Chateaubriand, Mémoires
Nous sommes dans un temps où tout se hâte, se divulgue, et où la parole n’attend pas. L’événement d’hier est déjà de la chronique, de la poésie ou de l’histoire ; l’œuvre de demain s’anticipe impatiemment, et la curiosité la dévore. On a goûté, le matin, ce qui fait l’objet d’un souvenir, et avant le soir on le raconte, on le chante.
Et pourquoi ne le raconterait-on pas ? pourquoi ne pas mettre en circulation jour par jour, pour ainsi dire, ce qui a instruit ou ému, ce qui a appris quelque chose sur l’état de la société ou sur la nature particulière d’un génie ? Nous subissons les inconvénients du temps où nous vivons, ayons-en du moins les avantages. Qu’il en soit du monde moral comme il en est aujourd’hui de l’univers et du ciel physique. Les physiciens, les astronomes, les navigateurs observent et notent à chaque instant les variations de l’atmosphère, la latitude, les étoiles. Ces observations multipliées s’enchaînent, et leur ensemble aide à découvrir ou à vérifier des lois. Faisons quelque chose d’analogue dans le monde de l’esprit et de la société. Bien des détails précieux qui échapperaient, si on ne les saisissait au passage, et qui ne se retrouveraient plus, sont ainsi fixés, et pourront fournir d’imprévues conclusions à nos neveux, ou du moins, en vieillissant, en se colorant par le seul effet de la distance, ils leur deviendront poétiques et chers. Et quant à ce qui est beau, grand et décidément immortel, pourquoi hésiterait-on à le constater, à le saluer aussitôt qu’on le rencontre ? Et dans cet âge de rapidité, d’ennui, d’efforts avortés et d’espérances non encore mûres, pourquoi s’envierait-on une jouissance actuelle et une conquête certaine ? Faut-il attendre qu’on soit loin de l’édifice, et séparé par la poussière et la foule, pour l’admirer ?
Le mois passé (et de spirituelles indiscrétions l’ont déjà ébruité par mille endroits), quelques auditeurs heureux ont goûté une de ces vives jouissances d’imagination et de cœur qui suffisent à embellir et à marquer, comme d’une fête singulière, toute une année de la vie. Nous en étions, et, après d’autres sur qui nous n’aurons que cet avantage, nous essayerons d’en dire quelque mot. C’était, comme on le sait, dans un salon réservé, à l’ombre d’une de ces hautes renommées de beauté auxquelles nul n’est insensible, puissance indéfinissable que le temps lui-même consacre et dont il fait une muse. La bonté ingénieuse surtout, si une fois elle a été unie à la beauté souveraine, et n’a composé avec elle qu’un même parfum, est une grâce qui devient enchanteresse à son tour et qui ne périt pas. Dans ce salon, qu’il faudrait peindre, où tout dispose à ce qu’on y attend, dont la porte reste entr’ouverte sur le monde qui y pénètre encore, dont les fenêtres donnent sur le jardin clos et sur les espaliers en fleur d’une abbaye, on a donc lu les Mémoires du vivant le plus illustre, lui présent. Mémoires qui ne paraîtront au jour que lui disparu. Silence et bruit lointain, gloire en plein régnante et perspective d’un mausolée, confins du siècle orageux et d’une retraite ensevelie, le lieu de la scène était bien trouvé. Dans ce salon étroit, et qui était assez peu et assez noblement rempli pour qu’on se sentît fier d’être au cercle des préférés, il était impossible, durant les intervalles de la lecture, ou même en l’écoutant, de ne pas s’égarer aux souvenirs. Ce grand tableau qui occupe et éclaire toute la paroi du fond, c’est Corinne au cap Misène : ainsi le souvenir d’une amitié glorieuse remplit, illumine toute une vie. En face, cette branche toujours verte de fraxinelle ou de chêne qui, au milieu des vases grecs et des brillantes délicatesses, sur le marbre de la cheminée, tenait lieu de l’heure qui fuit, n’était-ce pas comme une palme de Béatrix rapportée par l’auteur d’Orphée, comme un symbole de ce je ne sais quoi d’immortel qui trompe les ans ? De côté, sur ces tablettes odorantes, voilà les livres choisis, les maîtres essentiels du goût et de l’âme, et quelques exemplaires somptueux où se retrouvent encore tous les noms de l’amitié, les trois ou quatre grands noms de cet âge. Oh ! que les admirables confidences étaient les bienvenues dans ce cadre orné et simple où elles s’essayaient ! Comme l’arrangement léger de cet art, dont il faut mêler le secret à toute idéale jouissance, n’ôtait rien à l’effet sincère et complétait l’harmonie des sentiments ! Le grand poëte ne lisait pas lui-même ; il eût craint peut-être en certains moments les éclats de son cœur et l’émotion de sa voix. Mais si l’on perdait quelque accent de mystère à ne pas l’entendre, on le voyait davantage ; on suivait sur ses vastes traits les reflets de la lecture comme l’ombre voyageuse des nuages aux cimes d’une forêt. Celui qui fut tour à tour René, Chactas, Aben-Hamet, Eudore, l’Homère du jeune siècle, il était là, écoutant les erreurs de son Odyssée. Les plis de ce front de vieux nocher, la gravité de la tête du lion, l’amplitude des tempes triomphales ou rêveuses, ressortaient mieux dans l’immobilité. Tantôt sa main passait et se posait sur les paupières, comme pour plus de ressemblance avec ces grands aveugles qu’il a peints, et dont la face exprime le repos dans le génie : il dérobait quelque pleur involontaire. Tantôt son œil se rouvrait avec la flamme du jeune aigle, et ce regard humide et enivré jouait dans le soleil, dont quelque rayon, à travers le bleu des franges, le poursuivait obstinément. Et cette noble tête se détachant ainsi derrière le lecteur dans la bordure du tableau de Corinne, tableau un peu trop rapproché de nous, je me disais : « Enfant, de tels fonds ont surmonté longtemps et dominé nos rêves. Staël ! Chateaubriand ! les voilà devant nous, l’une aussi présente, l’autre aussi dévoilé qu’ils peuvent l’être, unis tous les deux sous l’amitié vigilante d’un même cœur. Entrons bien dans cette pensée. Respirons, respirons sans mélange la poésie de ces pages où l’intimité s’exhale à travers l’éclat. Embrassons, étreignons en nous ces rares moments, pour qu’après qu’ils auront fui, ils augmentent encore de perspective, pour qu’ils dilatent d’une lumière magnifique et sacrée le souvenir. Cour de Ferrare, jardins des Médicis, forêt de pins de Ravenne où fut Byron, tous lieux où se sont groupés des génies, des affections et des gloires, tous Édens mortels que la jeune postérité exagère toujours un peu et qu’elle adore, faut-il tant vous envier ? et n’enviera-t-on pas un jour ceci ? »
C’est vers 1800 que M. de Chateaubriand entra du premier pas dans la gloire. Rien de lui n’était connu jusque-là ; l’Essai sur les Révolutions, publié en Angleterre, n’avait nullement pénétré en France ; quelques articles du Mercure et les promesses de M. de Fontanes présageaient depuis plusieurs mois aux personnes attentives un talent nouveau, quand le Génie du Christianisme remplit l’horizon de ses subites clartés. Cet incomparable succès, au début, conféra à M. de Chateaubriand un caractère public, comme écrivain ; sa triple influence, religieuse, poétique et monarchique, commença dès lors. Toute sa destinée ultérieure dut se dérouler sous cette majestueuse inauguration et à partir de cette colonne milliaire que surmontait une croix. La religion, la poésie, la monarchie, durant ces trente années, dominèrent, chacune plus ou moins, selon les circonstances, dans cette vie qui marcha comme un long poëme. Mais il y eut bien des inégalités nécessaires et des interruptions qui furent peu comprises des esprits prosaïques et soi-disant positifs. Cette dévotion éloquente, cette invocation au christianisme du sein d’une carrière d’honneurs, de combats politiques ou de plaisirs, cette rêverie sauvage, cette mélancolie éternelle de René se reproduisant au sortir des guirlandes et des pompes, ces cris fréquents de liberté, de jeunesse et d’avenir, dans la même bouche que la magnificence chevaleresque et le rituel antique des rois, c’en était plus qu’il ne fallait pour déconcerter d’honnêtes intelligences qui chercheraient difficilement en elles la solution d’un de ces problèmes, et qui prouveraient volontiers, d’après leur propre exemple, que l’esprit est matière, puisqu’il n’y tient jamais qu’une seule chose à la fois. Depuis quelques années pourtant, l’unité de cette belle vie de M. de Chateaubriand s’était suffisamment dessinée ; sauf quelques brusques détails, la ligne entière du monument était appréciée et applaudie. Littérairement, il n’y avait qu’une voix pour saluer le fondateur, parmi nous, de la poésie d’imagination, le seul dont la parole ne pâlissait pas dans l’éclair d’Austerlitz. Après le xviiie siècle, qui est en général sec, analytique, incolore ; après Jean-Jacques, qui fait une glorieuse exception, mais qui manque souvent d’un certain velouté et d’épanouissement ; après Bernardin de Saint-Pierre, qui a bien de la mollesse, mais de la monotonie dans la couleur, M. de Chateaubriand est venu, remontant à la phrase sévère, à la forme cadencée du pur Louis XIV, et y versant les richesses d’un monde nouveau, les études du monde antique. Il y a du Sophocle et du Bossuet dans son innovation, en même temps que le génie vierge du Meschacebé : Chactas a lu Job et a visité le grand Roi. On a comparé heureusement ce style aux blanches colonnes de Palmyre : ce sont en effet des fûts de style grec, mais avec les lianes des grands déserts pour chapiteaux. Et puis, comme dans le Louis XIV, un fonds de droit sens mêlé même au faste, de la mesure et de la proportion dans la grandeur. En osant la métaphore comme jamais on ne l’avait fait en français avant lui, M. de Chateaubriand ne s’y livre pas avec profusion, avec étourdissement ; il est sobre dans son audace ; sa parole, une fois l’image lancée, vient se retremper droit à la pensée principale, et il ne s’amuse pas aux ciselures ni aux moindres ornements. Le fond de son dessin est d’ordinaire vaste et distinct, les bois, la mer retentissante, la simplicité lumineuse des horizons ; et c’est par là qu’on le retrouve surtout homérique et sophocléen.
M. de Chateaubriand apparaît donc littérairement comme un de ces écrivains qui maintiennent une langue en osant la remuer et la rajeunir. Toute l’école moderne émane plus ou moins directement de lui. Dans son application à la politique, et dans l’Itinéraire de son voyage en Orient, il a si bien su proportionner son style à la nature des sujets, que c’est aujourd’hui l’opinion universelle qu’il y a chez lui une seconde manière, une seconde portion de son œuvre qui est irréprochable. Mais comme ce mérite d’être irréprochable tient surtout en ce cas-là à un moindre déploiement poétique, je persiste à le préférer dans sa complète et, si l’on veut, inégale manière.
Politiquement, le rôle de M. de Chateaubriand n’est pas moins, à peu près unanimement, apprécié aujourd’hui. Sauf quelques mots, quelques écarts dus à la tourmente des temps et aux engagements de parti, on le voit constamment viser à une conciliation entre la liberté moderne et la légitimité royale. La liberté de la parole et de la presse est, en quelque sorte, l’axe fixe autour duquel sa noble course politique a erré. Et puis, d’époque en époque, on rencontre dans la vie publique de M. de Chateaubriand de ces actes d’honneur désintéressé et de généreuse indignation qui font du bien au cœur parmi tant d’égoïsmes prudents et d’habiles indifférences. Cette faculté électrique qui, lors de l’assassinat du duc d’Enghien, le porta instantanément à briser avec le gouvernement coupable, ne l’a pas abandonné encore ; elle est, chez lui, restée irrésistible et entière comme son génie. Elle ne l’a pas trompé particulièrement dans sa relation de guerre et de dégoût contre un état de choses venu le dernier et déjà le plus attiédissant. Nous n’entendons pas ici précisément parler des deux brochures politiques de M. de Chateaubriand : nous en serions fort mauvais juge, incapable que nous nous trouvons, par suite d’habitudes anciennes et de convictions démocratiques, d’entrer dans la fiction des races consacrées et des dynasties de droit. Nous serions même fort tenté de croire que l’illustre écrivain n’a lancé ces manifestes que par engagement de position, par sentiment de point d’honneur, et comme on irait galamment sur le pré pour une cause à laquelle on se dévoue plutôt qu’on n’y croit. Mais ce que nous aimons sans réserve dans l’attitude actuelle de M. de Chateaubriand, ce qui nous le montre bien d’accord avec lui-même, avec son tempérament de loyauté et de liberté, c’est son irrémédiable dégoût de tout régime peureux, ou du moins étayé sur la peur, sans noblesse, qui suit sa cupidité sous l’astuce, et qui parfois devient même cynique dans ses actes ou dans ses aveux. Cette faculté d’indignation honnête, ce sens d’énergie palpitante et involontaire que rien n’attiédit, et qui se fait jour, après des intervalles, à travers le factice des diverses positions, est une marque distinctive de certaines âmes valeureuses, et constitue une forte portion de leur moralité. On aime à retrouver ce ressort chez des hommes également haut placés, chez M. de La Mennais comme chez M. de Chateaubriand. Dans le jeune parti républicain, M. Carrel est l’organe d’un sentiment non moins vivace et incorruptible.
Religieusement, il ne tombe plus à l’esprit de personne de chicaner M. de Chateaubriand sur quelques désaccords qui pouvaient faire le triomphe et la jubilation de l’abbé Morellet, de Ginguené, de Marie-Joseph Chénier. Ces honorables représentants ou héritiers du xviiie siècle ne soupçonnaient pas la grande révolution morale qui allait s’opérer dans les esprits des générations naissantes. M. de Chateaubriand en a donné l’éclatant signal. Le premier, il s’est retourné contre le xviiie siècle et lui a montré le bouclier inattendu, éblouissant de lumière, et dont quelques parties étaient de vrai diamant. Si tout, dans ce brillant assaut, n’était pas également solide, si les preuves qui s’adressaient surtout à des cœurs encore saignants et à des imaginations ébranlées par l’orage ne suffisent plus désormais, l’esprit de cette inspiration se continue encore ; c’est à l’œuvre et au nom de M. de Chateaubriand que se rattache le premier anneau de cette renaissance. Et pour ce qui est des contradictions, des luttes, des alternatives entre cet esprit chrétien, une fois ressaisi, et le monde avec ses passions, ses doutes et ses combats, qui de nous ne les a éprouvées en son cœur ? qui de nous, au lieu de prétendre accuser et prendre en défaut la sincérité de celui qui fit René, n’admirera, ne respectera en lui ce mélange de velléités, d’efforts vers ce qu’on a besoin de croire, et de rentraînements vers ce qui est difficile à quitter ? M. de Chateaubriand, qui a eu l’initiative en tant de choses, l’a eue aussi par ses orages intérieurs et par les vicissitudes de doute et de croyance qui sont aujourd’hui le secret de tant de jeunes destinées. « Quand les semences de la religion, dit-il en un endroit de ses Mémoires, germèrent la première fois dans mon âme, je m’épanouissais comme une terre vierge qui, délivrée de ses ronces, porte sa première moisson. Survint une bise aride et glacée, et la terre se dessécha. Le Ciel en eut pitié, il lui rendit ses tièdes rosées ; puis la bise souffla de nouveau. Cette alternative de doute et de foi a fait longtemps de ma vie un mélange de désespoir et d’ineffables délices. » Voilà en ces deux mots l’histoire religieuse d’une âme qui est le type complet de beaucoup d’âmes venues depuis. Quand M. de Chateaubriand ne confesserait pas cette lutte dans ses Mémoires, on en retrouverait l’empreinte continuelle dans sa vie, et elle y répand une teinte de mélancolie et de mystère qui en achève la poétique beauté. Mais quoique la destinée de M. de Chateaubriand, depuis l’année où elle apparaît avec le siècle sur l’horizon, se manifeste, s’explique et resplendisse d’elle-même suffisamment, il y a bien des endroits inégaux, des transitions qui manquent, des effets dont les causes se doivent rechercher. Il y a surtout, avant cette gloire publique, avant ce rôle d’apologiste religieux, de publiciste bourbonnien, de poète qui a chanté sa tristesse et qui s’est revêtu devant tous de sa rêverie, il y a, avant cela, trente longues années d’études, de travaux, de secrètes douleurs, de voyages et de misères ; trente années essentielles et formatrices, dont les trente suivantes ne sont que le développement ostensible et la conséquence, j’oserai dire facile. Or, comment ignorer cette première et féconde moitié d’une belle vie ? On veut tout savoir sur le point de départ des grandes âmes avant-courrières. M. de Chateaubriand avait déjà parlé dans des notes, dans des préfaces, çà et là, de cette époque antérieure ; mais les détails épars ne se liaient pas et laissaient champ aux incertitudes. Un livre, par lui publié à Londres en 1797, l’Essai sur les Révolutions, était la source la plus abondante et la plus native où l’on pût étudier cette jeunesse confuse. En lisant l’Essai, on y voit quelles connaissances nombreuses, indigestes, avait su amasser le jeune émigré ; quelle curiosité érudite et historique le poussait à la fois sur tous les sujets qu’il a repris dans la suite ; quelle préoccupation littéraire était la sienne ; quel souci de style, et d’exprimer avec saillie, avec éclat, tout ce qui en sens divers était éloquemment exprimable ; quel respect empressé pour tout ce qui avait nom d’homme de lettres, pour Flins, par exemple, qu’il cite entre Simonide et Sanchoniaton. On y voit une haute indifférence politique, un bien ferme coup d’œil sur des ruines fumantes, une appréciation chaleureuse, mais souvent équitable, des philosophes ou des personnages révolutionnaires ; il m’arrive à chaque page, en lisant l’Essai, d’être de l’avis du jeune homme contre l’auteur des notes, que je trouve trop sévère et trop prompt à se condamner. Le scepticisme de l’Essai n’a rien de frivole ; c’est un désenchantement amer, une douleur de ne pas croire ; c’est le souffle de cette bise sombre dont tout à l’heure il a été parlé. Le deuxième volume renferme un chapitre aux Infortunés, dans lequel, à travers les conseils et les règles de conduite que l’auteur essaye de déduire, on lit toute l’histoire de sa vie d’émigration et de sa noble pauvreté : « Je m’imagine, s’écrie-t-il, que les malheureux qui lisent ce chapitre le parcourent avec cette avidité inquiète que j’ai souvent portée moi-même dans la lecture des moralistes, à l’article des misères humaines, croyant y trouver quelque soulagement. Je m’imagine encore que, trompés comme moi, ils me disent : « Vous ne nous apprenez rien ; vous ne nous donnez aucun moyen d’adoucir nos peines ; au contraire, vous prouvez trop qu’il n’en existe point. » — Ô mes compagnons d’infortune ! votre reproche est juste ; je voudrais pouvoir sécher vos larmes, mais il vous faut implorer le secours d’une main plus puissante que celle des hommes. Cependant ne vous laissez point abattre ; on trouve encore quelques douceurs parmi beaucoup de calamités. Essayerai-je de montrer le parti qu’on peut tirer de la condition la plus misérable ? peut-être en recueillerez-vous plus de profit que de toute l’enflure d’un discours stoïque. » Et suivent alors les conseils appropriés : fuir les jardins publics, le fracas, le grand jour ; le plus souvent même ne sortir que de nuit ; voir de loin le réverbère à la porte d’un hôtel, et se dire : « Là, on ignore que je souffre ; » mais ramenant ses regards sur quelque petit rayon tremblant dans une pauvre maison écartée du faubourg, se dire : « Là, j’ai des frères. » Voilà ce qu’on trouve, après tant d’autres pages révélatrices, dans l’Essai. Mais jusqu’ici cette œuvre de jeunesse était restée en dehors du grand monument poétique, religieux et politique, de M. de Chateaubriand, et n’était pas comprise, pour ainsi dire, dans la même enceinte. Les notes que l’auteur y avait jointes, écrites en 1820, et dans un esprit de justification religieuse et monarchique, servaient à séparer l’Essai de ce qui a suivi plutôt qu’à l’y rattacher. C’est aux Mémoires qu’il appartenait de tout reprendre dans une unité plus vaste, et de représenter avec accord l’entière ordonnance de cette destinée.
L’idée de M. de Chateaubriand, écrivant ses Mémoires, a été de se peindre sans descendre jusqu’à la confession, mais en se dépouillant d’une sorte de convenu inévitable qu’imposent les grands rôles joués sur la scène du monde ; c’est une des raisons qui le portent à n’en vouloir la publication qu’après lui. Dans les pages datées de 1811, comme dans celles de 1833, l’auteur de la grande tentative chrétienne et monarchique se sent toujours, mais il ne se pose pas en travers. Rien n’abjure les opinions du passé, mais rien ne s’y asservit, rien ne les flatte. Le poète, comme René, a ressaisi solitude et puissance ; il est rentré dans sa libre personnalité, dans mille contradictions heureuses. Sa nature originelle y reprend le dessus, y tient le dé, si j’ose dire. Toutes les réflexions saines, capables d’éloquence, toutes les nobles images à cueillir et les palmes en fleur dans chaque champ, toutes les belles rêveries à rêver, l’appellent d’un attrait invincible. L’art surtout, ce grand et insatiable butineur, y gagne. L’unité de la vie même de l’écrivain se retrouve dans cette diversité.
Il y a telle page de 1833 qui ressemble plus à telle page de l’Essai que tout ce qui a été écrit dans l’intervalle : les rayons du couchant rejoignent l’aurore.
Ce serait, on le sent, aborder les Mémoires de M. de Chateaubriand par un bien étroit côté, que d’y chercher simplement un récit explicatif qui comblerait les lacunes biographiques et aiderait à compléter une psychologie individuelle. De ses Mémoires, M. de Chateaubriand a fait et a dû faire un poëme. Quiconque est poëte à ce degré reste poëte jusqu’à la fin ; et quoiqu’il écrive en face de la réalité, il la transgresse toujours ; il ne lui est pas donné de redescendre. Mais, chemin faisant, au milieu des peintures et des caractères, des récits enjoués ou des idéales rêveries, les indications abondent : on y sent passer les secrets voilés ; on saisit surtout cette continuité essentielle du héros, qui s’étend du berceau jusqu’à la gloire, qui persiste de dessous la gloire jusqu’à la tombe. Et c’est là, je le dirai, ce qui m’a le plus profondément attaché au milieu de la beauté et de la grandeur vraiment épiques de l’ensemble.
Noble vie, magnanime destinée, à coup sûr, que celle qui se trouve tout naturellement et comme forcément amenée à produire l’épopée de son siècle en se racontant elle-même, tant elle a été mêlée à tout, à la nature, aux catastrophes, aux hommes, tant son rôle extérieur a été grand, bien qu’elle ait gardé plus d’un mystère ! Oh ! quand je m’échappe quelquefois à parler du factice inévitable des rôles humains ; quand j’ai l’air de me plaire à la pure réalité, ce n’est pas que je me dissimule les misères et les petitesses de celle-ci, ce n’est pas que je méconnaisse le mérite et la force des entreprises. En présence surtout de l’œuvre et de la vie de M. de Chateaubriand, j’ai senti combien il sied à la faculté puissante, au génie, d’enfanter de longues espérances, de se proposer de grands buts, d’épouser d’immenses causes. À trente ans, d’ordinaire, le premier cours naturel de la jeunesse s’affaiblit. À s’en tenir au point de vue de la stricte réalité, on sait déjà les inconvénients de toute chose, le néant des amitiés, le revers des enthousiasmes, l’insuffisance des doctrines stoïques et altières. Si l’on demeure à ce point de vue stérile, il n’est aucune raison pour se remuer davantage, et l’on cesse toute action confiante et suivie à l’âge même où le génie déploie la sienne. Mais le génie, lui, invente ; il se suscite de magnifiques emplois. Pour remonter la vie à partir de ce point où le premier torrent de jeunesse ne pousse plus, il évoque, il embrasse dans son temps quelque vaste pensée religieuse, sociale, politique même, comme ces machines un peu artificielles à l’aide desquelles on remonte les grands fleuves. Il se crée une succession indéfinie d’espérances, d’efforts renaissants et de jeunesses. Qu’il atteigne ou non tel ou tel but en particulier, qu’importe ? Quand sa marche est loyale et fidèle à certaines règles, il n’a pas failli. Il enflamme derrière lui des émulations généreuses et des passions qui régénèrent ; il est pour beaucoup dans toutes les nobles pensées de ses contemporains et du jeune avenir.
Les Mémoires de M. de Chateaubriand, au point où ils en sont aujourd’hui, se composent de deux ensembles distincts. Le premier ensemble, dont la rédaction remonte à 1811 et s’achève en 1822, comprend les trente premières années de sa vie jusqu’en 1800. Le second ensemble, dont la rédaction est de 1833, comprend les deux voyages de M. de Chateaubriand à Prague, le voyage à Venise, les diverses relations avec la famille royale déchue, dans cette même année. L’illustre auteur s’occupe en ce moment, je pense, à compléter cette dernière partie de sa narration par l’histoire des deux ou trois années écoulées entre juillet 1830 et son premier départ pour Prague. Ces deux ensembles, dont l’un est entièrement terminé et dont l’autre va l’être, figurent, en quelque sorte, deux ailes égales à l’extrémité d’un même monument. Le corps intermédiaire du récit, les trente années de l’Empire et de la Restauration ne sont encore tracées que par endroits et ne présentent pas, à l’heure qu’il est, une ligne ininterrompue et définitive. Quelle qu’en soit l’importance, au reste, dans le plan de l’édifice, on peut provisoirement concevoir cet espace entre les deux ailes rempli par le Génie du Christianisme, les Martyrs, l’Itinéraire, la Monarchie selon la Charte, les Quatre Stuarts, les Études historiques, tous palais différents de date et de style, mariant heureusement leur diversité, et composant un Louvre ou plutôt un Fontainebleau merveilleux, comme l’a dit quelque part M. Magnin à propos des Études historiques en particulier. Par le seul fait que l’époque antérieure à la vie publique est terminée jusqu’en 1800, que l’époque postérieure à la retraite politique est tout près d’être terminée d’une façon non moins définitive, nous tenons donc dès à présent un monument sans exemple, et dont l’aspect, même dans cet état inachevé, simule quelque chose d’accompli. Mais bientôt, derrière ce Génie du Christianisme, ces Martyrs, cette Monarchie selon la Charte, tous ces palais, disons-nous, qui meublent l’intervalle, bientôt s’élèvera un autre monument de forme imprévue qui les enceindra : M. de Chateaubriand s’entend à la grande architecture.
En essayant ici d’introduire un peu le lecteur dans ce que nous avons récemment recueilli, dans cet Alhambra de nos souvenirs, notre embarras est extrême, nous l’avouons. Que faire de tant de richesses encore jalouses ? Nous ne savons comment modérer notre mémoire. Nous aurons tort d’être trop inexact, et tort aussi d’être trop fidèle. Nous craignons, en mêlant trop du nôtre aux confidences du poète, de les altérer ; en les offrant vives, telles qu’elles se sont gravées en nous, de les trahir.
En 1811, à Aulnay, dans cette Vallée-aux-Loups où il a écrit l’Itinéraire, Moïse, les Martyrs, près de ces arbres de tous les climats, qui lui rappellent les Florides ou la Syrie, et si petits encore qu’il leur donne de l’ombre quand il se place entre eux et le soleil, M. de Chateaubriand, au comble de sa gloire, au plus haut de la montagne de la vie, profitant des derniers jours de calme avant les orages politiques qu’il pressent, se retourne un matin vers le passé et commence la première page de ses Mémoires. Il est né à Saint-Malo, d’une famille noble, des anciens Chateaubriand de Beaufort qui se rattachent aux premiers comtes, ensuite ducs de Bretagne. Il discute cette généalogie, il nous y intéresse : « Mais n’est-ce pas là, se dit-il, d’étranges détails, des prétentions malsonnantes dans un temps où l’on ne veut que personne soit le fils de son père ? Voilà bien des vanités à une époque de progrès, de révolution ! » Non pas ; dans M. de Chateaubriand, le chevaleresque est une qualité inaliénable ; le gentilhomme en lui n’a jamais failli, mais n’a jamais été obstacle à mieux. Béranger se vante d’être du peuple, M. de Chateaubriand revendique les anciens comtes de Bretagne ; mais tous les deux se rencontrent dans l’idée du siècle, dans la république future, et ils se tendent la main.
Cette idée de noblesse et d’antique naissance est surtout nécessaire pour expliquer le caractère et la physionomie du père de M. de Chateaubriand, de l’homme ardent, rigoureux, opiniâtre, magnanime et de génie à sa manière, dont toute la vie se passe à vouloir relever son nom et sa famille ; espèce de Jean-Antoine de Mirabeau dans son âpre baronnie. Il faut voir le portrait ineffaçable de ce père dur et révéré, au nez aquilin, à la lèvre pâle et mince, aux yeux enfoncés et pers ou glauques comme ceux des lions ou des anciens barbares. Son silence redouté, sa tristesse profonde et morne, ses brusques emportements, et le rond de sa prunelle qui se détache comme une balle enflammée dans la colère, puis sa mise imposante et bizarre, la grandeur de ses manières, sa politesse seigneuriale avec ses hôtes quand il les reçoit tête nue, par la bise ou par la pluie, du haut de son perron, comme tout cela est marqué ! quelle touche à la fois fidèle et pieuse en son exactitude austère ! Si le vieillard revivait, s’il se voyait ainsi retracé et immortel, comme on sent qu’il se reconnaîtrait ! comme il s’enorgueillirait de sa propre vue et de son aspect inexorable ! comme il se saurait gré de sa race ! comme il bénirait ce fils dont il a contristé la jeunesse, et verserait sur lui une de ces rares larmes que sa joue sèche avait si vite dévorées !
À côté de cette haute figure, vient la mère de M. de Chateaubriand, fille d’une ancienne élève de Saint-Cyr, et sachant elle-même par cœur tout Cyrus. Femme élégante de manières, cultivée d’esprit, soupirante et silencieuse, elle souffre aussi de la sévérité absolue du maître, et partage la tristesse refoulée des siens plutôt qu’elle ne la console. Ceux qui cherchent dans les parents des grands hommes la trace et la racine des vocations éclatantes, ceux qui demandent aux mères de Walter Scott, de Byron et de Lamartine, le secret du génie de leurs fils, remarqueront ce caractère à la fois mélancolique et cultivé de madame de Chateaubriand ; ils auraient à remarquer aussi que deux des sœurs du poëte, et l’une particulièrement, ont laissé des pages touchantes ; qu’un de ses oncles paternels, prêtre, faisait des vers, et qu’un autre oncle paternel vivait à Paris, voué aux recherches d’érudition et d’histoire. Il y a toujours quelques ébauches naturelles préexistant aux apparitions sacrées.
François-Auguste de Chateaubriand naquit donc à Saint-Malo, rue des Juifs, dans une maison voisine de celle où devait naître quelques années plus tard M. de La Mennais ; il était le dernier de dix enfants, dont six vécurent, quatre sœurs et un frère, l’aîné de tous. Il eut titre le Chevalier ; son frère, le comte de Combourg (car le père de M. de Chateaubriand avait racheté l’ancienne terre de Combourg du maréchal de Duras), était destiné à être conseiller au parlement de Rennes ; le chevalier devait entrer, suivant l’usage des cadets en Bretagne, dans la marine royale. En attendant, on le mit en nourrice au village de Plancoët ; il s’attacha fort à sa bonne nourrice, la Villeneuve, qui seule le préférait ; il s’attacha d’une amitié bien délicate, en grandissant, à la quatrième de ses sœurs, négligée comme lui, rêveuse et souffrante, et qu’il nous peint d’abord l’air malheureux, maigre, trop grande pour son âge, attitude timide, robe disproportionnée, avec un collier de fer garni de velours brun au cou, et une toque d’étoffe noire sur la tête. Voilà celle pourtant qui plus tard brillera si poétique et si belle, dont le front pâle se nuancera de toute sérieuse pensée, qu’il comparera muette et inclinée à un Génie funèbre, et qui sera pour lui la Muse, quand, dans une des promenades au grand mail, il lui parlera avec ravissement de la solitude, et qu’elle lui dira d’une voix de sœur qui admire : « Tu devrais peindre cela. »
La grand’mère maternelle du chevalier habitait à l’Abbaye, hameau voisin de Plancoët, avec une vieille sœur non mariée, mademoiselle de Boisteilleul. Il y avait dans la maison d’à côté trois vieilles filles nobles qui venaient chaque après-midi faire la partie de quadrille, averties de l’heure précise par un double coup de pincettes que mademoiselle de Boisteilleul frappait sur la plaque de la cheminée. Jamais intérieur en apparence insignifiant n’a pris plus de vie sous un pinceau et une expression plus pénétrante. Si, dans le portrait de son père, M. de Chateaubriand n’a rien à envier aux Van Dyck, aux Velasquez et aux vieux maîtres espagnols ; si, dans le portrait de sa sœur enfant, il a égalé quelque jeune fille gauche et finement ingénue de Terburg, il n’est comparable en cet endroit qu’à la grâce exquise et familière de Wilkie. Mais quand il vient à se rappeler que cette société, la première qu’il ait remarquée, est aussi la première qui ait disparu à ses yeux ; quand il montre la mort dépeuplant par degrés cette maison heureuse, une chambre qui se ferme et puis une autre, et le quadrille de l’aïeule devenu impossible, faute des partners accoutumés, il touche alors à une corde de sensibilité intime dont ses Mémoires nous rendent plus d’un tendre soupir. Mais cela tourne bientôt à la gravité solitaire et à la mélancolique grandeur qui est le fond de cette nature de René : « Vingt fois depuis cette époque, dit-il, j’ai fait la même observation, vingt fois des sociétés se sont formées et dissoutes autour de moi. Cette impossibilité de durée et de longueur dans les liaisons humaines, cet oubli profond qui nous suit, cet invincible silence qui s’empare de notre tombe et s’étend de là sur notre maison, me ramènent sans cesse à la nécessité de l’isolement. Toute main est bonne pour nous donner le verre d’eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort. Ah ! qu’elle ne nous soit pas trop chère ! car comment abandonner sans désespoir la main que l’on a couverte de baisers, et que l’on voudrait tenir éternellement sur son cœur ? »
À côté de la maison calme et bénie de l’aïeule, il y a Monchoix, le joyeux et turbulent manoir de l’oncle, plein de chasseurs, de fanfares et de festins. Combourg ne vient que plus tard. Le chevalier est encore à Saint-Malo, luttant contre les vagues, aux prises avec ses jeunes compagnons, battu ou battant tour à tour. Les impressions sérieuses de la religion agissent cependant ; on le relève du vœu que sa nourrice avait fait pour lui, et le prêtre qui l’exhorte lui parle de ses ancêtres, et de Palestine et de pèlerinage. Aux fêtes saintes, aux stations, il est à la cathédrale avec les autres enfants de son âge. Le jour baisse, les petites bougies sont allumées tout contre les Heures où chacun suit l’office ; on chante le Tantum ergo : « Je voyais, dit-il, les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux à l’Éternel ; je courbais mon front : il n’était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement qu’on est tenté de ne plus relever la tête, lorsqu’on l’a inclinée au pied des autels. »
Nous avons entendu dire quelquefois à certaines gens, de bonne volonté d’ailleurs, à propos de cette tristesse de plusieurs grands poètes, et de M. de Chateaubriand en particulier : « Qu’a-t-il ? Pourquoi tant de tristesse et d’ennuis ? Tout, dans la gloire du moins et dans le concert des louanges, ne lui sourit-il pas ? Et lui-même, si par hasard nous le rencontrons sous les ormes de son boulevard, n’a-t-il pas fleur à la main et jeunesse légère, et, si nous le saluons, toute la grâce du sourire ? Allez, ces grands soucis de poëte ne sont que feinte. » — Bonnes gens, qui ne concevez pas qu’on puisse agréablement vous sourire, et n’en pas moins sentir le néant et l’interminable ennui de toute chose ! C’est la duchesse mère d’Orléans qui a dit, je crois, de son fils le régent, qu’il était né ennuyé. Ce mal originel d’ennui puisé au ventre de la mère, qui tourne chez les uns en vice et en folies déréglées, tourne chez les autres en poésie et en génie ; mais la douleur se cache sous la beauté. Enfant (et je me sers à dessein d’expressions ravies), tout devient passion en attendant la passion même ; tout s’épuise, tout se dévore, avant d’être cueilli et touché. On est, comme le frère d’Amélie, égaré et possédé du démon de son cœur. Viennent les délices tant désirées ; elles n’ont qu’un jour, une heure à peine. Il y a des natures fatales qui portent plus aisément que d’autres, autour d’elles, le vertige et le désenchantement : Jupiter qui s’approche consume Sémélé. Puis voilà qu’on en est à la fuite des ans ; la jeunesse alors (et c’est toujours avec les expressions dérobées au poëte, avec la plume échappée au cygne, que j’écris de lui), la jeunesse rentre au cœur, et quittant l’écorce, les dehors déjà moins fleuris, elle s’enferme en un sein orageux qu’elle continue de troubler. On est tenté de s’écrier comme l’auteur des Mémoires, dans une mélancolie cuisante : « Allons-nous-en avant d’avoir vu fuir nos amis et ces années que le poëte trouvait seules dignes de la vie : vita dignior ætas. Ce qui enchante dans l’âge des liaisons devient dans l’âge délaissé un objet de souffrance et de regret. On ne souhaite plus le retour des mois riants à la terre ; on le craint plutôt. Les oiseaux, les fleurs, une belle soirée de la fin d’avril, une belle nuit lunaire commencée le soir avec le premier rossignol, achevée le matin avec la première hirondelle, ces choses qui donnent le besoin et le désir du bonheur, vous tuent ! » Et cela n’empêche pas cependant, tant la nature de l’homme est mobile et associe les contraires, de sourire gaiement à quelque réveil de mai, de sortir par la petite porte de son parc avec une fleur encore humide de rosée, de sourire d’un air de fête au passant qu’on aimerait éviter peut-être, au jeune homme qui rougit et salue, et dont cette rencontre va enflammer la journée. Parce que chaque soir revient funèbre et sombre, chaque matinée de soleil ne nous rend-elle pas un peu de vrai printemps ?
Si j’osais adresser un seul reproche à quelques rares endroits de cette douleur presque innée que je comprends et que j’admire, ce ne serait pas de s’exagérer et de se surfaire, ce serait de se croire plus unique au monde, plus privilégiée en amertume qu’elle ne l’est en effet. Certes, nulle vie n’a été plus traversée, semée sur plus de mers, sillonnée de plus de sortes d’orages ; et quand, après tant d’incomparables vicissitudes, on porte sa douleur sans fléchir, comme ces personnages de rois et d’empereurs qui, outre leur diadème de gloire au front, portent un globe dans la main, on en mesure mieux tout le poids. Mais ce poids, pour être d’ordinaire plus obscurément porté, n’en pèse pas moins aujourd’hui sur bien des cœurs. Le mal du solitaire René, en retranchant même ce qui a été de contagion et d’imitation, est assez endémique en ce siècle ; la famille est nombreuse, je le crois, qui l’invoque tout bas comme l’aîné des siens. Quand René jette ses regards sur une foule, sur ce désert d’hommes comme il l’a appelé, il peut s’écrier sans crainte, ainsi que s’écriait l’infortuné dans l’Essai à la vue des petites lumières des faubourgs : La, j’ai des frères !frères moins glorieux sans doute, plus infirmes, moins honorés des grands coups du sort. Mais n’est-ce pas en fait de douleur surtout qu’il est vrai de dire avec M. Ballanche : « Tout se passe au fond de notre cœur, et c’est notre cœur seul qui donne à tout l’existence et la réalité. »
Pendant qu’il joue au bord de la mer à Saint-Malo, le chevalier de Chateaubriand a pour ami d’enfance un compagnon espiègle, hardi et provocateur, qui exerce un grand empire sur lui, et à qui il attribue, comme à une étoile jumelle, une influence mystérieuse et superstitieuse sur sa destinée. C’est ce même Gesril qui, devenu plus tard officier de marine, périt à l’affaire de Quiberon. L’action était finie, et les Anglais continuaient de canonner. Gesril, à la nage, s’approche des vaisseaux, crie aux Anglais de cesser le feu, leur annonçant le malheur et la capitulation. On le voulut sauver en lui filant une corde : « Je suis prisonnier sur parole, » s’écrie-t-il du milieu des flots ; et il revient à terre, où il est fusillé avec Sombreuil. — Gesril, vous êtes mort en héros, vous avez égalé Régulus et surpassé d’Assas ; et qui connaît votre nom cependant ? Vous étiez jusqu’ici comme ces héros tombés avant Agamemnon, et qui ont manqué de poëte sacré ! Mais non ; vous avez joué, enfant, avec le poëte, vous l’avez poussé aux combats de pierre avec les autres enfants de la plage, vous l’avez enhardi sur les pentes glissantes des rochers ; il vous suivait comme une bannière, et votre charme héroïque l’enchaînait déjà. Gesril, vous voilà sauvé de l’oubli ! Si le poëte est capricieux de nature, s’il lui plaît parfois d’immortaliser des chimères, des êtres rencontrés à peine, des jeunes filles dont il ne sait le nom et auxquelles il sourit comme la fée, le poëte aussi est reconnaissant ; il prend dans la nuit l’ami qu’il préfère, et il lui dresse un trône. Voyez plus tard comme il couronnera Fontanes pour l’avoir deviné et aimé ! Le poëte redore les renommées amies qui pâlissent : il ressuscite et crée le héros qu’on ignore. Toute gloire humaine est chanceuse, mais c’est la Muse encore qui trompe le moins.
Mis au collége à Dol, où il apprend Bezout, où il sait par cœur toutes ses tables de logarithmes depuis 1 jusqu’à 10,000, où il fait des vers latins si coulamment que l’abbé Egault, son préfet, le surnomme l’Élégiaque, le chevalier revient passer ses vacances non plus à Saint-Malo, mais à Combourg. On n’arrive à ce château mystérieux que peu à peu, par intervalles, moyennant des descriptions graduelles, ménagées, qui disposent à l’émotion. À ce collége de Dol, la troisième année de séjour fut marquée par la révolution d’âme et de sens qu’amena la puberté. Un Horace non châtié et le livre des Confessions mal faitestombèrent aux mains du jeune homme ; il entrevoyait d’une part la volupté flatteuse avec ses secrets incompréhensibles, de l’autre la mysticité délirante apprêtant des flammes et des chaînes. « Si j’ai peint plus tard avec vérité, dit-il, les entraînements de cœur mêlés aux syndérèses chrétiennes, je l’ai dû à cette double connaissance simultanée. » Le quatrième livre de l’Énéide, les volumes de Massillon où sont les sermons de l’Enfant prodigue et de la Pécheresse, ne le quittaient pas. Chacun reconnaîtra dans ces tableaux quelques traits de sa propre enfance. Mais quelle pudeur de pinceau ! quelle chasteté de ton dans ce trouble et dans ces chaudes haleines ! À côté du penchant voluptueux, voilà tout aussitôt l’idée de l’honneur qui s’éveille : « car, ainsi que le remarque le poëte, les passions ne viennent jamais seules ; elles se donnent la main comme les Furies ou comme les Muses. » L’honneur donc (et nous citons toujours), l’honneur, cette exaltation de l’âme qui maintient le cœur incorruptible au milieu de la corruption, ce principe réparateur près du principe dévorant, allume en cette jeune âme un foyer qui ne va plus s’éteindre, et qui sera peut-être son principal autel. Il y a là, à ce sujet, la délicieuse histoire d’un nid de pies déniché malgré les défenses de l’abbé Egault ; l’abbé furieux se venge en condamnant au fouet le coupable. On trouve également dans Rousseau l’histoire d’une condamnation injuste au fouet ; mais Rousseau la subit, et de la main de mademoiselle Lambercier, avec des sentiments d’une énergie concentrée, violente, toutefois un peu souillée, si l’on s’en souvient. Ici la différence des natures se déclare. Le chevalier résiste, il se défend, il obtient capitulation ; il reste intact, et son honneur, même d’enfant, peut marcher la tête haute, pur d’affront.
La première communion faite, le chevalier de Chateaubriand va de Dol achever ses études au collége de Rennes, où il hérite du lit du chevalier de Parny, où il devient condisciple de Moreau et de Limoëlan. De Rennes, il va ensuite à Brest, où il reste quelques mois au milieu des constructions navales comme Télémaque à Tyr, mais sans Mentor. Ses instincts de voyageur se déploient et s’irritent en présence de cette mer naufrageuse, son idole, dit-il, et son image. Il est admirable surtout, quand, remontant le torrent qui se jette dans le port, jusqu’à un certain coude, et ne voyant plus rien qu’une vallée étroite et stérile, il tombe en rêverie ; et si le vent lui apporte alors le bruit du canon d’un vaisseau qui met à la voile, il tressaille et pleure. Mais par un de ces revirements inexplicables de la vie, au lieu de rester à Brest pour y attendre l’heure des longs voyages, il en part un matin subitement et arrive à Combourg.
Cette fois, nous sommes bien à Combourg pour y rêver à loisir. Le chevalier déclare qu’il renonce à la marine : on décide qu’il achèvera ses études à Dinan et qu’il embrassera l’état ecclésiastique ; mais Dinan est à quatre lieues de Combourg, et il revient perpétuellement à ce gîte austère et chéri jusqu’à ce qu’on s’accoutume à l’y laisser à demeure. Sa plus jeune et mélancolique sœur, reçue chanoinesse, reste aussi à la campagne, en attendant de passer d’un chapitre dans un autre.
Ici commence toute une vie de René autre que celle que nous connaissons, avec le même fonds pourtant d’inquiétude et de rêve ; un René plus réel et non moins idéal, aussi romanesque, aussi attachant sans catastrophe et sans le malheur d’Amélie. On sait tous les personnages du château, on sait jusqu’aux lieux où couchent les domestiques dans la grosse tour ou dans les souterrains. On voit çà et là, l’hiver, venir de rares hôtes à cheval avec le porte manteau en croupe ; ce sont ceux que le père reçoit tête nue sur le perron. Ils content à à souper leurs guerres de Hanovre ; ils couchent dans le grand lit d’honneur de la Tour du Nord ; et le lendemain matin, on les voit chevauchant par la neige sur la chaussée solitaire de l’étang. L’humeur du père redouté devient plus taciturne et plus insociable avec l’âge ; il ne sort qu’une fois l’an, à Pâques, pour aller entendre la messe à l’église paroissiale de Combourg. Il redouble la solitude autour de lui dans sa solitude, il disperse sa famille et ses serviteurs aux quatre tourelles du château. Les soirs d’automne, dans le vaste salon, vêtu d’une robe de ratine blanche, la tête couverte d’un haut bonnet roide et blanc, il se promène à grands pas ; si la mère, le chevalier et sa sœur, qui sont assis immobiles, échangent quelques mots, il dit en passant, d’un ton sévère : « De quoi parliez-vous ? » et l’on n’entend plus rien bruire, jusqu’à ce que, le coup de dix heures arrêtant brusquement sa marche, il se retire dans son donjon. Alors il y a un court moment d’explosion de paroles et d’allégement. Madame de Chateaubriand elle-même y cède, et elle entame une de ces merveilleuses histoires de revenants et de chevaliers, comme celle du sire de Beaumanoir et de Jehan de Tinténiac, dont le poëte nous reproduit la légende dans une langue créée, inouïe.
Cette langue du moyen âge, qui se trouve condensée, refrappée en cet endroit avec un art et une autorité dont on ne peut se faire idée, laisse çà et là des traces énergiques dans tout le courant du récit de M. de Chateaubriand. L’effet est souvent heureux, de ces mots gaulois rajeunis, mêlés à de fraîches importations latines, et encadrés dans des lignes d’une pureté grecque, au tour grandiose, mais correct et défini. Le vocabulaire de M. de Chateaubriand, dans ces Mémoires, comprend toute la langue française imaginable, et ne la dépasse guère que parfois en quelque demi-douzaine de petits mots que je voudrais retrancher. Cet art d’écrire qui ne dédaigne rien, avide de toute fleur et de toute couleur assortie, remonte jusqu’au sein de Du Cange pour glaner un épi d’or oublié, ou ajouter un antique bluet à sa couronne.
Retiré le soir dans son donjon à part, le jeune homme, plein des légendes et du Génie du lieu, commençait à son tour une poétique incantation ; il évoquait sa Sylphide. Qu’était cette Sylphide ? C’était le composé de toutes les femmes qu’il avait entrevues ou rêvées, des héroïnes de l’histoire ou du roman, des châtelaines du temps de Galaor, et des Armides ; c’était l’idéal et l’allégorie de ses songes ; c’est quelquefois sans doute, le dirai-je ? un fantôme responsable, un nuage officieux, comme il s’en forme, dans les tendres moments, aux pieds des déesses. Il la suivait, cette Sylphide, par les prairies, sous les chênes du grand mail, sur l’étang monotone où il restait bercé durant des heures ; il lui associait l’idée de la gloire. « Elle était pour lui la vertu lorsqu’elle accomplit les plus nobles sacrifices ; le génie, lorsqu’il enfante la pensée la plus rare. » Il y a à travers cela d’impétueux accents sur le désir de mourir, de passer inconnu sous la fraîcheur du matin. « L’idée de n’être plus, s’écrie-t-il, me saisissait le cœur à la façon d’une joie subite ; dans les erreurs qui ont égaré ma jeunesse, j’ai souvent souhaité de ne pas survivre à l’instant du bonheur. Il y avait dans le premier succès de l’amour un degré de félicité qui me faisait aspirer à la destruction. » On retrouve un sentiment tout semblable dans Atala pendant la tempête ; dans Velléda sur le rocher. Mais à quel propos ici ces désirs de mourir, ce cri égaré d’une félicité en apparence sans objet ? Quand j’entendais lire ces obscurs et murmurants passages, il me semblait sentir un parfum profond comme d’un oranger voilé.
Triste, dégoûté de tout, voyant sa sœur peu heureuse, sa mère peu consolante, craignant son père au point que, si au retour de ses courses sauvages il l’apercevait assis sur le perron, il se fût laissé tuer plutôt que de rentrer au château, le chevalier essaya en effet de mourir ; il s’enfonça dans un bois avec son fusil chargé de trois balles : l’apparition d’un garde l’interrompit. Il fit une maladie mortelle. Guéri, il était à Saint-Malo, près de passer aux Grandes-Indes, quand on le rappela pour un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre. Il quitte son père pour la dernière fois.
Ces Mémoires sont de temps en temps entrecoupés par des prologues qui marquent les dates et les situations contrastantes où l’auteur les composa. En 1821, M. de Chateaubriand, ambassadeur à Berlin, continue le récit de cette vie de jeunesse. Plus tard, c’est ambassadeur à Londres, qu’il décrira les misères de son émigration. Le premier voyage à Paris, en compagnie de mademoiselle Rose, marchande de modes, qui méprise fort son vis-à-vis silencieux ; l’entrevue avec le cousin Moreau, qui n’est pas le grand général, avec madame de Châtenay, cette femme de douce accortise ; l’amour de garnison au profit de Lamartinière, la présentation à Versailles, la journée de la chasse et des carrosses, tous ces riens plus ou moins légers du monde extérieur sont emportés avec une verve de pur et facile esprit à laquelle le sérieux poëte ne s’était jamais nulle part aussi excellemment livré. On a pu remarquer parfois dans les pages graves de M. de Chateaubriand quelques mots aigus qui font mine de sortir du ton, et qu’un goût scrupuleux voudrait rabattre. Ces mots ne sont le plus souvent que de l’esprit, de la verve comique et mordante, mais qui ne se présente pas en ces endroits à l’état direct et simple. C’est une veine refoulée qui engorge légèrement, pour ainsi dire, un style de plus profonde couleur. Mais dans les pages dont nous parlons, cette veine heureuse circule et joue au naturel ; elle fertilise dans le talent de M. de Chateaubriand des portions encore inconnues.
À Paris, le jeune officier fait connaissance avec des gens de lettres, et négocie, à force d’habileté et d’appui, l’insertion d’une idylle dans l’Almanach des Muses. Parmi ces figures de gens de lettres si vivement éclairées en quelques mots, on voit Parny, « poëte et créole, à qui il ne fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier, une femme, et dont la paresse n’était interrompue que par ses plaisirs qui se changeaient en gloire. » On y voit Delille de Sales, le philosophe de la nature, « qui (comme d’autres philosophes de nos jours) faisait en Allemagne ses remontes d’idées. » On y trouve La Harpe, arrivant chez une sœur de M. de Chateaubriand, avec trois gros volumes de ses œuvres sous ses petits bras. Flins y obtient une part moins belle que dans l’Essai, mais très-satisfaisante encore. Flins a beau être mort de toute la mort d’une médiocrité spirituelle, une goutte d’ambre est tombée sur son nom et le conserve ; il y a quelque chose de lui enchâssé dans la base de marbre de cette statue immortelle. Ginguené et Chamfort sont les moins indulgemment traités. En relisant l’Essai, j’ai désiré un milieu plus juste entre la louange première et la sentence trop rigoureuse qui durera.
On est en 89 ; la politique gronde. Il y a un épisode développé sur les États de Bretagne, sur la constitution et les troubles de cette province : les lignes majestueuses de l’histoire apparaissent. Mirabeau, avec qui l’auteur a diné plusieurs fois, et qu’il a souvent entendu, est peint de génie à génie. La vie confuse, remuée, enthousiaste, de ces années-là, s’anime devant nous. On suit les trois belles nièces de Grétry avec la foule dans les allées des Tuileries ; on reconnaît la belle madame de Buffon à la porte d’un club, dans le phaéton du duc d’Orléans.
C’est en cette année pourtant que le jeune homme, assez indifférent à la politique, dévoré de l’instinct des voyages, voulant visiter la scène naturelle de ce poëme des Natchez qu’il médite déjà, rêvant aussi la découverte du passage polaire, part pour l’Amérique, muni des conseils et des instructions de M. de Malesherbes dont son frère aîné est le petit-gendre. Il nous faudrait un autre jour tout entier, une reprise d’haleine nouvelle, pour pouvoir l’y suivre. On y verrait les types de Mina et de Céluta, les deux Floridiennes. Puis au retour, après le mariage, l’émigration ; la guerre au siège de Thionville, les veilles nocturnes du camp qui ont servi à peindre celles d’Eudore dans les Martyrs ; la blessure, le retour à Namur par les Ardennes où le poëte, qui a ébauché déjà Atala et René, est près de mourir d’épuisement ; Jersey, Londres ; la vie de misère et de noble fierté, l’Essai sur les Révolutions, l’histoire divine de Charlotte, et, à la nouvelle de la mort d’une mère pieuse, la pensée conçue, le vœu du Génie du Christianisme.
Quant à la seconde partie des Mémoires, nous aurions beaucoup à en dire, même en n’effleurant rien de toute la relation de Prague, de l’intérieur des princes déchus, ni de l’entrevue avec Madame de Berry. Mais la route, les grands chemins seulement, les rêves du poëte-ambassadeur, de Sterne-René, dans la vieille calèche autrefois construite à l’usage du prince de Talleyrand ; mais les paysages de Bohême, les conversations avec la lune où tous les souvenirs reviennent et se jouent, tantôt dans une moquerie légère, tantôt dans une ivresse voluptueuse qui ranime, comme sous des baisers, les plus chers fantômes ; mais Venise et la Zanzé de Pellico, et le Lido où l’enfant des mers salue avec amour ses vagues maternelles ; mais Ferrare, et la destinée du Tasse qu’il marie à la sienne, comme un poëme dans un poëme ; ce serait là matière à bien des réminiscences aussi, à bien des fuites sinueuses et des étincelles. Ne pouvant à loisir tout embrasser, nous finissons, pour donner une idée des grandes perspectives qui s’y ouvrent fréquemment, par une citation sur l’avenir du monde, que la bienveillance de l’auteur nous a permis de détacher. Après avoir piloté assez péniblement le lecteur en vue de nos côtes inégales, nous arrivons avec lui à la haute mer, et nous l’y laissons.
(Ici, dans la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1834, suivait l’extrait indiqué, trop long, par malheur, pour être reproduit en ce lieu.)