François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847.
C’est une chose grave assurément pour un roi que de faire des vers. Il n’est point permis
aux poëtes d’être médiocres ; Horace le leur défend au nom du ciel et de la terre, au nom
des colonnes et des murailles mêmes qui retentissent de leurs vers ; et, d’autre part, la
devise d’un roi, telle qu’elle se lit en lettres d’or chez Homère, et telle qu’Achille la
dictait par avance à Alexandre, consiste à toujours exceller, à être en tout
au-dessus des autres
6. Voilà deux obligations bien hautes, deux royautés difficiles à réunir, et
dont la dernière exclut absolument, chez celui qui en est investi, toute prétention
incomplète et vaine. Hors de l’Orient sacré, je ne sais si l’on trouverait un grand
exemple de ce double idéal confondu sur un même front, et si, pour se figurer dans sa
pleine majesté un roi poëte, il ne faudrait pas remonter au Roi-Prophète ou à son fils. Il
y a eu des degrés toutefois ; ce même Homère, de qui nous tenons l’adieu du vieux Pélée
donnant à son fils cette royale leçon de prééminence et d’excellence généreuse, nous
représente Achille dans sa tente, au moment où les envoyés des Grecs arrivent pour le
fléchir, surpris par eux une lyre à la main et tandis qu’il s’enchante le cœur à célébrer
la gloire des anciens héros. Le moyen fige, comme l’antiquité héroïque, nous offrirait çà
et là de ces heureuses surprises, depuis Alfred pénétrant en ménestrel dans le camp des
Danois, jusqu’à Richard Cœur-de-Lion appuyant à la fenêtre de sa prison la harpe du
trouvère. Le siècle de saint Louis applaudissait aux chansons de Thibaut, roi de Navarre.
En un mot, tant que la poésie a été un chant, tant que la harpe et la lyre n’ont pas été
de pures métaphores, on conçoit cet accident poétique comme une sorte de grâce et
d’accompagnement assorti jusque dans le rang suprême. Mais, du moment que les vers,
ramenés à l’état de simple composition littéraire, devinrent un art plus précis, du moment
que les rimes durent se coucher par écriture, et qu’il fallut, bon gré
mal gré, et nonobstant toutes métaphores, noircir du papier, comme on dit, pour arriver à
l’indispensable correction et à l’élégance, dès lors il fut à peu près impossible d’être à
la fois roi et poëte avec bienséance. Que gagne la gloire du grand Frédéric à tant de
mauvais vers (même quand ils seraient un peu moins mauvais), griffonnés la veille ou le
soir d’une bataille, à chaque étape de ses rudes guerres ? La force d’âme du monarque et
du capitaine, en plus d’une conjoncture terrible, ne serait pas moins prouvée, pour n’être
point consignée dans des pièces soi-disant légères, signées Sans-Souci
et adressées à d’Argens. L’opiniâtre rimeur n’a réussi, par cette dépense de bel esprit,
qu’à introduire, on l’a très-bien remarqué, un peu de Trissotin dans le héros. On sait
qu’un jour Louis XIV aussi s’était avisé de rimer ; c’était sans doute dans le court
instant où il se laissait tenter à cette gloire des ballets et des carrousels, dont un
passage de Britannicus le guérit. Cette fois la leçon lui vint de Boileau,
à qui il montra ses vers en demandant un avis. « Sire, répondit le poëte, rien
n’est impossible à Votre Majesté ; elle a voulu faire de mauvais vers, et elle y a
réussi. »
Louis XIV, avec son grand sens, se le tint pour dit. Richelieu, qui
était presque un roi, s’est donné un ridicule avec ses prétentions d’auteur. A de tels
personnages, chefs et gardiens des États, il est aussi beau d’aimer, de favoriser les arts
et la poésie, que périlleux de s’y essayer directement ; et, plus ils sont capables de
grandeur, plus il y a raison de répéter pour eux la magnifique parole que le poète
adressait au peuple romain lui-même :
Tu regere imperio populos, Romane, memento.Hae tibi erunt arles…..
On aurait tort pourtant et l’on serait injuste d’appliquer trop rigoureusement aux Poésies de François Ier ce que les précédentes observations semblent avoir aujourd’hui d’incontestable. Les vers d’amateur ne sont plus guère de mise eu français depuis Malherbe ; mais Malherbe n’était pas venu. Sans doute si François Ier avait pu lire à un Despréaux n’importe lesquelles de ses épîtres ou même de ses rondeaux, il aurait couru grand risque de recevoir la même réponse que s’attira Louis XIV ; mais il n’y avait pas alors de Despréaux. Les meilleurs poëtes du temps, à commencer par Marot, faisaient bien souvent des vers détestables, de même que les moins bons rimeurs rencontraient quelquefois des hasards assez jolis. Tout le XVIe siècle, à cet égard, nous présente comme un continuel et confus effort de débrouillement. François Ier, dès le jour où il monta sur le trône, donna le signal à ce puissant travail qui devait contribuer à répandre et à polir en définitive la langue française. Grâce à l’impulsion qu’il communiqua d’en haut, ce fut bientôt de toutes parts autour de lui un défrichement universel. Lui-même on le vit des premiers mettre la main à l’instrument. Ce qui eût été, en d’autres temps, une prétention petite, était donc ici une noble erreur, ou plutôt simplement un bon exemple. Qu’on me permette une comparaison qui rendra nettement ma pensée. Il y eut un jour dans la Révolution française où l’on voulut remuer tout d’un coup le Champ de Mars et le dresser en amphithéâtre pour une solennité immense : les bras ne suffisaient pas ; chacun s’y mit, et l’on vit de belles dames elles-mêmes, de très-grandes dames de la veille, manier la pelle et la bûche. Je pense bien que ces mains délicates firent assez peu d’ouvrage ; mais combien elles durent exciter autour d’elles ! Ce fut là en partie le rôle de François Ier poëte, et celui des Valois, y compris plus d’une princesse.
Ce qu’on appelle la Renaissance dans notre Occident constitue
véritablement un des âges par lesquels avait à passer le monde moderne ; cet âge ou cette
saison régnait depuis longtemps déjà en Italie, quand la France retardait encore. Les
expéditions de Charles VIII et de Louis XII avaient rapporté les germes et sourdement mûri
les esprits ; mais rien jusque-là n’éclatait. La gloire de François Ier est d’avoir, à peine sur le trône, senti avant tous ce grand souffle d’un
printemps nouveau qui voulait éclore, et d’en avoir inauguré la venue. Rien ne saurait
donner une plus juste idée du brusque changement qui se fit d’un règne à l’autre que ces
phrases naïves de la mère de François Ier, Louise de Savoie, écrivant
en son Journal : « Le 22 septembre 1314, le roi Louis XII, fort
antique et débile, sortit de Paris pour aller au-devant de sa jeune femme la reine
Marie. »
Et quelques lignes plus bas : « Le premier jour de janvier 1515,
mon fils fut roi de France. »
Son fils, son César pacifique,
ou encore son glorieux et triomphant César, subjugateur des Helvétiens,
comme elle le nomme tour à tour. Ainsi, succédant à ce bon roi
antique
et débile
, et dont les rajeunissements mêmes semblaient un peu surannés
de galanterie et de goût, l’ardent monarque de vingt ans solennisa son entrée comme au
bruit des fanfares et de la trompette. La victoire lui paya la bienvenue à Marignan, et
les poëtes firent écho de toutes parts. Une vive et facile école débutait justement avec
le règne, et saluait pour chef et pour prince le jeune Clément Marot. Le même roi, qui
avait demandé à Bayard de l’armer chevalier, aurait presque demandé au gentil maître
Clément de le couronner poëte. Mais ce n’était point dans de simples rimes que François
Ier faisait consister l’idée et l’honneur des lettres ; il embrassa
la Renaissance dans toute son étendue. Épris de toute noble culture des arts et de
l’esprit, admirateur, appréciateur d’Érasme comme de Léonard de Vinci et du Primatice, et
jaloux de décorer d’eux sa nation, comme il disait, et son règne,
propagateur de la langue vulgaire dans les actes de l’État, et fondateur d’un haut
enseignement libre en dehors de l’Université et de la Sorbonne, il justifie, malgré bien
des déviations et des écarts, le titre que la reconnaissance des contemporains lui
décerna. Son bienfait essentiel consiste moins dans telle ou telle fondation particulière,
que dans l’esprit même dont il était animé et qu’il versa abondamment autour de lui. S’il
restaurait dans Avignon le tombeau de Laure, il semblait en tout s’être inspiré de la
passion de Pétrarque, le grand précurseur, pour le triomphe des sciences illustres. Les
imaginations s’enflammèrent à voir cette flamme en si haut lieu. Montaigne, qui était de
la génération suivante, nous a montré son digne père, homme de plus de zèle que de savoir,
« eschauffé de cette ardeur nouvelle, de quoy le roy François premier embrassa
les lettres et les mit en crédit »
, et l’imitant de son mieux dans sa maison,
toujours ouverte aux hommes doctes, qu’il accueillait chez lui comme
personnes saintes. « Moy, s’empresse d’ajouter le malin, je les aime bien,
mais je ne les adore pas. »
Ce fut cette sorte de culte que François Ier naturalisa en France, et si un peu de superstition s’y mêla d’abord
(comme cela est inévitable pour tous les cultes), dans le cas présent elle ne nuisit pas.
On aime à voir, à quelque retour de Fontainebleau ou de Chambord, le royal promoteur de
toute belle et docte nouveauté, et de la nouveauté surtout qui servait la cause antique,
s’en aller à cheval en la rue Saint-Jean-de-Beauvais jusqu’à l’imprimerie de Robert
Estienne, et là attendre sans impatience que le maître ait achevé de corriger l’épreuve, cette chose avant tout pressante et sacrée. Bien des erreurs et
des rigueurs suivirent sans doute de si favorables commencements et compromirent les
destinées finales du règne ; mais l’élan, une fois donné, suffisait à produire de
merveilleux effets ; les semences jetées au vent pénétrèrent et firent leur chemin en
mille sens dans les esprits ; la politesse greffée sur la science s’essaya, et l’on en
eut, sous cette race des Valois, une première fleur. Voilà de quoi excuser d’avance bien
des mauvais vers, si nous en rencontrons chez le roi poëte ; et, comme circonstance
atténuante, il convient de noter aussi qu’un grand nombre furent écrits dans les ennuis
d’une longue captivité, ce qui, au besoin, les explique et les absout encore. Car
que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?
et
que devenir dans une prison à moins que d’y soupirer et rimer sa plainte ? Le bon René
d’Anjou, captif en sa jeunesse, avait usé ainsi de musique et de vers, en même temps qu’il
peignait aux murailles de sa tour diverses sortes de compositions mélancoliques et
d’emblèmes. Le grand-oncle de François Ier, Charles d’Orléans, en
pareille disgrâce, avait également demandé consolation à la poésie et l’avait fait avec un
rare bonheur de talent. Si François Ier fut loin d’y réussir aussi
bien, l’idée, l’intention du moins était délicate et noble. En toutes choses, il faut
surtout demander à ce prince généreux de nature le premier mouvement et l’intention.
Le recueil des Poésies de François Ier, que vient de publier M. Aimé Champollion, est tiré de trois manuscrits que possède la Bibliothèque du Roi ; l’éditeur en mentionne trois autres qui se trouvent dans le même dépôt, mais qui ne sont que des copies. Un amateur éclairé, M. Cigongne, possède aussi dans sa riche collection un manuscrit qui correspond, pour le contenu, à l’un des trois premiers, et qui paraît en être l’original. Ce manuscrit commence tout simplement par une lettre en prose que le roi prisonnier écrit à une maîtresse dont on ignore le nom :
« Ayant perdu, dit-il, l’occasion de plaisante escripture et acquis l’oubliance de tout contentement, n’est demeuré riens vivant en ma mémoire, que la souvenance de vostre heureuse bonne grace, qui en moy a la seulle puissance de tenir vif le reste de mon ingrate fortune. Et pour ce que l’occasion, le lieu, le temps et commodité me sont rudes par triste prison, vous plaira excuser le fruict qu’a meury mon esperit en ce pénible lieu… »
Cette lettre, avec la pièce de vers qui l’accompagne, se trouve aux pages 42 et 43 de la présente édition ; mais, en la lisant au début, on comprend mieux comment François Ier devint décidément poëte ou rimeur, et comment l’ennui l’amena à développer sinon un talent, du moins une facilité qu’il n’avait guère eu le loisir d’exercer jusqu’alors. Il redit la même chose dans la longue épître où il raconte son partement de France et sa prise devant Pavie :
Car tu sçaiz bien qu’en grande adversitéLe recorder donne commoditéD’aulcun repoz, comptant à ses amysLe desplaisir en quoy l’on est soubmys.
On ne lui reprochera point d’ailleurs de surfaire le mérite de son œuvre ; dans cette même épître, il commence en parlant bien modestement de son escript et de cette idée qu’il a eue de
Cuider coucher en finy vers et mectreUng infiny vouloir soubz maulvais mettre.
L’aveu modeste n’est ici que l’expression d’une rigoureuse vérité : il serait difficile,
en effet, de coucher ses pensées en plus
mauvais
mètre
. L’épître se peut dire une gazette en vers de la force de tant de
chroniques rimées qui avaient cours alors, et dont, au siècle suivant, la Muse
historique de Loret a été la dernière. A titre de témoignage officiel, elle a du
prix. M. A. Champollion, dans le volume qu’il a publié sur la Captivité de François
Ier
7, s’en est utilement servi pour rétablir le vrai sur
quelques particularités contestées ; mais, au point de vue littéraire, que pourrait-on
dire en présence d’une enfilade de vers comme ceux-ci :
De toutes pars lors despouillé je fuz,Mays deffendre n’y servit ne reffuz ;Et la manche de moy tant estiméePar lourde main fut toute despecée.Las ! quel regret en mon cueur fut bouté !
On se rappelle involontairement la belle lettre, de dix ans antérieure, que le roi écrivait à sa mère au lendemain de Marignan, et dans laquelle respire l’ardeur de la mêlée. La teneur en est simple et toute militaire ; les traits mâles, énergiques, rapides, y naissent du récit :
« Et tout bien débattu, depuis deux mille ans en ça n’a point, été vue une si fière ni si cruelle bataille, ainsi que disent ceux de Ravennes, que ce ne fut au prix qu’un tiercelet. Madame, le sénéchal d’Armagnac avec son artillerie ose bien dire qu’il a été cause en partie du gain de la bataille, car jamais homme n’en servit mieux…. Le prince de Talmond est fort blessé, et vous veux encore assurer que mon frère le connétable et M. de Saint-Pol ont aussi bien rompu bois que gentilshommes de la compagnie, quels qu’ils soient ; et de ce j’en parle comme celui qui l’a vu, car ils ne s’épargnoient non plus que sangliers échauffés. »
Marignan était plus fait, sans doute, pour inspirer la verve que Pavie avec ses fers. Mais, dans le dernier cas, l’extrême infériorité du ton tient surtout à une autre espèce d’entraves. Toujours, comme on sait, la prose française eut le pas sur les vers, et il y a entre les deux épîtres de François Ier précisément la même distance qu’entre une page de Villehardouin et n’importe quelle chronique rimée du même Temps.
Il ne suffirait pas de se rejeter sur l’état de la poésie française, à cette date du règne de François Ier, pour expliquer uniquement par cette imperfection générale les singulières faiblesses et le rocailleux plus qu’ordinaire de la veine royale. Sans doute, la poésie alors était fort mêlée, et confuse ; pourtant, dès qu’un vrai talent se rencontre, il sait se faire sentir, et lorsqu’à travers les pièces de François Ier il s’en glisse quelqu’une de Marot, de Mellin de Saint-Gelais, ou même de la reine Marguerite, le ton change notablement, le courant vous porte, et l’on est à l’instant averti. Une grande part du mauvais appartient donc bien en propre à la facture du maître, lequel n’était ici qu’un écolier. Ce ne serait certes pas sa sœur Marguerite qui, au milieu d’une prière en vers adressée au Crucifix, s’aviserait de dire :
O seur ! oyez que respond ce pendu !
Le xvie siècle, même chez les poëles en renom, est trop habituellement sujet à ces accidents fâcheux qui gâtent et, pour ainsi dire, salissent les intentions les meilleures ; mais là encore il y a des degrés, et les vers de François restent trop souvent hors de toutes limites. Si on n’avait de ce prince que les longues épîtres et les pièces de quelque étendue ou même les rondeaux, on serait forcé, sur ce point, de donner raison contre lui à Rœderer, qui s’est attaché à le dénigrer en tout.
Hâtons-nous de reconnaître qu’il y a dans le Recueil quelques agréables exceptions ; il y en a même d’assez heureuses pour faire naître une idée qu’on ne saurait tout à fait dissimuler. Quand on lit de suite et tout d’une haleine cette série d’épîtres plates, de rondeaux alambiqués et amphigouriques, et qu’on tombe sur quelque dizain vif et bien tourné, on est surpris, on est réjoui ; mais il arrive le plus souvent que l’éditeur est oblige de nous avertir qu’il se rencontre quelque chose de pareil dans les œuvres de Marot ou de Saint-Gelais. On est induit alors, même quand le dizain en question ne se retrouve pas chez ces poëtes, à soupçonner que ceux-ci pourraient bien n’y pas être étrangers. En un mot, on est tenté de mettre le petit nombre de bons vers du roi sur le compte du valet de chambre favori, ou plutôt encore sur la conscience de l’aumônier-bibliothécaire (Saint-Gelais), qui s’y trouve mêlé si fréquemment.
Il m’a toujours semblé que ce serait le sujet intéressant d’un petit mémoire que
d’examiner à part le groupe des poëtes rois et princes au xvie
siècle : François Ier et sa sœur
Marguerite, les deux autres Marguerite, Jeanne d’Albret, Marie Stuart, Charles IX, Henri
IV enfin ; car tous ont fait des vers, au moins des chansons. Mais il y aurait à discuter
de près, à démêler le degré d’authenticité de certaines pièces qui ont couru sous leur
nom. Brantôme, qui parle avec de grands éloges du talent poétique de la reine d’Écosse,
nous apprend qu’on lui attribuait déjà, dans le temps, des vers qui ne ressemblaient
nullement à ceux de l’aimable auteur, et qui, selon lui, ne les valaient pas. « Ils
sont trop grossiers et mal polis, disait-il, pour estre sortis de sa belle
boutique. »
Depuis lors on a paré à ce genre d’objection, et c’est plutôt le
trop de poli qui rend aujourd’hui suspecte la prétendue relique d’autrefois. Au
xviiie
siècle, il se glissa plus d’un pastiche dans ces
recueils et Annales poétiques dont les rédacteurs étaient eux-mêmes
faiseurs et peu scrupuleux. M. de Querlon assurait l’abbé de Saint-Léger que la chanson de
Marie Stuart à bord du vaisseau (Adieu, plaisant pays de France) était de
lui. Les beaux vers de Charles IX à Ronsard qui sont partout (L’art de faire des
vers, dût-on s’en indigner…
), où se trouvent-ils cités pour la première fois ?
Où voit-on apparaître d’abord les couplets d’Henri IV sur Gabrielle et sa
chanson à l’Aurore
8 On a là toute une série de petites questions en perspective. Les
autographes imprévus et tardifs (ils semblent sortir de dessous terre aujourd’hui), s’il
s’eu produisait à l’appui des imprimés, devraient être eux-mêmes soumis à examen. Puis,
quand la source originale serait sûrement atteinte, on aurait à discuter encore le degré
de confiance qu’on peut accorder en pareil cas aux royales signatures ; car ces princes et
princesses avaient tout le long du jour à leur côté ; entendant à demi-mot, valets de
chambre, aumôniers et secrétaires, tous gens d’esprit et du métier. Les Bonaventure des
Periers, les Marot, les Saint-Gelais, les Amyot, étaient en mesure de prêter plus d’un
trait à un canevas auguste, et de mettre la main à la demande en même temps qu’à la
réponse. Je ne sais plus quelle dame de la Cour d’Henri III disait à Des Portes, en lui
demandant de la faire parler en vers,
qu’elle envoyait ses pensées au
rimeur
. On sait positivement que c’était là l’usage de la spirituelle
Marguerite, femme d’Henri IV. Son secrétaire Maynard la faisait parler en vers tendres et
passionnés, et lui-même, dans sa vieillesse, a trahi le secret lorsqu’il a dit :
L’âge affoiblit mon discours,Et cette fougue me quitte,Dont je chantois les amoursDe la reine Marguerite.
Au xviiie siècle, n’est-ce pas ainsi encore qu’on voit la duchesse du Maine, dans ses joutes de bel esprit avec La Motte, lui lancer à l’occasion quelque madrigal qu’elle s’était fait rimer par Sainte-Aulaire, par Mlle de Launay ou tel autre poëte ordinaire de sa petite Cour ? On conçoit donc qu’il y aurait dans ce sujet matière à une discussion délicate, et qu’on en pourrait faire un piquant chapitre qui traverserait l’histoire littéraire du xvie . Mais, dans aucun cas, il n’y aurait à en tirer de conclusion sévère et maussade contre les charmants esprits de ces rois et reines, amateurs des Muses. L’honneur de leur suzeraineté, de leur coopération intelligente et gracieuse, resterait hors de cause ; seulement la part du métier reviendrait à qui de droit.
Tant que François Ier fut prisonnier en Espagne, il composa incontestablement sans secours et sans aide de longues épîtres non moins ennuyeuses qu’ennuyées ; à sa rentrée en France, ses vers prirent plus de vivacité, et la joie du retour, sans doute aussi le voisinage des bons poëtes, l’inspira mieux. Gaillard, qui avait feuilleté en manuscrit les Poésies du prince, a noté avec sens les meilleurs vers qu’on y distingue. Je ne rappellerai que ce couplet d’une ballade, qui gagne à être isolé des couplets suivants ; pris à part, c’est un dizain des plus frais et des plus vifs ; on dirait que le rayon matinal y a touché :
Estant seullet auprès d’une fenestrePar ung matin, comme le jour poignoit,Je regarday Aurore, à main senestre,Qui à Phebus le chemyn enseignoit.Et d’autre part m’amye qui peignoitSon chef doré, et viz sez luysans yeulx,Dont me gecta ung traict si gracieulx,Qu’à haulte voix je fuz contrainct de dire :Dieux immortelz ! rentrez dedans vos cieulx,Car la beaulté de ceste vous empire.
Je retourne le feuillet, et je lis à la page suivante cet autre dizain, non moins égayé, mais qui est de Marot :
May bien vestu d’habit reverdissant,Semé de fleurs, ung jour se mist en place,Et quant m’amye il vit tant florissant,De grand despit rougist sa verte face,En me disant : Tu cuydes qu’elle effaceA mon advis les fleurs qui de moy yssent ?Je lui respond : Toutes tes fleurs périssentIncontinant que yver les vient toucher ;Mais en tout temps de ma Dame florissentLes grans vertuz, que mort ne peult sécher.
Le dizain du prince à certainement de quoi lutter en grâce avec celui de Marot ; on ne
peut toutefois s’empêcher de remarquer que, dans le Recueil, l’un est bien
voisin de l’autre ; et, en général, quand on trouve réunis un certain nombre de morceaux
qu’il faut rapporter à Saint-Gelais ou à Marot, c’est presque toujours aux environs de ces
endroits-là que se rencontrent aussi les petites pièces du roi qui peuvent passer pour les
meilleures. On n’est jamais sûr que la ligne de démarcation tombe exactement, et qu’il ne
se soit pas introduit quelque confusion sur ces points limitrophes :
Lucanus an Appulus anceps
9.
Pour ce qui est du joli dizain de l’Aurore en particulier, il paraîtra piquant d’avoir encore à le rapprocher d’une épigramme de Q. Lutatius Catulus, que rapporte Cicéron dans le traité de la Nature des Dieux. C’est une épigramme tout à fait à la grecque, mais la similitude de l’image reste frappante :
Constiteram exorientem Auroram forte salutans,Quum subito a læva Roscius exoritur.Pace mihi liceat, Cœlestes, dicere vestra,Mortalis visus pulchrior esse deo.
Rien de plus naturel à supposer qu’une rencontre d’idées en semblable veine : ce qui ne laisse pas ici de donner à penser, c’est cette petite circonstance qui se retrouve dans les deux pièces, a læva, à main senestre. Est-ce pur hasard ? Serait-ce qu’un roi a pu avoir de ces réminiscences d’érudit ?
Au reste, ce n’est pas nous qui refuserons à François Ier des traits d’emprunt ou de rencontre, des saillies heureuses, des maximes galantes et un peu subtiles, quand il suffit d’un petit nombre de vers pour les exprimer ; il n’y a rien là qui excède la portée de talent qu’on est en droit d’attendre d’un prince spirituel et qui avait eu de tristes loisirs pour s’exercer. On regrette plutôt de n’avoir pas à noter plus souvent chez lui des bagatelles aussi bien tournées que celle-ci par exemple :
Elle jura par ses yeulx et les miens,Ayant pitié de ma longue entreprise,Que mes malheurs se tourneroient en biens ;Et pour cela me fut heure promise.Je crois que Dieu les femmes favorise :Car de quatre yeulx qui furent parjurez,Rouges les miens devindrent, sans faintise ;Les siens en sont plus beaulx et azurez.
Sachons seulement que ce n’est là qu’une très-agréable paraphrase, mais cette fois une paraphrase évidente de ces vers d’Ovide en ses Amours (liv. III, élég. 3) :
Perque suos illam nuper jurasse recordor,Perque meos oculos ; et doluere mei.
Voici encore un sixain délicat, où le doux nenny est aux prises avec le sourire ; nous le donnons ici dans toute sa correction :
Le desir est hardy, mais le parler a honte ;Son parler tramble et fuyt, l’aultre en fureur se monte ;L’ung fainct vouloir ung gaing, dont il souhaite perte ;L’ung veult chose cacher que l’aultre fait apperte ;L’ung s’offre et va courant, l’aultre mentant refuse :Voyez la pauvre femme en son esprit confuse.
L’épitaphe d’Agnès Sorel est connue ; rien n’empêche de croire à cette improvisation de cinq vers, et de nouveaux témoignages recueillis par M. Vallet de Viriville doivent, nous dit-on, en confirmer l’authenticité. Mais M. Champollion a conjecturé judicieusement, selon moi, que la pièce en tercets : Doulce, plaisante, heureuse et agréable nuict (page 150), est trop compliquée pour être du monarque. J’ajouterai, comme raison à l’appui, que cette espèce de chanson est traduite de l’Arioste10 et elle l’a été depuis encore par d’autres poëtes du xvie siècle, par Olivier de Magny et Gilles Durant. Le chanteur remercie la nuit d’avoir favorisé son entreprise amoureuse, et il part de là pour dénombrer et décrire avec complaisance chaque détail de son aventure. Mellin de Saint-Gelais, qui le premier a donné en français d’autres imitations en vers de l’Arioste, a dû tremper dans celle-ci. Un tel travail de traduction suppose en effet une application littéraire qui tient au métier. Un roi peut rimer et fredonner ses propres saillies, mais il ne s’amuse guère à traduire celles des autres11.
Et on me permettra d’indiquer ici une observation qui s’étend à toute la poésie française
du xvie
siècle, et qui en détermine un caractère. Ce qui
arrive lorsque, lisant des vers de roi et de prince et les trouvant agréables, on se dit
involontairement : « Mais n’y a-t-il point là un secrétaire-poëte caché
derrière ? »
on peut le répéter avec variante en lisant tout autre poëte du même
siècle ; toujours on peut se demander, quand il s’y présente quelque chose de frappant ou
de charmant : « Mais n’y a-t-il point là-dessous quelque auteur traduit, un ancien
ou un italien ? »
Prenez garde en effet, cherchez bien, rappelez vos souvenirs,
et tantôt ce sera l’Arioste ou Pétrarque, tantôt Théocrite, ou tel auteur de
l’Anthologie, ou tel italien-latin du xve
siècle. Enfin, avec les écrivains français de cette époque, on est sans cesse exposé à les
croire originaux, si on n’est pas tout plein des anciens ou des modernes d’au-delà des
monts. Ils traduisent sans avertir, comme, aux figes précédents, on copiait les textes
latins des anciens sans avertir non plus et sans citer. Abélard ramassait, chemin faisant,
dans son texte, des lambeaux de saint Augustin. On était bien loin d’agir ainsi dans une
pensée de plagiat ; mais la lecture, la science, semblait alors une si grande chose,
qu’elle se confondait avec l’invention ; tout ce qui arrivait par là était de bonne prise.
Quand, au lieu de copier, on en vint à traduire, on se sentit encore plus autorisé, et
l’on prit de toutes mains, en disant les noms des auteurs ou en les taisant,
indifféremment.
L’imitation et la traduction, par voie ouverte ou dérobée, sont des procédés inhérents à
toutes les phases de la Renaissance. On les pourrait signaler jusque chez les troubadours
provençaux, et Bernard de Ventadour, par exemple, ne se fait faute de traduire Ovide ou
Tibulle. Mais, à cet égard, le xvie
siècle en France
dépasse tout. Dans l’estime du temps, traduction en langue vulgaire équivalait, ou peu
s’en faut, à invention. Montaigne a résumé avec originalité cette habitude d’appropriation
savante dans son style tout tissu, en quelque sorte, de textes anciens : « Il fault
musser, dit-il, sa foiblesse soubz ces grands crédits. »
Quant aux poëtes
d’alors, ils n’y entendent point malice à beaucoup près autant que Montaigne, et ils sont
aussi bien moins créateurs que lui ; ils y mettent moins de pensées de leur cru ; mais
souvent, quand le fonds les porte, ils ont l’expression heureuse, forte ou naïve, et une
véritable originalité se retrouve par là. On y est trompé, on se met à les applaudir et à
les louer précisément pour ce qu’ils ont emprunté d’autrui. Ils ne méritent qu’une part de
l’éloge, qui doit presque toujours remonter plus haut. Je noterai seulement trois ou
quatre points de détail, qui donneront à mon observation son vrai sens et toute sa
portée.
On vient de voir dans les Poésies de François Ier qu’une des pièces qu’on y distingue pour la chaleur de ton et le mouvement se trouve être une traduction de l’Arioste. La jolie chanson de Des Portes si connue de toute la fin du siècle, Ô nuit, jalouse nuit, qui est la contre-partie de cette première chanson, et dans laquelle le poëte maudit la nuit pour avoir contrarié par son trop de clarté les entreprises de l’amant, est de même une traduction de l’Arioste, et rien dans les éditions du temps n’en avertit. Peu importait en effet. Les hommes instruits d’alors savaient cela sans qu’on le leur dît, et ils n’en admiraient que plus le traducteur.
Vous ouvrez Baïf, le plus infatigable translateur en vers et qui ne laisse rien passer des anciens sans le reproduire bien ou mal ; mais quelquefois il vous semble se reposer, il parle en son nom ; il a ses gaietés gauloises, on le jurerait, et ses propres gaillardises. Il nous dira dans une épigramme qui a pour titre : De son amou r :
Je n’aime ny la pucelle,Elle est trop verte…
Je renvoie au feuillet 15 des Passe-temps. Pour le coup, on croit avoir saisi chez le savant un aveu, une pointe de naturel, un grain de Rabelais. Mais non : ce n’est là qu’une traduction encore d’une épigramme d’Orestes qu’on peut lire dans l’Anthologie 12, et que Grotius a aussi traduite. Il est vrai que, si l’on compare, Grotius a bien moins réussi que Baïf.
Dans un tout autre genre, on connaît et l’on estime les comédies de Larivey. Il les donne
pour les avoir faites à
l’imitation des anciens grecs, latins et modernes
italiens
voilà qui est franc ; mais, en ces termes généraux, l’indication
reste bien vague. Que sera-ce si l’on regarde de près ? Grosley a déjà très-bien remarqué
que ce Larivey, sous son air champenois, fils naturel d’un des Giunti, fameux imprimeurs italiens, avait tourné et comme parodié en
français le nom de son père (l’arrivé, advena). Eh bien, ce qu’il a fait
dans son nom, il l’a fait dans ses œuvres ; il a traduit les pièces de théâtre que
publiaient à Florence ou ailleurs ses parents les Giunti. Il les a rendues avec esprit,
avec liberté et naturel, mais textuellement. Grosley avait noté le fait pour la comédie
des Tromperies, littéralement traduite des Inganni de Nicolo
Secchi. Il en est de même de la pièce qui a pour titre la Veuve ; il l’a
prise tout entière, sauf quelques suppressions, de la Vedova de Nicolo
Buonaparte, bourgeois florentin et l’un des ancêtres, dit-on, des Bonaparte : cette
Vedova originale avait paru chez les Giunti de Florence, en 1568.
Les Jaloux encore sont traduits de i Gelosi, comédie de
Vincenzo Gabiani, gentilhomme de Brescia. De plus érudits, en y regardant, diraient sans
doute la source des autres pièces, qui doivent être le produit facile d’une seule et même
méthode13.
Voilà certes Larivey fort rabaissé comme ancêtre de Molière ; il lui reste l’honneur
d’avoir été l’un des bons artisans du franc et naïf langage.
Mais, dira-t-on, c’est surtout l’école érudite, celle de la seconde moitié du xvie
siècle, qui procède ainsi ; la génération antérieure, qui se
rattache à Marot et à l’époque de François Ier, est moins sujette à
cette préoccupation constante et à cet artifice. Je l’accorderai sans peine ; et pourtant,
là aussi, on marche à chaque pas sur des traductions et des imitations indiquées ou
sous-entendues. Je prends le petit recueil des Poésies de Bonaventure dès
Periers, le poëte valet de chambre de Marguerite de Navarre ; j’y cherche et j’y glane à
grand’peine quelques bons vers ou du moins quelques vers passables ; mais tout d’un coup
une jolie pièce m’arrête et me réjouit : les Roses, dédiées à Jeanne,
princesse de Navarre, qui sera la mère d’Henri IV. De prime abord, c’est d’un coloris
neuf et charmant.
Un jour de may, que l’aube retournéeRefraischissoit la claire matinéeD’un vent tant doulx….
un matin donc, le poëte se promène
au grand verger, le long du
pourpris
; il y voit sur les feuilles les gouttes de rosée toutes fraîches,
rondelettes,
et il les décrit à ravir. Il nous rend en vers
gracieux les nuances et les parfums d’un beau jour naissant :
L’aube duquel avoit couleur vermeilleEt vous estoit aux roses tant pareilleQu’eussiez doublé si la belle prenoitDes fleurs le tainet, ou si elle donnoitLe sien aux fleurs, plus beau que nulles choses :Un mesme tainat avoient l’aube et les roses.
Une réminiscence nous vient ; mais c’est Ausone, ce sont ses Roses elles-mêmes, cette délicieuse idylle qu’il nous a léguée, lui, le dernier des anciens :
Ambigeres, raperetne rosis Aurora ruborem,An darel, et flores tingeret orta dies.
Le vieux rimeur n’a pas indiqué son larcin, il l’a même recouvert assez ingénument quand il traduit le
Vidi Pœstano audere rosaria cultu,
par
……. Là veis semblablementUn beau laurier accoustré noblementPar art subtil, non vulgaire ou commun,Et le rosier de maistre Jean de Meun.
Les rosiers de Paestum traduits par celui de Jean de Meun, c’est ce qu’on peut appeler greffer la fleur antique sur la tige gauloise. La Fontaine usait heureusement de ce procédé-là.
Les derniers vers de la pièce ont été cités une fois par M. Nodier14, qui s’est complu a y voir un caractère original ; ils rappellent naturellement ceux de Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose… L’un et l’autre poëte avaient chance de se rencontrer, puisqu’ils avaient en mémoire le même modèle. Bonaventure des Periers, après avoir décrit, mais bien moins distinctement qu’Ausone, les vicissitudes rapides de chaque âge des rosés, conclut comme lui :
…….Vous donc, jeunes fillettes,Cueillez bien tost les roses vermeillettesA la rosée, ains que le temps les vienneA deseicher : et tandis vous souvienneQue ceste vie, à la mort exposée,Se passe ainsi que roses ou rosée.
Collige, virgo, rosas, dum flos novus et nova pubes,Et memor esto aevum sic properare tuum.
La rosée ajoutée aux roses par le vieux poëte français est une grâce de plus, que la rime seule peut-être lui a suggérée. Bonaventure des Periers était moins heureux tout à côté, lorsque, essayant de traduire en vers blancs la première satire d’Horace : Qui fit, Mæcenas …, il disait, en la dédiant à son ami Pierre de Bourg : « D’où vient cela, mon amy Pierre, que jamais nul ne se contente de son estat ? » L’imitation de l’antique, au xvie siècle, ne saurait durer bien longtemps sans détonner ; et, bon gré mal gré, on se reprend à dire avec Voltaire : « Nous ne sommes que des violons de village auprès des anciens. »
Revenons à nos poésies. La protectrice de Bonaventure des Periers, la reine de Navarre, y tient une grande place. A tout instant elle adresse épîtres ou rondeaux à son frère, et celui-ci lui répond. Le talent de l’illustre sœur est incomparablement d’un autre ordre que celui du roi, et, chaque fois que c’est elle qui prend la plume, le lecteur le sent à la fermeté du ton et à une certaine élévation de pensée. Il ne faut pourtant pas s’attendre, même de sa part, à une délicatesse de goût qui n’existait pas alors, ni à une longue suite de bons vers, tels qu’il n’était donné d’en produire, à cette date, qu’à la seule veine fluide de Marot. Écrivant au roi pendant une grossesse, Marguerite débutera en ces mots :
Le groz ventre trop pesant et massifNe veult souffrir au vray le cueur naïfVous obeyr, complaire et satisfaire…
Dans les désastres et les rudes épreuves qu’eut à supporter son frère, elle le comparera tantôt à Énéas et tantôt à Jésus-Christ, de même qu’elle s’écriera, cri parlant de Madame d’Angoulême, leur mère, qui est restée courageusement au timon de l’État :
À-t-elle eu peur de mal, de mort, de guerre,Comme Anchises qui délaissa sa terre ?
Elle se dira elle-même aussi infortunée que Créuse dans l’incendie troyen, puisqu’elle s’est trouvée impuissante à suivre et à servir ceux qu’elle aime. D’heureux vers rachètent ces associations bizarres et ces images tirées de si loin. Toujours c’est aux meilleurs et aux plus généreux sentiments de son frère qu’elle s’adresse ; c’est le culte de l’honneur qu’elle échauffe et qu’elle entretient en lui :
Mais toy, qui as toujours foy conservéeEt envers tous ta constance observée,Rendant content Dieu et ta consciencePar ta vertu, doulceur, foy, pacience,Tenant à tous parole et vérité,Honneur tu as, non ennuy mérité.
Elle le loue de sa clémence envers les révoltés de La Rochelle ; elle l’admire avec exaltation surtout pour sa loyale conduite et ses chevaleresques représailles envers Charles-Quint, son grand ennemi, lorsqu’il le fêta si royalement durant ce hasardeux passage à travers la France :
L’Ytalien à grand peine l’a creu,Car la bonté, qui de Dieu est venue,De l’infidelle est tousjours incongnue.Celluy qui est de la foy devestuNe peult louer en aultre sa vertu.Or, dites-moi, qu’esse que Dieu demande ?Qu’esse que tant il loue et recommande ?C’est rendre bien pour mal, voire et aymerSon ennemy : qui est le plus amerEt dur morceau qui soit en l’Escripture,D’autant qu’il est contre nostre nature.Le Roy l’a faict, et si l’a accomply :Ce dont le cueur, s’il n’est de Dieu remply,Plustost mourroit que de s’y accorder.Je me tairay du surplus recorder.Qui faict le plus, il fera bien le moings :Son cueur est pur et nettes sont ses mains.
François Ier répondait d’avance à ces dignes éloges, lorsque, de sa prison d’Espagne, il lui écrivait dans une chanson :
Cuer resolu d’aultre chose n’a cureQue de l’honneur.Le corps vaincu, le cueur reste vainqueur15
Est-il besoin de faire remarquer l’intention de ces allitérations, assonances et consonnances : cuer, cure, corps, cueur, vainqueur ? La poésie du xvie siècle est pleine de ces vestiges d’une versification antérieure. On lit à la page 12 du présent Recueil :
Ne nul plaisir que nature nous donneNe nous est riens, si bientost ne retourne.
La rime n’y est pas, mais il y a assonance comme chez les anciens trouvères.
A défaut de beaux vers, ce sont là de hauts sentiments, et ils se font écho dans cette correspondance rimée entre le roi et sa sœur.
On s’est fort occupé de Marguerite dans ces derniers temps, et les publications réitérées
dont elle a fourni le sujet l’ont de plus en plus mise en lumière. Les railleries à la
Brantôme et les demi-sourires, dont on pouvait jusqu’alors s’accorder la fantaisie en
prononçant le nom de l’auteur de l’Heptamèron, ont fait place peu à peu à
une appréciation plus sérieuse et plus fondée. A travers les conversations galantes et
libres qui étaient le bon ton du temps et où elle tenait le dé, on ne saurait méconnaître
désormais en elle ce caractère élevé, religieux, de plus en plus mystique en avançant,
cette faculté d’exaltation et de sacrifice pour son frère, qui éclate à tous les instants
décisifs et qui fait comme l’étoile de sa vie. La duchesse d’Angoulême et ses enfants,
Marguerite et François, s’aimaient tous les trois passionnément ; c’était, comme le dit
Marguerite, un parfait
triangle
, et une vraie
trinité.
Les expressions triomphantes dont est rempli le
Journal de la mère du roi, et qui rappellent le
Latonæ
pertentant gaudia pectus
, se reproduisent dans les lettres et dans les vers
de sa sœur. Ces deux femmes idolâtrent ce roi de leur sang dont elles sont glorieuses ;
elles débordent sitôt qu’elles parlent de lui. La mère écrit à son fils captif comme
madame de Sévigné à sa fille absente : « A ceste heure… je cuyde sentir en
moy-mesme que vous seuffrez. »
Marguerite se représente aussi comme une autre
mère pour ce frère bien-aimé, quoiqu’elle n’ait que deux ans plus que lui ; et, le
revoyant après une séparation, elle croit lire dans son seul regard toute une tendre
allocution, qu’elle se traduit de la sorte à elle-même :
…….. « C’est celluy que d’enfanceTu as veu tien, tu le voys et verras ;Ainsy l’a creu et le croys et croirras.Ne crains donc, sœur, par crainte ne diffère ;Je suis ton roy, aussy je suis ton frère.Frère et petit n’as craint de me tenirEntre tes bras ; ne crains donc de venirEntre les miens, qui suis grand et ton roy :Car en croissant croist mon amour en moy. »
Ainsy parla l’œil plain de charité,Et voz deux bras dirent : C’est veritté16.
Un éditeur instruit17, qui, dans un premier travail, avait jugé fort sainement, selon nous, de Marguerite, a cru devoir revenir sur ce jugement dans une seconde publication, et il a été conduit par une interprétation laborieuse à dénoncer dans le cœur de cette princesse je ne sais quel sentiment fatal et mystérieux, dont son frère aurait été l’objet. Mais la lettre qui, par ses termes obscurs, avait fourni matière à l’équivoque, a été depuis lors éclaircie, rapportée à sa vraie date, et une explication naturelle l’a replacée au nombre des témoignages de dévouement que Marguerite prodigua à son frère durant sa captivité. Cette lettre n’offre rien d’ailleurs de plus expressif que ce qu’on lit en maint endroit du présent Recueil :
Ô quelle amour ! et qui jamais l’eust creue !Qui en absence est augmentée et creue ;Là où jamais changement n’ay trouvé ;Tel vous ay creu, tel vous ay éprouvé !
Dans un voyage qu’elle faisait en litière durant la semaine sainte de 1547, accourant en toute hâte auprès de son frère malade, Marguerite accusait la lenteur du transport, et, dans une chanson composée le long du chemin, elle s’écriait d’un bond de cœur impétueux :
Avancés-vous, hommes, chevaulx,Asseurés-moi, je vous supplye,Que nostre Roy, pour ses grands maulx,A receu santé accomplie :Lors seray de joye remplye.Las ! Seigneur Dieu, esveillés-vous,Et vostre œil sa doulceur desplye,Saulvant vostre Christ et nous tous !
De telles expressions de mysticité se mêlent perpétuellement à la profession de sa tendresse pour son frère. Il faut y faire la part du goût, et puis reconnaître aussi que, pour Marguerite, c’était une dévotion réellement que l’affection fraternelle. Comme mouvement bien sincère de piété non moins que de poésie, je signalerai un très-bel et très-vif élan de prière à Dieu, père de Christ (page 181) ; le jet de l’oraison s’y soutient d’un bout à l’autre ; c’est un curieux exemple de verve puritaine à cette époque.
Après cela, si l’on s’étonnait, si l’on souriait encore de voir cette Marguerite si fort en contraste avec la première idée qu’on se fait de l’auteur des Contes et nouvelles, nous répondrions que notre impression ne s’est formée que sur la lecture des pièces qui attestent la suite sérieuse de ses pensées. Nous n’ignorons pas que les plus confidentielles même de ces pièces écrites ne disent jamais tout ; nous savons que le xvie siècle particulièrement avait ses grossièretés, et que le cœur humain a, de tout temps, allié bien des contraires. Il serait donc téméraire et presque ridicule de venir répondre de l’ensemble d’une vie et d’en garantir après coup les accidents. Qu’il suffise d’avoir saisi la teneur et l’habitude élevée d’une âme durant les longues et définitives années18.
Le Recueil publié par M. Champollion donne, à la suite des vers, une soixantaine de lettres en prose, écrites par François Ier ou à lui adressées, et presque toutes de galanterie. Une note en marge d’un manuscrit attribue plusieurs de ces lettres à Diane de Poitiers. M. Champollion, en reproduisant ce nom de Diane, est le premier à faire remarquer que la supposition offre peu de certitude et de vraisemblance. Il n’y en a aucune en effet ; Diane n’a jamais passé pour être avec François Ier dans de telles relations. De plus, les lettres de la maîtresse anonyme trahissent une situation menacée ; il y est question de haines, de calomnies. On sent une favorite dont l’astre baisse ; et celui de Diane montait au contraire. Ces lettres contiennent, au reste, assez d’indications indirectes pour qu’en s’y appliquant on ait le moyen peut-être d’en déterminer la source. Mais en valent-elles la peine ? Comme échantillon du style bizarre et alambiqué, je citerai une lettre de François Ier, que le Recueil met à l’adresse de la duchesse d’Alençon, c’est-à-dire de Marguerite. Comprenne qui pourra ce jargon. L’hôtel Rambouillet n’a pas inventé, comme on va le voir, le style des précieuses :
« Un chascun se sçait esjouir, ma mignonne, de son ayse ; mais celuy qui l’a, a tant forte querelle, qu’elle a anticippé et occuppé toute demonstration, si qu’il se peult dire le sentir parfaictement. Par quoy, puisque par cette raison je ne puis, encores moins doibs-je faire tant d’injure à ma felicité que de l’obliger et soubsmettre à la foiblesse de ma pleume. Seullement le peult sçavoir vostre esprit et amour pour estre perpetuellement escripte au pappier de vostre chair, par l’ancre de vostre sang ; commung à vous C. A.19. »
Les Poésies de François Ier, fort louées de son vivant, rentrèrent dans l’obscurité après lui ; elles y restèrent, et personne alors ne songea à les publier. M. Champollion a relevé cet oubli, qui tient à plus d’une cause. D’abord ces poésies, en général, sont décidément mauvaises, et les contemporains se doutent toujours bien un peu de ces choses-là, même quand ils ne le disent pas. Puis le goût changea brusquement à la mort de François Ier. Les beaux esprits de sa génération, les Marot, les Bonaventure des Periers, l’avaient précédé dans la tombe ; sa sœur Marguerite le suivit de près. Le seul Mellin de Saint-Gelais survécut, mais il avait assez à faire de se maintenir lui-même contre le flot des poëtes survenants. Dans les dernières années de François Ier, l’influence de Marguerite, celle même de la duchesse d’Étampes, favorisaient à la cour une sorte de poésie semi-calviniste ; les courtisans chantaient les psaumes de Marot ; Diane de Poitiers, en arrivant à la pleine puissance, désira d’autres chansons, et le cardinal de Lorraine, bon catholique, fut de son avis. La jeune école païenne de Ronsard s’offrait, et elle leur convint d’autant mieux par le contraste. Henri II personnellement aimait peu les lettres, et il est à cet égard le plus terne de tous les Valois ; mais sa sœur, la seconde Marguerite, qui devint duchesse de Savoie, se déclara hautement protectrice de la jeune bande. Le passé fut rayé d’un trait et comme non avenu. Les Poésies de François Ier eussent reparu assez hors de propos en cette ère nouvelle. On mit en oubli bien d’autres productions de la veille plus dignes de survivre, et dans un recueil des Marguerites poétiques, espèce d’Anthologie finale qui résume la fleur du xvie siècle20, je ne vois point qu’à l’article Roses on ait daigné se souvenir de cette pièce si gracieuse de Bonaventure des Periers. La seconde moitié du siècle écrasa la première.
Aujourd’hui on doit des remerciements à M. Aimé Champollion, pour avoir exhumé et mis au
jour cet ensemble des royales poésies. Historiquement, je l’ai dit, elles ont leur intérêt
et même leur importance ; au point de vue littéraire, je doute fort qu’elles ajoutent
beaucoup à la réputation de François Ier. La discrétion, le choix,
c’est là le secret de l’agrément en littérature, et l’esprit qui préside aux informations
historiques obéit à des conditions différentes. Le moment serait pourtant venu, je le
crois, de dresser une Anthologie française véritable, et d’y apporter à la fois la
sévérité de l’érudition et celle du goût. Il y aurait avant tout à faire un travail
philologique de révision ; car il est incroyable à quel point les textes de ces vieilles
poésies se sont corrompus ; l’incorrection des copies ou des impressions s’est ajoutée à
celle de la langue pour embrouiller le sens de certaines pièces, qui, bien rétablies,
pourraient paraître ingénieuses. Nos Analecta auraient besoin par moments
de la sagacité d’un Brunck ou d’un Jacobs ; mais des esprits de cette trempe ne
croiraient-ils pas s’y rabaisser ? Quoi qu’il en soit, une honnête mesure d’exactitude et
de finesse suffirait à l’œuvre. En ce qui est du xvie
xvie
siècle, on ne saurait se flatter,
dans une telle Anthologie, d’édifier un Temple du Goût, mais on y figurerait très-bien un
Temple de la Grâce. Chaque auteur y entrerait, selon son rang, avec un bagage très-allégé.
Pour le choix du bagage, on devrait être rigoureux, mais avec tact, et ne pas imiter ce
compilateur21 qui, en introduisant Rémi
Belleau, n’eut d’autre soin que d’omettre la pièce d’Avril, précisément la
perle du vieux poëte ; il y a des faiseurs de bouquets qui ont la main heureuse ! Dans un
tel Temple de la Grâce, Marot présiderait le groupe entier de ses contemporains pour le
règne de François Ier ; Louise Labé, à côté de lui, tiendrait la
guirlande, au-dessus même de Marguerite. Bonaventure des Periers n’y entrerait qu’avec une
seule pièce, Gohorry, avec une seule stance ; le bon jurisconsulte Forcadel, un peu
étonné, s’y verrait admis pour avoir une seule fois, je ne sais comment, réussi dans un
dialogue
rustique amoureux
, traduit de Théocrite. François Ier y serait comme roi, pour l’esprit vivifiant qu’il répandit autour de
lui, pour les sourires et les rayons qu’il prodigua avec grâce ; mais, en fait de vers de
sa façon, il n’en aurait guère présents qu’une vingtaine au plus, ce qu’il en pourrait
écrire en se jouant sur une vitre, comme il fit une fois à Chambord.