; des financiers habiles et administrateurs émérites (un M. de Bercy, gendre de l’ancien contrôleur général Desmarets), lui proposaient de servir sous lui en second, de travailler sous ses ordres, ce qu’ils ne feraient avec personne autre, et qu’il se laissât porter au ministère des finances : « Voilà de l’intrigue, car il en faut, ajoute en toute bonhomie M. d’Argenson, et heureusement j’y suis passivement. […] Or, qui deviendrait chancelier de France avec des connaissances d’affaires de l’État pourrait, dans l’âge et les circonstances du règne, devenir premier ministre par la primauté que donne ce ministère. […] Cependant, sans cette faculté, il n’y a point d’homme d’État, il n’y a que des serviteurs mercenaires, intelligents si vous voulez ; mais, n’étant jamais que le centre de leur cercle, ils ne travaillent que pour ce qui est vu, pour ce qui leur fait honneur, pour ce qui leur attire récompense, et tout le reste est négligé et abandonné ; et bientôt le maître clairvoyant se dégoûte de tel serviteur. […] Je trouvai à ce propos que ledit M. de Chauvelin n’était aucunement homme d’Etat comme je l’avais cru, et que ce n’était qu’un courtisan peu intelligent au bonheur de la nation ni aux sentiments que nous devons à l’humanité.

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