MM. Delondre et Caro.
Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme
I
Il y a peut-être en ce moment plus de vingt éditions en Allemagne de ce livre de Feuchtersleben ; car il a bien fallu le temps de le traduire, et M. le docteur Schlesinger-Rahier l’a traduit sur la vingtième édition… Il a même plaqué ce glorieux numéro — vingt ! — sur la couverture de son livre, comme un conscrit, quand il est pris, plaque le sien sur son chapeau. Seulement, le docteur n’est pas un conscrit, et il n’y a de pris que le lecteur !
Je n’ai pas sous les yeux le texte allemand de cette traduction, qui est probablement très fidèle. Un médecin qui parle hygiène n’est pas excessivement compliqué. Ce n’est pas aussi difficile à traduire qu’un poète. D’ailleurs, quand on s’appelle Schlesinger, on doit savoir l’allemand. Et pourtant, malgré tous ces motifs de sécurité, je ne trouve pas le caractère germanique à ce livre de l’Hygiène de l’âme, à ce petit traité, gros comme rien et clair comme un verre d’eau, dont le succès, en France, ne m’étonnerait pas, — car, en France, on aime tant la clarté, qu’on aime même celle des verres vides ! — mais ce succès m’étonne en Allemagne, où, d’ordinaire, on préfère à tous les genres de livres les livres lourds. Nulle idéale lourdeur ne pourrait y avoir, en effet, un succès plus grand que cette mince chose transparente, à travers laquelle on voit si bien… ce qui n’y est pas, et qui nous donnerait presque à croire que les Allemands, à force de sauter par les fenêtres pour se faire vifs, ont enfin réussi à devenir légers.
Et pourquoi pas, du reste ?… Le progrès ne doit-il pas, un jour, amener une mutation de génie entre tous les peuples, et les noyer, ces génies différents, dans une fusion universelle ?… Est-ce que cela aurait déjà commencé ?… Feuchtersleben, au nom teutonique, comme son ami Grillparzer, qui révoltait jusqu’au gosier saxon de lord Byron ; Feuchtersleben fut un Allemand de la vieille roche. Il était baron du Saint-Empire tout autant que M. de Thunder-ten-Tronck. Il fut élevé à l’école de Marie-Thérèse, où l’on ne s’amusait pas, allez ! et où l’on faisait des héros contre l’ennui allemand, — celui qu’on respire et celui qu’on inspire, — puis il voulut être médecin, par vocation. La liqueur de Van Swieten l’empêchait de dormir. Eh bien, un pareil homme, qui fut un hégelien, parbleu ! comme tout Allemand se doit de l’être, au lieu de nous donner un livre savant, paradoxal et obscur auquel nous avions le droit de nous attendre, l’œuf d’autruche que tout Allemand est obligé de pondre à sa majorité pour peu qu’il soit passablement organisé, s’est contenté d’un œuf de linotte, c’est-à-dire d’un petit traité dans le format des petits livres de Flourens ! Par une espèce de trahison à sa nationalité, il a voulu être pratique. Il a poussé l’utopie (mais par là il est vrai qu’il se retrouvait Allemand) jusqu’à vouloir être le Franklin d’un Bonhomme Richard médical, et, quoiqu’il n’eût pas la brouette de Franklin, son livre n’en a pas fait moins rondement le tour de l’Allemagne, pour, après l’avoir fait, nous arriver en France, où tous les niais à surprise, ravis de voir un Allemand si peu Allemand, et tous les petits Voltaires du truism, vont lui préparer le plus bel accueil. En France, vous trouvez, pour peu que vous soyez étranger, aussi facilement des critiques que des commissionnaires pour porter vos paquets. Il y en a sur toutes les places ! Cela n’a pas manqué à Feuchtersleben. À peine traduit, M. Adrien Delondre et M. Caro se sont faits sur-le-champ les cariatides entrelacées du livre du médecin de Vienne, et nous l’ont apporté sur leurs deux têtes, ce livre léger, qui, du moins, ne les écrasera pas… heureusement pour la littérature !
II
Quant à moi, je dis brutalement, quitte à le prouver tout à l’heure : Je n’ai jamais vu de livre plus vide et qui méritât moins les empressements d’une critique sérieuse et sincère. La raison du succès de Feuchtersleben en Allemagne, je ne m’en occupe pas et je n’ai point à m’en occuper. Il y en a peut-être une qui tient à la langue, — à ce que la langue a de plus intime et de plus subtil, de plus impénétrable aux étrangers, de plus intraduisible dans une langue étrangère… Je veux le croire, pour l’honneur de Feuchtersleben. Mais en France, où nous sommes juges d’idées, si nous ne sommes pas juges d’expression, nous avons véritablement le droit de nous demander, après avoir lu le livre qu’on vient de traduire, quel motif peuvent avoir des critiques français pour se mettre en dépense d’articles et faire une renommée à cette chosette ?… Pour mon compte, je n’en parlerais pas, je n’aurais jamais songé à en parler, s’il n’était pas d’obligation, pour toute critique qui se sent, de réagir contre les importances ridicules faites à des livres qui, véritablement, n’en ont pas.
Or, le moyen de réagir le plus simple et le plus puissant qu’il y ait dans sa simplicité, c’est de demander à ceux qui, dans des articles développés, dans des articles de grande cérémonie, nous ont ressassé la cinquantaine d’anecdotes, à peu près, plus ou moins connues ou suspectes, dont Feuchtersleben a illustré son petit almanach de morale et d’hygiène, quel intérêt ils avaient à agir ainsi, si ce n’est l’intérêt d’un article à faire avec des anecdotes qui ne leur ont pas coûté un sou, puisque l’histoire des faits appartient à tout le monde, comme les lettres de l’alphabet ; si ce n’est, enfin, la ressource d’une copie trouvée dans un livre, commode quand l’imprimeur est là et que l’esprit n’y est pas,., ou, si vous voulez, n’y est plus ?
Et, en effet, prenez la critique de M. Adrien Delondre et prenez aussi celle de M. Caro, et cherchez si, avec l’éloge, — l’éloge de la reconnaissance probablement, — il y a autre chose sous la plume bréhaigne de ces messieurs que les faits déjà cités par le docteur, et s’ils ne sont pas aussi les traducteurs de la traduction de M. Schlesinger-Rahier ?… Pour M. Adrien Delondre, c’est d’une évidence qui saisit d’autant plus que son Étude (comme on dit) a été mise à la tête du livre par les éditeurs très intelligents, — ce qui, par parenthèse, fait un double emploi assez inattendu, et
c’est même la seule chose assez inattendue qu’il y ait dans cette petite publication de lieux communs qu’on nous donne là pour un ouvrage original, neuf et pensé avec énergie. Il est vrai qu’à tout cela M. Adrien Delondre ajoute ses sympathies, qui doivent être de grande considération et d’imposance pour le public. « Je me hâte de dire — écrit-il avec majesté — que le livre de M. de Feuchtersleben a toutes mes sympathies. »
Quant à M. Caro, qui ne fait point préface, qui se hâte moins dans l’expression de ses sympathies, et qui même se permet une pointe de critique contre l’idéalisme crépusculaire du docteur allemand, l’usage des anecdotes qu’il lui emprunte est moins frappant et visible que celui de M. Delondre, mais pourtant il n’a rien de crépusculaire, comme l’idéalisme qu’il reproche à ce chien et loup de Feuchtersleben !
Du reste, à part les anecdotes, nécessaires et si bien venues quand on n’a pas d’idées, M. Caro a, lui, pour vanter le livre de Feuchtersleben, des raisons que n’a pas M. Adrien Delondre, par exemple. M. Caro est très poli, et, cariatide qui gratte l’autre, parle d’une clarté et d’une justesse auxquelles M. Delondre l’a depuis longtemps accoutumé (formule neuve). — Mais, moi, je ne confondrai pas cependant ces deux messieurs ! M. Delondre a le charme et le bénéfice de l’obscurité. Il peut dire ce qu’il veut. Qu’importe ! Il peut trouver ce pauvre Feuchtersleben une tête énergiquement pensante et son Hygiène de l’âme un Novum organum… en raccourci. Qui s’en soucie ? — Et même lui ; car quel passé a-t-il à ménager ou à exposer en disant tout cela ? Tandis que M. Caro a l’inconvénient d’être quelque chose et d’avoir un passé quelconque. C’est un chrétien que M. Caro, du moins d’éducation et de tendance première. Je me rappelle toujours avec plaisir son Saint Martin.
Ce n’était pas de l’héroïsme. Décemment, l’auteur n’eût pas pu le signer du nom de « Polyeucte ». Mais, s’il ne brisait pas d’idoles, du moins il n’en consacrait pas. Or, depuis ce crépuscule (aussi !), depuis ce premier moment, qui n’était pas une aurore puisqu’elle n’a été suivie d’aucun jour, ç’a été toujours la même chose pour M. Caro. Il a continué d’unir à un christianisme trop silencieux, une philosophie trop peu sonore. Eh bien, on conçoit, n’est-il pas vrai ? qu’avec une conduite si prudente et si modérée, M. Caro, le professeur de philosophie, ne puisse se risquer à faire l’éloge de toutes les grandes philosophies qui s’en viennent scandaleusement d’au-delà du Rhin, et profite de l’occasion, quand elle lui est offerte, de louer les petites, qui ne sauraient le compromettre, et seulement pour rappeler qu’il est de l’état. Or, encore, telle est la babiole philosophique du professeur, docteur et baron de Feuchtersleben, — c’est un petit bijou spiritualiste, aussi bénin et innocent, à ce qu’il semble, que les bagues contre la migraine ; mais, en regardant bien, il l’est moins.
Vous pouvez présenter aux yeux qu’offenserait une philosophie trop vive toutes les facettes ternes de ce bijou très faux et cependant en faire jouer aux yeux dont vous êtes plus sûr l’étincelle hégelienne qui y est cachée, car cette étincelle, si petite qu’elle soit, elle y est !
III
Oui ! elle y est, mais il faut la faire jaillir ; il faut savoir la dégager des innocences qui l’entourent [et l’éteignent : « Persuadez-vous que votre santé est bonne — dit l’auteur de l’Hygiène de l’âme, qui a l’air de se moquer de vous, mais qui ne s’en moque point ; — persuadez-vous que votre santé est bonne, et elle pourra le devenir. »
Voilà l’innocence. Mais il ajoute : « C’est que la nature n’est qu’un écho de l’esprit, que l’idée est la mère du fait, et qu’elle façonne graduellement et nécessairement le monde à son image. »
Et voilà l’étincelle, l’étincelle de l’hégelianisme le plus pur ! C’est sur ce principe que « l’idée est la mère du fait », que le baron de Feuchtersleben aurait bâti son système, s’il avait su bâtir ; car ce principe, que l’Allemagne a depuis vingt ans appliqué aux sciences, aux religions, à l’art, à l’histoire, l’avait
pénétré, et il aurait pu l’appliquer à son ordre de connaissances et d’études, à la condition de posséder la vigueur de déduction que doivent avoir tous les grands esprits secondaires qui viennent après les inventeurs.
Certainement, cela n’eût pas été plus vrai que toutes les autres applications de l’hégelianisme dont la fausseté déborde autour de nous, mais cela eût été curieux, et, d’ailleurs, cela eût fait contre cette philosophie, qui est la possession intellectuelle de notre temps, une de ces fières preuves par l’absurde qui jettent bas une doctrine dans le mépris. Malheureusement, le petit baron de Feuchtersleben, si cher, pour le moment, aux professeurs de philosophie discrète, était, de fait, un esprit trop débile, malgré ses hygiènes et ses médications, pour lever la grande mécanique du système de Hégel et s’en servir avec ses petites mains de pygmée. C’était un pauvre souffreteux de naissance, mort, à quarante-huit ans, plus vieux que Fontenelle, qui en avait cent, mais qui s’était tout doucettement trempé dans un égoïsme meilleur que le Styx pour rendre un homme invulnérable.
Il ne ressemblait ni à Fontenelle, ni à ce Cornaro dont Flourens nous a raconté un jour la moqueuse histoire. Eux étaient des matérialistes positifs, qui attaquaient en eux la bête par les cornes, tandis que le baron de Feuchtersleben est le plus pur spiritualiste qui ait jamais existé, peut-être, dans le pays où
l’on voyage dans le bleu ! M. le docteur de Feuchtersleben, c’est le Platon du spiritualisme multiplié par Jocrisse, mais par Jocrisse qui aurait passé de France en Allemagne, qui y aurait pris des lettres de naturalité, puis y aurait gagné des lettres de noblesse, et y serait enfin devenu M. le baron de Feuchtersleben. Ce médecin, de par le spiritualisme, ne tue pas le corps au profit de l’âme, ce que font très bien les ascètes et les grands mortifiés religieux, mais il guérit le corps par la vertu médicinale de l’âme et l’empêche de mourir, — quoiqu’il soit très bien mort, lui, à la fleur de son âge, ou en plein fruit, si vous aimez mieux, et très inconséquemment aux préceptes du catéchisme de santé dont il vient de doter l’Allemagne ! Ces préceptes, je vous les dirai, et il les a fidèlement suivis, le pauvre homme ! Il avait basé toute son hygiène sur « le pouvoir qu’a l’homme d’établir l’équilibre dans son âme »
, chose aussi difficile à établir en nous qu’une santé éternelle ; et il s’équilibra. Trouvant, comme médecin, le mot d’Hyppel d’une vérité pleine de justesse : « L’imagination est le poumon de l’âme »
, il avait développé sa poitrine morale et ne craignait plus les courants d’air ! Il avait — avec un observateur très profond, dit-il, — remarqué que la musique « avait pour but la santé »
, — ce dont ne se doutait guères Beethoven, et il se régala de musique. Il avait aussi remarqué que l’Apollon du Belvédère est salutaire à la santé de celui qui le contemple,
et il avait beaucoup regardé l’Apollon. Il avait découvert que l’indécision est un spasme… Oui ! que le vers charmant de l’Irrésolu :
J’aurais mieux fait, je crois, d’épouser Célimène,
est un spasme ! Et il n’avait jamais été indécis, pas même d’écrire cela ! Il avait vu que Kant, d’abord d’une santé détestable, s’était radicalement guéri de tous ses maux : pleurésies, toux et gravelle, « par la grandeur de ses pensées »
, et il avait poussé les siennes aussi loin qu’elles pouvaient aller. « L’homme ayant toujours — nous dit-il — une disposition quelconque »
, ce qu’il n’est pas très téméraire d’affirmer, et la culture de cette disposition étant un remède assuré contre les maladies à naître, il avait cultivé les siennes, qui étaient celles d’un grand médecin, comme vous voyez.
Enfin, ayant parfaitement observé encore que le regret était la cause la plus active des maladies de poitrine, il avait supprimé de ses sentiments le regret. Et ce n’est pas tout ! Pour combattre l’hypocondrie, une maladie qui fut toujours la tête de Méduse pour sa perruque de médecin, il n’y avait qu’à méditer « l’idée de Dieu et ses lois éternelles »
, et il les avait méditées, et s’il eût pu devenir brahmane, il n’eût plus eu même une colique ; car on sait que jamais les brahmanes ne meurent du choléra-morbus ! Toujours il se garda de
l’apathie, qu’il appelle cependant divine ; et peut-être est-ce pour cela qu’il faut s’en garder ?
Le juste, le vrai, le bon, voilà la santé du corps ! s’écrie-t-il, comme s’il criait du cresson. Littéralement, tels sont les préceptes de ce traité de l’Hygiène de l’âme, qui n’est, de la première ligne jusqu’à la dernière, qu’un cercle vicieux, ou vertueux plutôt ; car ce fut, ma foi ! un honnête homme, que ce pauvre docteur, un de ceux-là dont les servantes disent : « Il était trop bête pour que le bon Dieu eût le courage de le damner ! » quoiqu’il ne fût pas La Fontaine !
IV
C’est le cercle, en effet, la tautologie, le paralogisme, la bêtise redondante, — car il faut bien dire les gros mots, puisqu’on a osé prononcer les grands, — ce sont enfin tous les sophismes badauds qui font le fond de ce petit livre, auquel une critique trop hospitalière veut faire les honneurs de chez nous. Il fallait laisser aux petits garçons d’Allemagne ce bâton de sucre d’orge intellectuel, puisqu’ils le trouvent bon, ou ces pilules de mie de pain morales, qui, du moins, ne leur feront pas de mal, comme on dit, si elles ne leur font pas de bien !
Un traité d’hygiène morale, la guérison du corps par l’âme humaine, — rien que cela !… On y avait déjà pensé. Ambition non médiocre, mais abandonnée, depuis longtemps abandonnée. Les stoïciens, qui n’étaient pas des médecins, eux ! l’ont eue. Seulement, ils s’obduraient le corps, ils ne se le guérissaient pas. Jamais l’obduration n’était complète, et, quand ils échouaient, ils se tuaient très bien.
Depuis eux, il est venu un médecin à facultés puissantes, qui a posé vigoureusement que la volonté, c’était la vie. Mais il y a perdu son latin, car il écrivait en latin. Et nous, qui sourions aujourd’hui de Stahl et de son système, nous ne ririons pas du baron de Feuchtersleben et de son almanach de sornettes, bon à vendre à la foire de Francfort ?
Une fois cependant, dans son traité de l’Hygiène de l’âme, cet excellent Feuchtersleben a oublié qu’il était philosophe et que l’épi rebelle de l’hégelianisme passe par-dessous sa perruque, et il a invoqué, le brave homme ! la religion comme un remède « contre la mauvaise humeur »
. Or, puisqu’il se servait pour une fois de la religion, pourquoi ne s’en servait-il pas pour toutes ? Il aurait vu alors que même la religion ne guérit que nos vices, et qu’elle nous donne souvent des maladies sublimes, — les maladies de nos vertus !
Sans doute, la modération dans les désirs, quand on a le moyen de se modérer, la résignation qui souffre la vie pour moins souffrir de la vie, le calme de l’intelligence qui comprend la nécessité, sont des conditions de santé jusqu’à un certain point, ce qui ne veut absolument rien dire puisque ces conditions sont sans solidité, éternellement menacées par l’imprévu, et peuvent être renversées… par le premier vent-coulis, qui plante un point de côté à Goethe ou à Kant, par exemple, et les emporte, malgré la défense ou le remède de « leurs grandes pensées » !
Il n’y a donc pas de panacée dans le livre du docteur Feuchtersleben ; il n’y a qu’une vieille thèse prise et reprise, l’action bienfaisante de la pensée sur la santé, — à laquelle on en peut opposer une autre, tout aussi vieille et tout aussi soutenue : l’action malfaisante de la pensée.
Celle-là, un diable d’homme, plus agréable à lire que le baron Feuchtersleben, le médecin de MM. Caro et Delondre, l’a rajeunie, et c’est Henri Heine… Henri Heine a prétendu, ma foi ! que tous les gens d’esprit étaient malades et devaient l’être, en raison même de leur esprit, et il a fait, dans ce style charmant qu’il a, même en français, ronfler ce paradoxe comme le plus vibrant et le plus étincelant tambour de basque, sous le pouce de sa fantaisie !
Il est vrai que Henri Heine se soucie peu de la précision scientifique, tandis que le baron de Feuchtersleben, qui s’en préoccupe, nous donne une idée de la sienne en écrivant sur Salvandy cette bonne phrase, par laquelle je veux finir : « Ce fut l’homme le plus
moral des temps modernes. »
Certes ! ce fut un galant homme que Salvandy, et il avait même, dit-on, une petite pente à augmenter son personnage ; mais « l’homme le plus moral des temps modernes ?? » Il reviendrait au monde, que lui-même ne le croirait pas.