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200. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Quand il avait dit d’un homme : « C’est un économiste, et rien de plus », il le croyait jugé et retranché de la sphère des hommes d’État. « Il est bon à faire des mémoires, des journaux, des dictionnaires, ajoutait-il, à occuper les libraires et les imprimeurs, à amuser les oisifs ; mais il ne vaut rien pour gouverner. » Un homme d’État, selon lui, ne devait pas seulement connaître à fond les matières spéciales, mais aussi connaître la matière par excellence sur laquelle il a à opérer, c’est-à-dire le cœur humain. […] Galiani n’avait pas attendu l’éveil et le coup de tocsin de la Révolution française pour se méfier des hommes d’État optimistes et rationalistes, de ces honnêtes gens comme on en a vu sous Louis XVI et depuis, qui oublient trop les vraies, les réelles et toujours périlleuses conditions de toute société politique : Croyez-moi, disait-il, ne craignez pas les fripons, ni les méchants, tôt ou tard ils se démasquent : craignez l’honnête homme trompé ; il est de bonne foi avec lui-même ; il veut le bien, et tout le monde s’y fie ; mais malheureusement il se trompe sur les moyens de le procurer aux hommes. […] Galiani définit son homme d’État « un homme qui a la clef du mystère, et qui sait que le tout se réduit à zéro ». […] Une femme de Paris, Mme Du Bocage, lui avait proposé de remplacer auprès de lui Mme d’Épinay comme correspondante, pour le tenir au courant des choses et des personnes ; il refuse cette distraction et ce soulagement : Il n’y en a plus pour moi, s’écrie-t-il avec un accent qu’on ne saurait méconnaître ; j’ai vécu, j’ai donné de sages conseils, j’ai servi l’État et mon maître, j’ai tenu lieu de père à une famille nombreuse ; j’ai écrit pour le bonheur de mes semblables ; et, dans cet âge où l’amitié devient plus nécessaire, j’ai perdu tous mes amis !

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