M. Armand Pommier26
I
Voici un nom lourd à porter quand on se destine à la littérature, car c’est le nom d’un des premiers poëtes de ce temps. C’est le nom d’un des plus vaillants poètes romantiques, qui n’a pas, lui, rendu son épée a l’Académie française, comme tant d’autres, et qui est toujours l’homme de la première heure, le clairon d’or pur que rien n’a faussé, et qui joue maintenant, dans cette misérable défaite littéraire dont nous sommes les témoins, les airs à outrance du cor de Roland à Roncevaux. M. Amédée Pommier, l’auteur des Crâneries, des Assassins, des Océanides, du Livre de sang, des Fantaisies, et qui n’a pas eu peur (il n’a peur de rien, et il a raison !) d’écrire un poëme intitulé L’Enfer après le poëme terrassant du Dante, M. Amédée Pommier fera obstacle involontairement de sa réputation acquise à tout homme du même nom que lui et qui débutera dans les lettres. M. Armand Pommier, l’auteur de La Dame au manteau rouge, dont il va être question aujourd’hui, n’est pas un débutant littéraire ; mais, sauf erreur, c’est encore un nouveau venu. Il a déjà publié un roman intitulé La Benjamine. Il a beaucoup de chaleur dans l’esprit et dans l’expression. Il se préoccupe de la manière d’écrire, et je lui crois une grande culture intellectuelle. Qui sait même s’il n’en a pas trop ? Il en montre trop… du moins… Quand ce qu’il sait par les livres pèsera un peu moins sur sa pensée, peut-être deviendra-t-il un observateur et un inventeur comme il faut l’être, quand on aborde le roman, notre dernière ressource de rajeunissement dans la décrépitude, où nous voilà, de toutes les formes dramatiques et littéraires !
Le roman qu’il publie aujourd’hui, et qu’il intitule aussi « une histoire dalmate », rappelle par le titre le livre vanté, beaucoup trop vanté, selon moi : la Femme en blanc, de Collins. La Dame au manteau rouge, comme la Femme en blanc, est un titre sans idée, un titre tout physique. Pourquoi pas La Dame en bleu, La Dame en jaune, La Dame aux bottines hortensia, à la sous-jupe rose ? On pourrait aller loin comme cela ! Tout titre doit faire rayonner l’idée du livre qu’il exprime, à moins que, comme Clarisse et tant d’autres chefs-d’œuvre, qui n’ont pour titre que le nom d’un personnage, il n’introduise dans la grande famille de l’observation humaine des types qu’on invoquera toujours. Clarisse, n’est-ce pas le type et l’idéal de la prude, et de la prude anglaise ? et Lovelace (le roman de Richardson eût pu s’appeler très-bien Lovelace) n’est-il pas l’idéal de la séduction impitoyable, comme on l’entend, chez cette grande race de flibustiers ? Ce n’est pas non plus simplement par le titre que La Dame au manteau rouge rappelle la Femme en blanc : elle la rappelle aussi par la curiosité qu’elle inspire, quoique cette curiosité soit d’un ordre différent. Le livre de M. Armand Pommier est d’un intérêt très-passionné, et même très-haletant, tout le temps que, le livre dure, mais on se repent presque de l’avoir éprouvé à la fin, parce que cet intérêt n’est nullement justifié par la grandeur du résultat qu’on attendait. Le dernier mot ne valait pas la peine d’être dit.
C’est là une faute, une faute immense. Il ne faut jamais tromper l’imagination, car elle s’en venge toujours d’une manière cruelle. Elle est comme l’homme brave qu’on a surpris et à qui on a voulu faire peur. Que M. Armand Pommier se rappelle Anne Radcliffe, cette vigoureuse bâtarde de Shakespeare, qui avait tant de noirceur et de frisson vrai dans le talent. La malheureuse n’a-t-elle pas joué toute sa vie à l’attrape-minette de l’horreur ? Eh bien ! elle y a attrapé son génie et sa gloire, et l’imagination qu’elle a trompée ne lui a jamais pardonné !
Je sais bien, il est vrai, que M. Armand Pommier court une autre bordée. Il veut bien avoir son terrible, comme Anne Radcliffe, mais il ne l’a pas pour nous dire, en nous faisant toucher les pièces de son décor et l’habit de toile cirée de ses fantômes : Avez-vous été bêtes d’y être pris ? Je vous ai joliment filouté votre chair de poule ! Cette insolente et lugubre farce ne pouvait être jouée qu’en Angleterre, le pays de la mystification immense, la terre du hoax ! M. Armand Pommier, qui a du conteur fantastique dans sa manière, n’est pas uniquement un conteur fantastique qui veut à tout prix impressionner l’imagination par le Surnaturel et par le Mystère. Il relève de plus haut. Il est fantastique dans le détail, mais il est scientifique dans son but. C’est un romancier physiologique. Or, les défauts de son livre, que je lui demanderai la permission de signaler, viennent justement de sa prétention et de sa préoccupation d’être un romancier physiologique. Ce sera pour la Critique une occasion, cela ! de dire une fois, sous forme d’idées générales, la part qu’il faut faire à cette chose moderne et envahissante qui entre partout et pénètre tout, et monte jusque dans le roman : la Physiologie !
II
C’est là, en effet, une question très-actuelle et très-grave, et qu’on ne peut pas écarter par une fin quelconque de non-recevoir superficielle. Bien des critiques l’écarteraient peut-être du haut d’un spiritualisme dédaigneux, mais moi, non ! Et Dieu sait si je ne fais pas pourtant le plus que je peux la guerre sans trêve et sans relâche au matérialisme, si partout où je l’aperçois je ne frappe pas dru sur son affreuse panse de Falstaff ! Mais la physiologie, cette grande étude des forces et des impondérables, n’est pas d’abord nécessairement matérialiste ; et, d’un autre côté, quoi qu’elle puisse être, c’est une science qui a la puissance des faits qu’elle affirme ou qu’elle recherche et dont on ne peut pas nous tenir compte, à l’heure qui sonne. Elle tient sous elle l’esprit humain ! Cette grande Inconnue à nos pères a versé, en ces derniers temps, tant de notions dans la connaissance humaine, qu’elle est certainement une formidable acquisition et un magnifique enrichissement pour toutes les facultés de l’esprit ; et l’imagination, comme les autres, a le droit, et je dirais presque le devoir, de se servir de ces notions qui tantôt ont leur certitude et tantôt leur mystère pour arriver à des effets de pathétique absolument nouveaux. C’est ce que Balzac, le plus grand romancier de notre temps et de tous les temps, sans exception, avait compris.
On ne peut pas dire précisément qu’il ait créé le roman physiologique, mais il lui donna le grand caractère que son génie donnait à tout, et par son exemple il imprima plus profondément la marque de cette influence du temps, à laquelle nul ne peut se soustraire sans s’appauvrir, à tous les romans qui suivirent les siens. Prenez-les tous, en effet, depuis les meilleurs jusqu’aux pires, et cherchez si la physiologie, si l’influence ou l’explication, ou le mystère, ou l’effet, ou le mot physiologiques, n’y sont pas visibles ou latents, sommeillants ou éveillés, à fleur ou à fond de sujet. Et même les romans qui n’étaient pas, de sujet, nettement physiologiques, ne pouvaient se défendre de la physiologie, ils la rasaient en une foule de choses, et ils se teignaient d’elle, en passant !
Eh bien ! ce n’est, certes, pas cela qui est un mal. C’est un bien, au contraire ! C’est un bien et un très-grand bien, puisque c’était pour les romanciers, lassés de battre le jeu de cartes toujours de la même façon, une force inespérée, une source d’effets de plus. La Critique, qui doit tout comprendre et tout embrasser, excepté le faux, la Critique, qui doit même se réjouir de ce que la science ait investi l’art d’une force nouvelle, devait non-seulement applaudir à l’influence physiologique dans le roman, et dans le roman de la moralité la plus spirituelle, mais elle devait même encourager, sous toute réserve, le genre spécial du roman, qui allait fatalement tendre à se constituer, et qu’on peut appeler le roman purement physiologique. Seulement elle devait en signaler l’écueil. Du moment, en effet, où, au lieu de mêler la lumière ou le phénomène physiologique aux faits humains pour en éclairer la profondeur — comme Shakespeare, par exemple, avant tout le monde, l’a osé d’une si admirable manière et avec tant de bonheur dans sa fameuse scène de lady Macbeth somnambule, — on va plus loin dans le sens de la physiologie, quand on se circonscrit et qu’on enferme son sujet tout entier dans le phénomène, il faut prendre garde, car le passage est dangereux ! On se retire de l’humanité pour entrer dans la maladie ! On s’enfonce dans quelque chose de formidablement exceptionnel, la monstruosité ! Et, le croirez-vous ? l’écueil de ce genre de composition sera toujours le bas prix auquel il met la curiosité et l’émotion qu’il fait naître. Ce sera toujours la facilité.
Oui, la facilité ; rien n’est facile comme le monstrueux, parce qu’il renverse les lois connues de la nature, et qu’il n’est jamais difficile de rêver le renversement d’une loi. Rien n’est facile comme de produire des effets, très-grands, je le veux bien, d’admiration ou de terreur, en cassant toutes les cordes de l’organisation humaine, cette lyre divinement accordée… Byron les produisit un jour dans son Vampire ; mais, on doit en convenir, même à part les vers, Conrad et Lara ont coûté plus de génie à lord Byron que lord Ruthwen, et l’émotion qu’ils produisent est d’un tout autre pouvoir sur l’imagination et sur le souvenir…
Et c’est cette facilité d’invention dans l’anormal à outrance, dans le phénomène physiologique, devenu pathologique, et devant lequel la Science elle-même se tait comme devant une question insoluble, c’est cette grossièreté dans l’étonnement ou dans la terreur que produit toute monstruosité, ardemment ou puissamment décrite, qui a perdu aujourd’hui M. Armand Pommier, malgré le talent qui agite et chauffe son roman. Il n’y prononce pas une seule fois le nom de « vampire. » Il a même des habiletés singulières pour nous voiler le dénoûment de cette histoire dalmate, dont le titre est une distraction et nous avertit trop : mais il n’en est pas moins vrai que La Dame au manteau rouge est une monstruosité à la façon de lord Ruthwen. C’est même mieux qu’une monstruosité. C’en est plusieurs. C’est une femme qui a la force musculaire du maréchal de Saxe, une beauté plus infrangible que celle de Ninon, qui n’alla modestement qu’à quatre-vingts ans en restant belle, la science occulte d’un Ruggieri, et la férocité voluptueuse d’un Héliogabale, avec une mysticité qui fait plus horreur que cette férocité voluptueuse, car les crimes spirituels sont les plus grands, l’Esprit devant être toujours à la tête de toutes les hiérarchies ! Tel est l’être échappant à toutes les lois et à toutes les catégories humaines, auquel M. Pommier, qui ne fait pas du tout du fantastique pour du fantastique, a prétendu nous intéresser, et, comme je l’ai dit, il nous y intéresse tout le temps qu’il ne peint que par dehors l’épouvantable créature, et que nous croyons qu’il y aura un défaut de cuirasse humaine dans cette organisation de l’enfer. Mais, quand nous savons qu’il n’y en a pas, que c’est là tout simplement un monstre, impénétrable au regard du moraliste comme au scalpel du chirurgien, l’intérêt, soulevé à l’aide d’invraisemblances prodigieuses, comme un poids difficile à enlever à l’aide de cabestans faussés, l’intérêt tombe à plat…, et on s’accuse même d’être inférieur et presque puéril de l’avoir un instant éprouvé !
III
Un semblable résultat, du reste, est-il dans toutes les circonstances un résultat inévitable ? Si, par exemple, au lieu d’être un écrivain de talent, mais d’un talent qui n’a pas encore toute sa portée, M. Armand Pommier, l’auteur de La Dame au manteau rouge, était une de ces fulgurances incontestées qu’on appelle un homme de génie, La Dame au manteau rouge pourrait-elle être une grande œuvre humaine, malgré la monstruosité du sujet ? Le Génie a de si glorieuses manières de nous surprendre et de déconcerter nos prévisions ! Mais, il faut bien le dire, il n’y a pas encore, en ce moment, de pareille œuvre dans la littérature du dix-neuvième siècle, et, quand la Critique se pose cette question-là, elle se fait l’effet de se pencher sur le bord d’un gouffre…
Seulement, disons que, quoi qu’il en puisse être et quoi qu’on puisse penser du génie, qui n’a pourtant jamais dit, et qui ne dira jamais le mot de ce fat de Calonne à une femme, et qu’il trompait encore ! « Si ce n’est qu’impossible, cela se fera », la part de la physiologie dans le roman, cette part dont nous parlions au commencement de ce chapitre, demandera toujours, en tout état de cause, au romancier qui voudra la faire, une grande réserve, une prudence profonde, et en sûreté de lui-même, ce que je nomme la souveraineté de la main.
En effet, même là où j’approuve et où j’apprécie l’influence de la physiologie sur le roman, dont elle sera, dans le monde moderne, une des gloires, je dirai que, même là, il ne faut procéder qu’avec des précautions infinies, car savez-vous de quoi il retourne ? Il retourne du roman lui-même, qu’il ne faut pas tuer sous prétexte de le grandir. J’ai cité Shakespeare, et je disais quel parti ce foudroyant intuitif avait su tirer dans Macbeth du phénomène somnambulique, de ce phénomène obscur encore aujourd’hui, et qui de son temps l’était bien davantage. Mais voyez avec quelle sobriété pleine et forte Shakespeare use de ce moyen physiologique à outrance pour arriver à des effets de terreur écrasants ! La scène où il décrit les symptômes du somnambulisme est courte. C’est un éclair.
Évidemment, au dix-neuvième siècle, avec l’influence physiologique qui pleut sur nos têtes, avec l’empoignement de l’Imagination publique par ces questions de magnétisme contre lesquelles les plus forts d’entre nous vont à chaque instant se cogner, évidemment les romanciers et les poëtes (dramatiques ou non dramatiques) devaient avoir une autre manière de toucher à cette corde mystérieuse du système nerveux humain, dont le génie de Shakespeare a tiré une vibration si déchirante, rien que pour l’avoir effleurée ! Cela n’a pas manqué : nous avons eu Balzac. Balzac a mis sa grande main d’organiste savant et inspiré sur tout le clavier de nos nerfs, tant éveillé depuis Shakespeare ; il a frappé plus longtemps et plus largement où le doigt de Shakespeare n’avait fait que pointer ce terrible accord qui s’en ira, retentissant, glacer la moëlle de tous les siècles ; mais hélas ! ce que nous avons entendu n’était plus si beau !
Tenté par toute voie d’invention nouvelle, Balzac, l’innovateur, a, dans un de ses derniers romans27, un roman de sa maturité, fait un emploi tout moderne du somnambulisme, et malgré sa puissance d’illusion, malgré le don qui était en lui de vivifier des chimères, il a troublé l’harmonie d’une de ses plus délicieuses créations. L’intérêt humain du roman a expiré, perdu dans la curiosité pathologique d’un descripteur de phénomènes inouïs, qui, s’ils contractaient un jour l’éternelle clarté de la certitude, en nous donnant (comme c’est la prétention des esprits qui les interprètent), l’abolition de toute distance, la transparence des corps et la vue immédiate des âmes, changeraient toutes les conditions des œuvres humaines, d’un seul coup, et chasseraient jusque du souvenir les littératures.
Telle pourtant a été, une fois, la faute de Balzac ; de Balzac, le plus physiologiste des romanciers ! Celui de tous qui a le plus réussi dans cette découverte moderne, la physiologie appliquée aux choses de l’âme, que, très-grand spiritualiste, il a aussi et à degré égal ! Or, si Balzac a pu se tromper un jour dans la mesure qu’il faut faire à la physiologie dans le roman, dans la discrétion d’artiste consommé qu’il faut avoir quand on touche à des phénomènes qui peuvent emporter ou défigurer votre œuvre, comme ces poisons et ces phosphores contre lesquels les chimistes mettent des masques de verre et qui pourraient, en s’éclatant, leur emporter le cerveau ! si Balzac enfin a échoué, mais échoué avec prestige, — comme l’homme qu’il était pouvait échouer, — que ne doit-il pas arriver aux romanciers moins opulemment doués que lui ?… Beaucoup d’entre eux, en proie aux préoccupations d’un temps auquel ne résiste pas leur faiblesse, se sont servis dans leurs livres de cette ressource d’un merveilleux si aisé maintenant, le somnambulisme.
Le premier d’entre eux tous, à coup sûr, M. Paul Féval, n’a pas été plus heureux que les autres. Dans sa Madame Gil Blas, où j’ai noté pourtant une scène très-belle, d’un tragique très-nouveau, inspirée par la physiologie (c’est un duel, horrible d’acharnement et de longueur, entre deux rivaux, au bord du lit d’une cataleptique, qu’ils croient morte, et qui, rigide, les voit, lus comprend, seul les coups qu’ils se portent et ne peut faire un cri, un geste, un mouvement de paupière pour les empêcher de se massacrer sous ses yeux ouverts, immobiles, marbrifiés par la catalepsie ! Or (c’est la cataleptique qui raconte elle-même ses sensations), dans sa Madame Gil Blas, M. Paul Féval a mis, pour n’en rien rapporter de grand, la main à ce plat, tendu à tout le monde, du somnambulisme, mais le somnambulisme, depuis Shakespeare, attend toujours l’homme supérieur qui l’emploiera avec la justesse et le surprenant dans le vrai qui est le secret du génie !
Viendra-t-il, cet homme-là ?… cet homme assez fort pour se mesurer avec ce phénomène étrange du somnambulisme, en restant un artiste humain, réel, et d’un effet aussi nouveau que le phénomène dont il saura le faire jaillir ?… J’ai pris le somnambulisme comme exemple des facilités misérables qu’un phénomène physiologique peut offrir aux esprits abaissés vers les choses faciles, et de la magnifique difficulté qu’il peut présenter aux esprits vigoureusement et fièrement amoureux de la difficulté ! Mais la question que j’ai remuée ici n’est pas limitée à un seul point, n’est pas étranglée dans un seul phénomène : c’est la question du roman physiologique avec toutes ses inventions et toutes ses témérités.
Je crois que l’auteur de La Dame au manteau rouge ne l’a pas comprise. Je crois qu’en voulant maintenir jusqu’au bout sa donnée physiologique d’une monstruosité complète, il a versé dans un genre de fantastique qui sera sa punition. Son livre d’aujourd’hui n’ira pas plus loin dans l’impression de ses lecteurs qu’un conte d’Hoffmann ou d’Edgar Poë, et même il n’ira pas si loin, car il n’a pas le sens halluciné, visionnaire, dansant entre le jour et l’ombre, des vrais fantastiques. C’est un esprit positif, qui a même la raillerie des esprits positifs, et qui, ne pouvant la mettre dans cette effroyable histoire de La Dame au manteau rouge, qu’il faudrait appeler La Buveuse de sang, l’embusque dans le titre des chapitres de cette histoire, et très-maladroitement, selon moi. Je n’aime point ces titres gouailleurs. Ils me font douter de l’originalité sincère du livre de M. Armand Pommier. Or, ce qu’il me faut avant tout, ce sont des livres sincères.
Qu’on soit tenté par ce qui est la grande tentation des romanciers de ce temps, la nécessité de faire entrer l’élément physiologique dans le roman, et qu’on succombe parce qu’on l’y a mis à doses trop larges et mal gouvernées, c’est un malheur, sans doute, quant au résultat ; une autre fois, on trouvera peut-être le point juste qui fera le succès.
Mais si, au lieu d’être une étude, une tentative consciencieuse d’art, le livre n’est plus qu’un parti pris, une mystification, une hypocrisie dans la redite de cette vieille histoire du Vampire, qu’on déguise en femme pour qu’on ne le reconnaisse pas et parce qu’on sait l’empire des femmes ! alors la Critique, qui a commencé par poser un cas littéraire, s’interrompt, ne voulant pas être plus dupe que le simple lecteur, et dit à l’oripeau couleur de sang :
— Passe donc ! je te reconnais, vieux masque !
Et à l’auteur, qui vaut mieux que son livre :
— Repassez avec un livre vrai !