Notice sur M. G. Duplessis118.
Le 21 mai dernier (1853), l’Université et la littérature ont perdu un homme qui leur avait rendu de longs, modestes et utiles services, M. Gratet-Duplessis, ancien recteur de l’académie de Douai.
Né à Janville (Eure-et-Loir), le 16 décembre 1792, M. Duplessis appartenait à cette génération qui fut la première à profiter de la renaissance des études et de cet heureux réveil qui se fit dans l’Université sous l’Empire. Quand de jeunes esprits partaient de cette impulsion première, donnée par M. de Fontanes, pour se porter bien au-delà, M. Duplessis était de ceux qui se bornaient à marcher d’un pas ferme dans la voie toute pratique de science solide et d’application positive, où le précédaient les Guéneau de Mussy et les Rendu. Il était de ce petit nombre qui continuait la tradition et comme la race de l’ancienne Université dans la nouvelle.
Entré dans l’Université vers 1811, il professa dans divers collèges, et passa bientôt à des fonctions administratives élevées. Proviseur au collège d’Angers, inspecteur de l’académie de Caen, puis deux fois recteur de l’académie de Douai, et, dans l’intervalle, recteur de celle de Lyon, il fut mis à la retraite sur sa demande en 1842.
Au milieu de ces services universitaires, M. Duplessis n’avait cessé de cultiver les lettres dans le sens le plus étendu, et selon un esprit et une méthode qui ne sont plus de ce temps-ci. Il savait à fond les deux langues classiques et savantes, et il y joignait la connaissance exacte de presque toutes les langues vivantes, l’allemand, l’anglais, l’espagnol, etc. Il lisait constamment dans ces diverses littératures ce qu’il y avait d’ancien, de plus rare ou de plus oublié, et ne se tenait pas moins au courant de ce qui s’y publiait de nouveau. Il lisait d’un bout à l’autre, sans ennui, sans impatience, la plume à la main, faisait des extraits pour lui, et n’en parlait jamais qu’à l’occasion, si on le questionnait et pour rendre service. C’était peut-être le plus infatigable et le plus désintéressé lecteur de ce temps-ci, et aussi le plus obligeant pour tous. Amateur des livres dans le vrai sens du mot, il les connaissait à la fois par le fond et par les particularités qui les distinguent. À la différence de bien des amateurs, il était désireux de connaître encore plus que de posséder. N’étant sollicité d’aucun désir de renommée et d’aucune ambition d’auteur, il n’a jamais écrit pour son compte que selon le loisir et l’occurrence. Lorsqu’en parcourant les manuscrits ou les vieux livres, il découvrait quelque pièce curieuse, inconnue ou très rare, et qu’il jugeait de quelque intérêt pour ses confrères les amateurs, il la faisait imprimer ou réimprimer à quelques exemplaires, et quelquefois dans les mêmes caractères gothiques que l’ancienne édition ; il faisait précéder la réimpression d’une petite notice, où il ne disait que l’essentiel, où il ne criait jamais à la découverte, et qu’il ne signait que de ses simples initiales (G. D.). Un grand nombre de ces réimpressions, qui sont dans les bibliothèques des curieux, ont été procurées, comme on disait autrefois, par les soins de M. Duplessis, à Lyon, à Caen, à Douai, ou à Chartres, pendant les séjours qu’il y faisait chaque année au sein de sa famille. Je citerai dans ce nombre : Les Faintises du monde de Pierre Gringore ; L’Advocat des dames de Paris, etc. ; Le Doctrinal des nouveaux mariés ; Le Doctrinal des nouvelles mariées ; Le Mirouer des femmes vertueuses, etc., etc. : ces petits livrets renouvelés du gothique qui se trouvaient il y a quelques années chez le libraire Silvestre.
Mais l’ouvrage dans lequel M. Duplessis a le plus montré sa complète connaissance des livres est la Bibliographie parémiologique ou études bibliographiques et littéraires sur les ouvrages et opuscules spécialement consacrés aux proverbes dans toutes les langues (1847). On peut dire qu’il y a épuisé la matière. Il y prend le mot de proverbe dans tous les sens, dans celui que lui donnait Sancho Pança, comme dans celui que lui ont donné les Carmontelle et les Théodore Leclercq. Proverbes français, italiens, allemands et anglais, y comparaissent tour à tour. De petites dissertations, des citations faites avec goût, des notules agréables y recouvrent la sécheresse du genre bibliographique et viennent égayer la nomenclature. M. Duplessis était de l’école de Ménage et de La Monnoye en érudition.
Comme les hommes d’antique science, de goûts studieux et innocents, il se passait quelquefois sa belle humeur en tenant la plumes. Les doctes du xvie siècle, les Étienne Pasquier et autres n’ont-ils pas eu ainsi leurs gaietés et leurs jeunesses ? M. Duplessis, pour obliger un éditeur de sa connaissance, a mis la main à quantité de petits recueils très bien faits, très agréablement assortis et honnêtement récréatifs, publiés la plupart sous le pseudonyme d’Hilaire le Gai. — Il préparait dans les derniers temps une édition des Pensées de La Rochefoucauld, qui doit paraître chez le libraire Jannet119.
C’est de près et dans l’intimité de chaque jour que l’on pouvait le mieux
apprécier le genre de mérite et d’utilité littéraire de M. Duplessis ; il a
lui-même cité ce mot d’un savant étranger : « La connaissance des
livres abrège de moitié le chemin de la science, et c’est déjà être très
avancé en érudition que de connaître exactement les ouvrages qui la
donnent. »
M. Duplessis savait tous ces chemins de la
littérature en chaque matière, et était toujours prêt à les indiquer. Il
s’était amusé à traduire un petit discours latin prononcé dans l’Assemblée
générale de Sorbonne le 23 décembre 1780 par l’abbé Cotton des Houssayes,
bibliothécaire de la maison, et où toutes les qualités et les devoirs du
parfait bibliothécaire sont exposés avec élégance et candeur (Techener,
1839) :
L’auteur de ce petit chef-d’œuvre presque inconnu, disait M. Duplessis, n’est guère connu lui-même que des littérateurs de profession. C’est qu’il appartenait à cette race, totalement éteinte aujourd’hui, de savants modestes et laborieux qui cultivent la science pour elle-même et qui trouvent plus de charme à orner et à fortifier leur intelligence dans le silence du cabinet, que de satisfaction à mettre l’univers dans la confidence de leurs moindres travaux ou de leurs plus insignifiantes découvertes.
Cette race n’était pas aussi totalement éteinte qu’il le croyait, puisqu’il traçait là, sans y songer, son propre portrait. Ceux qui, les après-midi, avaient le plaisir de le rencontrer d’habitude dans le petit cabinet où se réunissent chez M. Potier quelques amateurs de vieux livres, et où l’on cause d’un Elzévir ou d’un Vérard, d’un classique ou d’un conteur, ceux-là ont pu vérifier chaque jour l’étendue de ses connaissances, la certitude de ses informations, sa politesse discrète, affectueuse et communicative. Ces liaisons, commencées avec lui par le goût commun des livres, finissaient bientôt par une douce et essentielle amitié.