III. Un dernier mot sur M. de Talleyrand
Au dernier moment, M. de Chantelauze, avec qui M. Sainte-Beuve s’entretenait par lettres de tout sujet, mais surtout du cardinal de Retz, me laisse copier, dans une lettre de M. Sainte-Beuve, un passage qui est un premier mot de causerie sur Talleyrand. La préoccupation du maître était déjà tournée sur le personnage, et il m’a dit une fois que le sujet l’avait bien des fois tenté, sans qu’il eût jamais eu occasion d’écrire sur lui : « Mais il y a, ajoutait-il, un portrait à faire. » La lettre qu’on va lire, antérieure de près de deux ans à la publication des articles qui ont paru dans le Temps, me semble être le fruit et le résumé d’une opinion qui n’a pas changé :
« Ce 9 février 1867.
« Cher monsieur et ami,
« Je reçois et je lis cette seconde partie (d’un Mémoire sur le cardinal de Retz, inséré en appendice à la fin du tome V de l’édition définitive de Port-Royal), … Vous nous y faites voir, en effet. Retz bien misérable, et s’il a eu de l’amour-propre et du faste en public pendant sa période révolutionnaire, il le paye amplement par ces misères d’intérieur et ces petitesses qui nous sont révélées. Vous m’avez écrit dans le temps un mot qui me revient, que M. de Talleyrand ne serait qu’un enfant de chœur auprès de lui. Hélas ! M. de Talleyrand n’avait peut-être à son avantage de plus que Retz, qu’un grand sens, une vue plus juste des situations. Quant au fond, il était peut-être pire, certainement vénal et, de plus, malgré sa douceur apparente de mœurs et de ton, ayant si peu de scrupule pour les actes, qu’il y a trois points de sa vie qui font trois doutes presque terribles : la mort de Mirabeau, — l’affaire du duc d’Enghien, — l’affaire de Maubreuil. Je ne veux pas dire que deux ou trois doutes équivalent à une affirmation. Retz devait avoir un peu plus de générosité que lui… »
Et dans une autre lettre, très peu de temps après (23 février 1867), à M. de Chantelauze, M. Sainte-Beuve complétait ainsi son parallèle entre Talleyrand et Retz :
« … Vous avez mille fois raison sur M. de Talleyrand : Retz avait tout autrement d’essor, et auprès de lui le prince-évêque n’était qu’un paresseux, mais un paresseux qui a bien su prendre ses moments… »
Chacun de ces traits nous a paru bon à recueillir à côté de la grande esquisse dont M. Sainte-Beuve disait lui-même qu’on ne peut encore aujourd’hui, et tant que les Mémoires de M. de Talleyrand n’auront pas été publiés, écrire un travail complet sur celui qui résume le mieux en lui, dans les temps modernes, tous les sens du mot grec Ὑποκριτής.