(1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542
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(1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MARIA » pp. 538-542

MARIA

….. In comptum Lacænæ

More comas religata noduœ

A M. DE LURDE.

Sur un front de quinze ans la chevelure est belle,
Elle est de l’arbre en fleur la grâce naturelle,
Le luxe du printemps et son premier amour :
Le sourire la suit et voltige alentour ;
La mère en est heureuse, et dans sa chaste joie
Seule en sait les trésors et seule les déploie ;
Les cœurs des jeunes gens, en passant remués,
Sont pris aux frais bandeaux décemment renoués ;
Y poser une fleur est la gloire suprême :
Qui la pose une fois la détache lui-même.
Même aux jeunes garçons, sous l’airain des combats,
La boucle à flots tombants, certes, ne messied pas :
Qu’Euphorbe si charmant, la tête renversée,
Boive aux murs d’Ilion la sanglante rosée,
C’est un jeune olivier au feuillage léger,
Qui, tendrement nourri dans l’enclos d’un verger,
N’a connu que vents frais et source qui s’épanche,
Et, tout blanc, s’est couvert de fleurs à chaque branche ;
Mais d’un coup furieux l’ouragan l’a détruit ;
Il jonche au loin la terre, et la pitié le suit.
Quand une vierge est morte, en ce pays de Grèce,
Autour de son tombeau j’aperçois mainte tresse,
Des chevelures d’or avec ces mots touchants :
« De l’aimable Timas, ou d’Érinne aux doux chants,
La cendre ici repose ; à l’aube d’hyménée,
Vierge, elle s’est sentie au lit sombre entraînée.
Ses compagnes en deuil, sous le tranchant du fer,
Ont coupé leurs cheveux, leur trésor le plus cher.
Et que fait parmi nous, dans sa ferveur sacrée,
Héloïse elle-même, Amélie égarée,
Celle qui, sans retour, va se dire au Seigneur ?
Dès la grille, en entrant, elle a livré l’honneur
De son front virginal au fer du sacrifice,
Pour être sûre enfin que rien ne l’embellisse,
Que rien ne se dérobe à l’invisible Époux.
Du rameau sans feuillage aucun nid n’est jaloux252.
Or, puisque c’est l’attrait dans la belle jeunesse
Que ce luxe ondoyant que le zéphir caresse,
Et d’où vient jusqu’au sage un parfum de désir,
Je veux redire ici, d’un vers simple à plaisir,
Non pas le jeu piquant d’une boucle enlevée,
Mais sur un jeune front la grâce préservée.
« J’étais, me dit un jour un ami voyageur,
D’un souvenir lointain ressaisissant la fleur,
J’étais en Portugal, et la guerre, civile,
Tout d’un coup s’embrasant, nous cerna dans la ville :
C’est le lot trop fréquent de ces climats si beaux ;
On y rachète Éden par les humains fléaux.
Le blocus nous tenait, mais sans trop se poursuivre ;
Dans ce mal d’habitude, on se remit à vivre ;
La nature est ainsi : jusque sous les boulets,
Pour peu que cela dure, on rouvre ses volets ;
On cause, on s’évertue, et l’oubli vient en aide ;
Le marchand à faux poids vend, et le plaideur plaide ;
La coquette sourit. Chez le barbier du coin,
Un Français, un Gascon (la graine en va très-loin),
Moi j’aimais à m’asseoir, guettant chaque figure :
Molière ainsi souvent observa la nature.
Un matin, le barbier me dit d’un air joyeux :
« Monsieur, la bonne affaire ! (et sur les beaux cheveux
D’une enfant là présente et sur sa brune tête
Il étendait la main en façon de conquête),
Pour dix francs tout cela ! la mère me les vend.
— Quoi ? dis-je en portugais, la pitié m’émouvant,
Quoi ? dis-je à cette mère empressée à conclure,
Vous venez vendre ainsi la plus belle parure
De votre enfant ; c’est mal. Le gain vous tente : eh ! bien,
Je vous l’achète double, et pour n’en couper rien.
Mais il faut m’amener l’enfant chaque semaine :
Chaque fois un à-compte, et la somme est certaine. »
Qui fut sot ? mon barbier. Il sourit d’un air fin,
Croyant avoir surpris quelque profond dessein.
La mère fut exacte à la chose entendue :
Elle amenait l’enfant, et je payais à vue.
Puis, lorsqu’elle eut compris que pour motif secret
Je n’avais, après tout, qu’un honnête intérêt,
Elle me l’envoya seule ; et l’enfant timide
Entrait, me regardait de son grand œil humide,
Puis sortait emportant la pièce dans sa main.
A force toutefois de savoir le chemin,
Elle s’apprivoisa : — comme un oiseau volage
Que le premier automne a privé du feuillage,
Et qui, timidement laissant les vastes bois,
Se hasarde au rebord des fenêtres des toits ;
Si quelque jeune fille, âme compatissante,
Lui jette de son pain la miette finissante,
Il vient chaque matin, d’abord humble et tremblant,
Fuyant dès qu’on fait signe, et bientôt revolant ;
Puis l’hiver l’enhardit, et l’heure accoutumée :
Il va jusqu’à frapper à la vitre fermée ;
Ce que le cœur lui garde, il le sait, il y croit ;
Son aile s’enfle d’aise, il est là sur son toit ;
Et si, quand février d’un rayon se colore,
La fenêtre entr’ouverte et sans lilas encore
Essaye un pot de fleurs au soleil exposé.
Il entre en se jouant, innocent et rusé ;
Il vole tout d’abord à l’hôtesse connue,
En sons vifs et légers lui rend la bienvenue,
Et becquête son doigt ou ses cheveux flottants,
Comme un gai messager des bonheurs du printemps.
Telle de Maria (c’était ma jeune fille)
Jusqu’à moi, du plus loin, la caresse gentille
Souriait, s’égayait, et d’un air glorieux
Elle accourait montrant à deux mains ses cheveux.
Je pourrais bien ici faire le romanesque,
Vous peindre Maria dans la couleur mauresque,
Quelque gitana fière, à l’œil sombre, au front d’or ;
Mais je sais peu décrire et moins mentir encor.
Non, rien de tout cela, sinon qu’elle était belle,
Belle enfant comme on l’est sous ce climat fidèle,
Comme l’est tout beau fruit et tout rameau vermeil
Prêt à demain éclore au pays du soleil.
Elle avait jusque-là très-peu connu sa grâce ;
Elle oubliait son heure et que l’enfance passe.
L’intérêt délicat qu’un regard étranger
Marquait pour les trésors de son front en danger
Éveilla dans son âme une aurore naissante :
Elle se comprit belle, et fut reconnaissante.
Pour le mieux témoigner, en son charme innocent,
La jeune fille en elle empruntait à l’enfant ;
Ses visites bientôt n’auraient été complètes
Sans un bouquet pour moi de fraîches violettes,
Qu’elle m’allait cueillir, se jouant des hasards,
Jusque sous les boulets, aux glacis des remparts.
« Souvenir odorant, même après des années !
Violettes d’un jour, et que rien n’a fanées !
J’ai quitté le pays, j’ai traversé des mers ;
Ce doux parfum me suit parmi d’autres amers.
Toujours, lorsqu’en courant je me surprends encore
A contempler un front que son avril décore,
Un cou d’enfant rieuse élégamment penché,
Un nœud de tresse errante à peine rattaché,
Toujours l’idée en moi renaît pure et nouvelle :
Sur un front de quinze ans la chevelure est belle. »

FIN