(1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »
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(1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Marie-Thérèse et Marie-Antoinette.
Leur correspondance publiée par
M. le Chevalier Alfred d’Arneth60

L’Étude sur Marie-Antoinette semblait épuisée ; elle ne l’était pas. Grâce à une nouvelle publication imprévue, je ne dirai pas qu’elle recommence, mais elle se couronne, elle s’achève. Un écrivain allemand, M. Alfred d’Arneth, ayant à écrire une histoire de l’Impératrice Marie-Thérèse, s’occupa préalablement à rassembler une collection, aussi complète que possible, des lettres écrites par cette grande et laborieuse souveraine. « Son infatigable activité, nous dit-il, et l’habitude qu’elle avait de correspondre, non-seulement avec les nombreux membres de sa famille, mais avec les princes étrangers, avec ses conseillers et avec une foule d’autres personnes, me permettaient de penser que je ferais une ample moisson, et j’espérais pouvoir publier toute la Correspondance de Marie-Thérèse. » Malheureusement, M. d’Arneth dut renoncer en partie à ce projet : il rencontra des refus auprès de la plupart des familles nobles d’Autriche. Le souverain, en ceci, se montra plus libéral que les grands et que les particuliers, ce qui arrive quelquefois. M. d’Arneth eut communication entière des lettres de l’Impératrice à la plus illustre et la plus intéressante de ses filles, Marie-Antoinette, et c’est cette Correspondance tout intime qu’il publie aujourd’hui. Les lettres des deux princesses sont en français. M. d’Arneth, toutefois, a cru devoir en faire une publication allemande, en y mettant l’avertissement et les notes en allemand. Comme le livre n’est destiné qu’à ceux de sa nationalité qui lisent le français et qu’il s’adresse, en revanche, à tous les lecteurs français dont la majorité est loin de posséder l’allemand, il eût été de meilleure grâce à M. d’Arneth d’en faire une publication toute française. En daignant user de notre langue, il eût imité le procédé de Marie-Thérèse. Quand on fait tant que d’offrir un présent, il coûte si peu d’y mettre la façon61.

A cela près, nous devons toutes sortes de remerciements à M. d’Arneth. La Correspondance, peu agréable à première vue, est d’un intérêt sérieux à qui la sait bien lire. Je dis à dessein : A qui la sait bien lire. Des esprits amis du graveleux ont déjà pris cette publication par un bien petit côté62. On sait et l’on savait depuis longtemps par Mme Campan que Marie-Antoinette, après plus de sept ans de mariage, n’avait pas encore le droit de concevoir l’espérance d’être mère. Tout récemment, la Correspondance publiée par M. Feuillet de Conches, et si abondante en révélations de tout genre, avait confirmé le fait et l’avait déplus en plus précisé, en rapportant au voyage de l’empereur Joseph II à Paris un changement notable dû aux conseils de ce prince et à son intervention dans cette singularité matrimoniale. Naturellement, dans une Correspondance avec sa mère, Marie-Antoinette s’épanche et revient perpétuellement sur cet objet qui fait, à toutes deux, leur constante et vive sollicitude. Il est peu de lettres où elle n’en parle ; chaque grossesse de sa belle-sœur, la comtesse d’Artois, lui est un crève-cœur. Elle dissimule devant le monde et la Cour, mais elle souffre, et elle décharge son chagrin dans le sein de sa mère. Nous sommes, malgré quelques suppressions nécessaires que l’éditeur a faites par stricte convenance et dont il nous avertit, nous sommes, dis-je, presque aussi édifiés là-dessus aujourd’hui que le serait une matrone de confiance. On n’a pas plus exactement le journal de la santé de Louis XIV qu’on n’a présentement le journal des espérances ou des déceptions de Marie-Antoinette pour cette grossesse toujours reculée : on en suit tous les moments, on sait les époques. Sera-ce bientôt ? sera-ce cette fois ? Pas encore. Marie-Thérèse, qui se contente d’abord, après un espoir si longtemps stérile, de voir la jeune reine déguignonnée, dût-elle n’avoir la première fois qu’une fille, finit cependant par s’insurger ; elle demande à cor et à cri un garçon, un dauphin : « J’étais indiscrète, mais à la longue je deviendrai importune… il nous faut un dauphin… il nous faut absolument un dauphin (juin 1780). » Après dix ans d’attente, ce n’était pas trop. Ce vœu à la fois politique et maternel, il ne lui fut point donné de le voir exaucé. Elle mourut avant d’avoir vu sa fille mère de celui qu’on appelait l’héritier du trône.

Mais, encore une fois, c’est là un petit côté de la Correspondance nouvellement publiée : ce qu’on y doit considérer comme essentiel, c’est tout ce qui révèle la tendresse, la vigilance, le tact et le bon sens de la grande souveraine, s’adressant dans l’intimité à la plus jeune de ses filles qu’elle voit entourée de périls et de pièges, au milieu d’une Cour légère et à la tête d’une nation mobile, aussi prompte dans ses aversions que dans ses amours. La figure principale qui se dessine pour nous est celle de Marie-Thérèse. Marie-Antoinette est connue, et tout en gagnant à cette familiarité tendre, respectueuse et soumise, où elle achève de se produire, elle ne se montre à nous par aucun aspect vraiment nouveau. Tout au plus y voit-on quelques confidences plus nettes et plus franches qu’ailleurs sur les deux princes ses beaux-frères, le comte de Provence et le comte d’Artois. Elle a à s’expliquer avec sa mère, elle a à se défendre de certains bruits qui courent, et son besoin d’apologie la mène à dire sur ces deux personnages le fond de sa pensée et de ses sentiments. Elle parle du futur Louis XVIII comme d’un caractère faux, dissimulé, cauteleux, mêlé par goût dans des intrigues et y mêlant sa femme qui, « peur, bêtise ou inclination », le suit. Le comte d’Artois, lui, le futur Charles X, n’est qu’étourdi, pétulant, imprudent, tête vive et légère :

« Il est vrai que le comte d’Artois est turbulent et n’a pas toujours la contenance qu’il faudrait ; mais ma chère maman peut être assurée que je sais l’arrêter dès qu’il commence ses polissonneries, et, loin de me prêter à des familiarités, je lui ai fait plus d’une fois des leçons mortifiantes en présence de ses frères et de ses sœurs. (16 novembre 1774.) »

Quant au comte de Provence, il y a d’autres précautions à prendre avec lui ; ce n’est pas de ses familiarités en public et de ses gestes légers qu’on a à se méfier, c’est plutôt de ses coups fourrés ainsi que de ceux de sa digne épouse, qui est bien appareillée avec lui :

« Ils sont l’un et l’autre fort réservés et fort tranquilles, au moins en apparence. Madame est Italienne de corps et d’âme ; le caractère de Monsieur y est très-conforme : notre pli est pris, nous vivrons toujours sans division ni confiance, et je crois que le roi est comme moi sur cet article. (14 juillet 1775.) »

Cet article des deux beaux-frères revient fréquemment sur le tapis. Marie-Thérèse est mieux disposée pour Monsieur que pour le comte d’Artois. Marie-Antoinette remet les choses à point et leur fait leur juste part à l’un et à l’autre :

« Il est bien vrai qu’il (Monsieur) n’a pas les inconvénients de la vivacité et turbulence du comte d’Artois ; mais à un caractère très-faible il joint une marche souterraine et quelquefois très-basse ; il emploie, pour faire ses affaires et avoir de l’argent, de petites intrigues dont un particulier honnête rougirait. Par exemple, n’est-il pas honteux qu’un fils de France signe par-devant notaire un acte par lequel il achète de Mme de Langeac, maîtresse de M. de La Vrillière, une forêt que ce ministre avait attrapée au feu roi par Mme du Barry ? Malheureusement pour Monsieur, toutes ces menées commencent à être connues et ne lui laissent ni considération ni affection publique. Il a même eu quelque temps la réputation d’esprit, qu’il a perdue par quelqu’une de ses lettres qui ont paru dans le public et qui étaient peu honnêtes et très-maladroites. (12 novembre 1775.) »

Cette réputation d’esprit qu’on avait refaite à Louis XVIII devenu roi fut également compromise aux yeux de tous par la publication de ce pitoyable Voyage à Bruxelles et à Coblentz. Il avait certainement de l’esprit, mais un esprit calculé, apprêté, et de très-courte haleine. — Marie-Antoinette continue de nous éclairer sur les manèges et les tortuosité de l’auguste personnage ; elle et Louis XVI savaient à quoi s’en tenir sur ces secrets de famille qu’on nous révèle aujourd’hui :

« Je n’ai jamais oublié ce que ma chère maman me dit sur le caractère piémontais ; il va très bien à Monsieur, et, à cet égard, il ne s’est point mésallié. Je ne sais quel est son projet dans ce moment : nous vivions fort bien ensemble, et même, depuis quelque temps, on me faisait compliment de mes attentions pour lui et sa femme ; il a imaginé de chercher l’intimité, et, pour s’y introduire, il a écrit (c’est son expédient ordinaire dans les grandes affaires, quoique jusqu’ici il y ait assez mal réussi) ; sa lettre est adressée à un homme de sa maison, mais en même temps il lui a indiqué un homme en qui j’ai confiance, pour me la montrer. Il y a dedans beaucoup de phrases, de bassesse et de fausseté ; malgré cela, j’ai cru devoir en paraître la dupe et croire à tout ce qu’il disait. Je lui en ai parlé la première, en débutant par un reproche obligeant sur ce qu’il se servait d’un tiers avec moi. Depuis nous continuons à être sur le ton de l’amitié et de la cordialité ; à dire vrai, je crois qu’elle n’est, pas plus sincère d’un côté que de l’autre ; plus je les vois, et plus je suis convaincue que si j’avais à choisir un mari entre les trois, je préférerais encore celui que le Ciel m’a donné. Son caractère est vrai, et quoiqu’il est gauche, il a toutes les attentions et complaisances possibles pour moi. (15 décembre 1775.) »

Gauche et empêché, c’était, je le répète, le seul défaut de Louis XVI vis-à-vis de cette jeune princesse : il avait d’ailleurs toutes les bonnes intentions et toutes les vertus, excepté cette force qui est l’essence de la vertu même. Les deux autres frères viennent suffisamment d’être caractérisés ; dissimulation et fausseté chez l’un, polissonneries chez l’autre. Est-ce assez ? L’Ombre de Béranger doit être contente. Ne trouvez-vous pas que toutes ces Correspondances princières divulguées font, en définitive, les affaires de l’opinion populaire et de la démocratie ?

Le futur Louis XVIIl est même raillé dans ces lettres de la reine sur un article ou il eut toute sa vie plus de prétention et de fatuité que de réalité ; on avait dit que Madame était grosse et que Monsieur allait être père. Marie-Antoinette répond à ce bruit (16 août 1779) :

« Ce n’est absolument qu’un bruit de gazette que la grossesse de Madame. Elle est toujours au même point ; il y a eu un moment où l’on avait cru le contraire ; même Monsieur se vantait beaucoup ; mais la suite a bien prouvé que ce n’était qu’une gasconnade, et je crois qu’il restera toujours comme il est. »

Marie-Antoinette s’est chargée là de fournir une note historique à l’appui, pour une future édition des Chansons de Béranger : relisez Octavie 63.

Marie-Thérèse, ayant à guider de loin, à conseiller dans toutes ses démarches une si jeune dauphine, puis une si jeune reine, qui trouve si peu d’aide auprès de soi, mêle sans cesse dans ses lettres les recommandations d’une bonne mère à celles d’une impératrice. On pourra sourire de quelques détails qui sentent la maman. — Ayez plus soin de vos dents, on dit que vous les négligez. — Mettez un corset, crainte, comme on dit en allemand, d’élargir et de paraître déjà la taille d’une femme sans l’être. — Le monter à cheval gâte le teint, et votre taille à la longue s’en ressentira et paraîtra encore plus. — Les premières lettres sont remplies de ces prescriptions qui tiennent au corps, à la santé, et qui ont des conséquences morales aussi pour les personnes en évidence et dont toute la vie se passe en public :

« Je vous prie, ne vous laissez pas aller à la négligence ; à votre âge cela ne convient pas, à votre place encore moins ; cela attire après soi la malpropreté, la négligence et l’indifférence même dans tout le reste de vos actions, et cela ferait votre mal ; c’est la raison pourquoi je vous tourmente, et je ne saurais assez prévenir les moindres circonstances qui pourraient vous entraîner dans les défauts où toute la famille royale de France est tombée depuis longues années64 ; ils sont bons, vertueux pour eux-mêmes, mais nullement faits pour paraître, donner le ton, ou pour s’amuser honnêtement, ce qui a été la cause ordinaire des égarements de leurs chefs qui, ne trouvant aucune ressource chez eux, ont cru devoir en chercher au dehors et ailleurs. On peut être vertueux, gai et en même temps répandu ; mais quand on est retiré au point de n’être qu’avec peu de monde, il en résulte (je dois vous le dire à mon grand regret, comme vous l’avez vu dans les derniers temps chez nous), nombre de mécontents, de jaloux, d’envieux, et des tracasseries ; mais si on est répandu dans le grand monde, comme cela était ici il y quinze ou vingt ans, alors on évite tous ces inconvénients, et on s’en trouve bien pour l’âme et le corps. On est bien récompensé des petites gênes qu’on essuie, par le contentement et la gaîté qu’une telle conduite produit et conserve. Je vous prie donc en amie, et comme votre tendre mère, qui parle par expérience, ne vous laissez aller à aucune nonchalance ni sur votre figure, ni sur les représentations. Vous regretteriez, mais trop tard, d’avoir négligé mes conseils. Sur ce point seul ne suivez ni l’exemple ni les conseils de la famille ; c’est à vous à donner le ton à Versailles ; vous avez parfaitement réussi ; Dieu vous a comblée de tant de grâces, de tant de douceur et de docilité, que tout le monde doit vous aimer : c’est, un don de Dieu, il faut le conserver, ne point vous en glorifier, mais le conserver soigneusement pour votre propre bonheur, et pour celui de tous ceux qui vous appartiennent. (1er novembre 1770.) »

Une des recommandations continuelles de Marie-Thérèse à sa fille et qui reviennent sans cesse et jusqu’à satiété, c’est, après celles qui regardent la santé et la vocation à être mère, de se garder des coteries, des apartés, des sociétés privées où le sans-façon domine, de ne jamais oublier qu’on est un personnage en vue, exposé sur un théâtre, ayant un rôle à remplir ; de ne se relâcher en rien, de se surveiller soi-même en tout, dans les petites choses comme dans les grandes ; de mépriser le qu’en dira-t-on, mais aussi de ne point prêter à de justes reproches. D’autres pourront trouver, en lisant ces lettres, que Marie-Thérèse est bien minutieuse pour une si grande reine dont les actions appartiennent à l’histoire ; qu’elle entre ici dans de bien minces détails ; qu’elle traite la dauphine, et bientôt la jeune reine de France, comme elle ferait une petite fille à peine sortie de pension : pour moi, je suis frappé du caractère sensé, à la fois maternel et royal, de ses conseils, de la perspicacité qui, de loin, lui fait deviner le point faible et mettre le doigt sur ce qui a perdu en effet Marie-Antoinette dans l’opinion : l’esprit de dissipation et de frivolité, le favoritisme et le goût des coteries. Elle sait certainement, autant et mieux que personne, les heureuses et charmantes qualités de sa fille, de « cette gentille Antoinette », comme elle l’appelle ; est-ce à une mère tendre qu’il faut apprendre ces choses ? elle lui reconnaît ce don et ce bonheur de se faire aimer, qui est, selon elle, l’unique ressource et félicité de l’état de souverain :

« Vous l’avez si parfaitement acquis (ce bonheur), ne le perdez pas en négligeant ce qui vous l’a procuré : ce n’est ni votre beauté, qui, effectivement, n’est pas telle, ni vos talens, ni votre savoir (vous savez bien que tout cela n’existe pas), c’est votre bonté de cœur, cette franchise, ces attentions, appliquées avec tant de jugement. On dit que vous négligez de parler aux grands, de les distinguer ; qu’à la table, au jeu, vous ne vous entretenez qu’avec vos jeunes dames, en leur parlant à l’oreille, en riant avec elles. Je ne suis pas si injuste de vouloir vous interdire la conversation très-naturelle des jeunes gens que vous connaissez, de préférence à ceux que vous ne voyez qu’en grand public, mais c’est un point essentiel que la distinction des gens, et que vous ne devez pas négliger, l’ayant si bien acquis au commencement. Là-dessus aucune négligence, et n’imitez personne ; suivez ce que vous avez vu et appris ici. »

Elle ne cesse de conseiller à sa fille des lectures fortes, des lectures suivies ; elle attend tous les mois en vain la liste des livres sérieux que l’abbé de Vermond s’était chargé de procurer à la jeune princesse, et qui, on le sait aujourd’hui par les catalogues, étaient si absents de ses bibliothèques particulières :

« Tâchez de tapisser un peu votre tête de bonnes lectures ; elles vous sont plus nécessaires qu’à une autre, … n’ayant aucun autre acquit, ni la musique, ni le dessin, ni la danse, peinture et autres sciences agréables. »

Il est permis sans doute, surtout à son âge, de s’amuser, mais d’en faire son unique soin et de n’être occupée qu’à « tuer le temps entre promenades et visites », elle en reconnaîtra le vide et en sera un jour aux regrets. Elle doit apprendre de bonne heure à s’occuper de choses sérieuses et se rendre capable d’être utile à son époux, s’il lui demandait un avis et lui parlait amicalement des affaires. Les éloges se mêlent aux réprimandes, car on sent qu’elles sortent d’un cœur tendre et qui n’a en vue que le bonheur des siens :

« Je suis toujours sûre du succès, si vous entreprenez une chose, le bon Dieu vous ayant douée d’une figure et de tant d’agréments, joint avec cela votre bonté, que les cœurs sont à vous si vous entreprenez et agissez ; mais je ne puis vous cocher pourtant ma sensibilité : il me revient de toutes parts et trop souvent que vous avez beaucoup diminué de vos attentions et politesses à dire à chacun quelque chose d’agréable et de convenable, de faire des distinctions entre les personnes. On dit que vous vous négligez beaucoup sur ce point ; on l’attribue à Mesdames, qui jamais n’ont su s’attirer l’estime et la confiance ; mais ce qui est pire que tout le reste, on prétend que vous commencez à donner du ridicule au monde, d’éclater de rire au visage des gens : cela vous ferait un tort infini et à juste titre, et ferait même douter de la bonté de votre cœur ; pour complaire à cinq ou six jeunes dames ou cavaliers, vous perdriez le reste. Ce défaut, ma chère fille, dans une princesse, n’est pas léger ; il entraîne après soi, pour faire la cour, tous les courtisans, ordinairement gens désœuvrés et les moins estimables dans l’État, et éloigne les honnêtes gens, ne voulant se laisser mettre en ridicule, ou s’exposer à se devoir fâcher, et à la fin on ne reste qu’avec mauvaise compagnie, qui entraîne peu à peu dans tous les vices… Ne gâtez pas ce fonds de tendresse et de bonté que vous avez. (17 août 1774.) »

Et encore, — car cette morale générale n’est nullement en l’air et ne vient qu’à propos de rapports très-particuliers :

« Ne prenez pas pour humeur ou gronderie ce que je vous ai marqué ; prenez-le pour la plus grande preuve de ma tendresse et de l’intérêt que je prends à vous, de vous marquer tout ceci avec tant d’énergie ; mais je vous vois dans un grand assujettissement, et vous avez besoin qu’on vous en tire au plus vite et avec force, si l’on peut encore espérer de l’amendement. Mes conseils, ceux de l’abbé (de Vermond), ceux de Mercy, n’ont rien produit, n’ont pu vous garantir des inconvénients ; jugez combien j’en dois être affectée, et combien je voudrais, aux dépens de ma vie, vous être utile et vous tirer de l’abandon où vous vous êtes jetée. Il n’est pas étonnant que vous y êtes tombée, mais après que je vous fais voir les inconvénients, que je vous donne même les remèdes pour en sortir, vous seriez inexcusable si vous ne vous en tiriez. Je n’exige pas de vous que vous rompiez la compagnie que vous hantez, Dieu m’en garde ! mais je veux que vous demandiez conseil à Mercy de préférence à eux, que vous le voyiez plus souvent, que vous lui parliez de tout et que vous ne rendiez rien de ce qu’il vous dira aux autres ; que vous commenciez à agir par vous-même. Des complaisances outrées sont des bassesses ou faiblesses : il faut savoir jouer son rôle, si on veut être estimé ; vous le pouvez, si vous voulez vous gêner un peu et suivre ce qu’on vous conseille ; si vous vous abandonnez, je prévois de grands malheurs pour vous ; rien que des tracasseries et petites cabales qui rendront vos jours malheureux. Je veux prévenir cela et vous conjure de croire aux avis d’une mère qui connaît le monde et qui idolâtre ses enfants et ne veut passer ses tristes jours qu’en leur étant utile. Je vous embrasse tendrement ; ne me croyez pas fâchée, mais touchée et occupée de votre bien-être. (30 septembre 1774.) »

A un moment elle ne craint pas, elle, l’illustre Marie-Thérèse, de se comparer a ce triste et médiocre trio de Mesdames qui, avec leur vertu, jouaient un si pauvre rôle, et dont elle craignait la mauvaise influence sur sa fille :

« Ce qui m’a fait de la peine et m’a convaincue de votre peu de volonté de vous corriger, c’est le silence entier sur le chapitre de vos tantes, ce qui était pourtant le point essentiel de ma lettre, et ce qui est cause de tous vos faux pas… Est-ce que mes conseils, ma tendresse, méritent moins de retour que la leur ? Je l’avoue, cette réflexion me perce le cœur. Comparez quel rôle, quelle approbation ont-elles eus dans ce monde, et, cela me coûte à dire, quel est celui que j’ai joué !… »

On sourit à la seule idée d’une telle comparaison entre Mesdames, filles de Louis XV, et celle dont Frédéric, le glorieux rival et ennemi, a parlé comme « d’une grande femme, faisant honneur à son sexe et au trône. » Nous reviendrons sur ces jugements de Marie-Thérèse, portés par l’adversaire qui passa sa vie à se mesurer contre elle, et qui lui a rendu le plus digne, le plus historique des hommages.

Des mots terribles échappent de temps en temps à la plume de Marie-Thérèse, adjurant sa fille et la pressant de se corriger ; je sais qu’il n’y faut pas attacher un sens qu’ils n’ont pas et qu’ils ne pouvaient avoir au moment où elle les écrivait ; l’histoire aussi a ses superstitions rétrospectives, dont un esprit juste doit se garantir. Cependant les termes y sont, et il est impossible de ne pas en être frappé comme d’éclairs avant-coureurs :

« Il y a bien des mois que je n’entends rien de vos lectures, de vos applications : je ne vois plus rien là-dessus de l’abbé, qui tous les mois aurait dû m’envoyer vos amusements utiles et raisonnables ; tout cela me fait trembler : je vous vois aller avec une certaine sûreté et nonchalance à grands pas à vous perdre, au moins à vous égarer. (31 octobre 1774.) »

Et cinq ans après, quand Marie-Antoinette est reine, dans une lettre à l’abbé de Vermond, Marie-Thérèse laisse échapper ce même mot de sinistre augure et qui s’est trouvé trop prophétique :

« Je suis bien touchée de vos services et attachement qui n’ont pas d’exemple ; mais je le suis aussi de l’état de ma fille, qui court à grands pas à sa perte, étant entourée de bas flatteurs qui la poussent pour leurs propres intérêts (1776). »

Et pour le dire en passant, cet abbé de Vermond, tant attaqué et incriminé dans tous les mémoires du temps et toutes les histoires de Marie-Antoinette, se relève un peu, dans cette Correspondance, par l’estime constante et la confiance absolue que lui témoigne Marie-Thérèse : c’est là aussi un suffrage qui compte et qui vaut bien qu’on le mette en balance avec celui de Mme Campan. Cette dernière n’était pas au-dessus, par son caractère, des inimitiés d’antichambre, et elle a bien pu y céder dans ce qu’elle dit de l’abbé. J’ai tant vu d’injustices de ce genre et de faux jugements accrédités, à force d’être répétés, sur des personnes qui ne les méritaient pas, que je laisse toujours dans mon esprit une porte entr’ouverte à la contradiction et au doute.

Les sermons de Marie-Thérèse à sa fille, comme elle-même les appelle, renferment donc bien du vrai et dénotent beaucoup de prévoyance. Marie-Thérèse les redouble à partir de l’avénement de Louis XVI. Les premières lettres qui se rapportent au nouveau règne sont remplies d’effusions, et respirent la joie avec l’espérance. Tout retentit de la louange des jeunes souverains ; elle en est heureuse et comme transportée :

« Tout l’univers est en extase. Il y a de quoi : un roi de vingt ans et une reine de dix-neuf, et toutes leurs actions sont comblées d’humanité, générosité, prudence et grand jugement. La religion, les mœurs, si nécessaires pour attirer la bénédiction de Dieu et pour contenir les peuples, ne sont pas oubliées ; enfin je suis dans la joie de mon cœur, et prie Dieu qu’il vous conserve ainsi pour le bien de vos peuples, pour l’univers, pour votre famille et pour votre vieille maman que vous faites revivre. (16 juin 1774.) »

Elle y mêle de sages avis, de ne rien précipiter, de tout voir de ses propres yeux, de ne rien changer à la légère ni par un premier entraînement. Mais il n’y avait pas moyen d’en agir ainsi ; la France aime les coups de théâtre, les changements à vue, et il y a des moments irrésistibles. Le choix des nouveaux ministres paraît à Marie-Thérèse, comme à tout le monde, très-convenable : celui de M. de Maurepas seulement l’étonne. Elle l’attribue à Mesdames. Elle approuve fort les actes de bienfaisance et de clémence qui inaugurent ce règne de Louis XVI. « Qu’il est doux de rendre les peuples heureux, ne fût-ce même qu’en passant ! » Il n’y a qu’à continuer comme on a commencé. « J’aime dans cet instant les Français, s’écrie-t-elle ; que de ressources dans une nation qui sent si vivement ! » Que de ressources, mais que de périls aussi ! Marie-Antoinette est la première à le sentir :

« Il est bien vrai que les éloges et l’admiration pour le roi ont retenti partout ; il le mérite bien par la droiture de son âme et l’envie qu’il a de bien faire ; mais je suis inquiète de cet enthousiasme français pour la suite. Le peu que j’entends des affaires me fait voir qu’il y en a de fort difficiles et embarrassantes. On convient bien que le feu roi a laissé les choses en très-mauvais état, mais les esprits sont divisés, et il sera impossible de contenter tout le monde dans un pays où la vivacité voudrait que tout fût fait dans un moment (30 juillet 1774.) »

Bien vite, en effet, les nuages reviennent et les difficultés se prononcent. Marie-Thérèse voudrait à la fois que la jeune reine eût de la discrétion et de l’influence, qu’elle ne s’ingérât point dans les affaires, mais qu’elle y entrât doucement et s’accoutumât à les bien entendre :

« Je vous recommande toujours la lecture, unique moyen pour nous autres, et pour former nos idées et cœurs. Si l’on s’apercevait, surtout en France où on épluche tout et tire tout à conséquence, que vous n’entriez en rien, vous seriez bientôt déchue de tous ces applaudissements qu’on vous prodigue à cette heure. C’est le monde ; cela arrive à nous tous, plus tard ou plus tôt ; mais il faut donc se tenir dans une assiette telle que cela ne puisse arriver par notre faute. (30 novembre 1774.) »

Parole sage et vraie pour tous ceux qui sont acteurs, à quelque degré, sur ce vaste théâtre où chacun joue son rôle, grand ou petit, et doit avoir à cœur de le jouer de son mieux ! Il vient tôt ou tard un moment où le monde vous quitte, où le public qui vous avait porté se désenchante de vous, se retire de vous ; qu’au moins il n’y ait rien de notre faute. C’est Marie-Thérèse qui le dit.

Sa préoccupation s’étend à tout ce qui intéresse la réputation ou seulement le bon goût, le bon esprit de sa chère fille : elle ne peut croire, par exemple, à l’exagération des modes, à cette parure dite à la Marie-Antoinette, qui exhaussait tellement la tête et qui la chargeait d’un tel échafaudage de gazes, de fleurs et de plumes :

« Je ne peux m’empêcher de vous toucher un point que bien des gazettes me répètent trop souvent : c’est la parure dont vous vous servez. On la dit depuis la racine des cheveux de 36 pouces de haut, et avec tant de plumes et rubans qui relèvent tout cela ! Vous savez que j’étais toujours d’opinion de suivre les modes modérément, mais de ne jamais les outrer. Une jeune jolie reine, pleine d’agréments, n’a pas besoin de toutes ces folies, au contraire la simplicité de la parure fait mieux paraître et est plus adaptable au rang de reine ; celle-ci doit donner le ton, et tout le monde s’empressera de cœur à suivre même vos petits travers ; mais moi qui aime et suis ma petite reine à chaque pas, je ne puis m’empêcher de l’avertir sur cette petite frivolité, ayant au reste tant de raisons d’être satisfaite et même glorieuse sur tout ce que vous faites. (15 mars 1775.) »

Marie-Antoinette se justifie de son mieux, et par un mot qui coupe court à tout : C’est la mode, c’est l’usage :

« J’enverrai à ma chère maman, par le prochain courrier, le dessin de mes différentes coiffures ; elle pourra les trouver ridicules, mais ici les yeux y sont tellement accoutumés qu’on n’y pense plus, tout le monde étant coiffé de même. »

Marie-Thérèse est plus dans le vif, lorsqu’elle se plaint de ces courses continuelles au bois de Boulogne et ailleurs avec le comte d’Artois, sans que le roi s’y trouve :

« Vous devez savoir mieux que moi que ce prince n’est nullement estimé et que vous partagez ainsi ses torts. Il est si jeune, si étourdi ; passe encore pour un prince ! mais ces torts sont bien grands dans une reine plus âgée et dont on avait tout autre opinion. Ne perdez pas ce bien inestimable que vous aviez si parfaitement. Une princesse doit se faire estimer dans ses moindres actions, et point faire la petite maîtresse ni en parure ni dans ses amusements. On nous épluche trop pour ne pas être toujours sur ses gardes. (2 juin 1775.) »

A propos de parure, il y a une histoire de bracelets qui préoccupe avec raison la très-sage souveraine :

« Toutes les nouvelles de Paris annoncent que vous avez fait un achat de bracelets de 250 mille livres ; que, pour cet effet, vous avez dérangé vos finances et vous êtes chargée de dettes, et que vous avez, pour y remédier, donné de vos diamants à très-bas prix ; on suppose après que vous entraînez le roi à tant de profusions inutiles, qui depuis quelque temps augmentent de nouveau et mettent l’État dans la détresse où il se trouve. Je crois ces articles exagérés, mais j’ai cru qu’il était nécessaire que vous soyez informée des bruits qui courent, vous aimant si tendrement. Ces sortes d’anecdotes percent mon cœur, surtout pour l’avenir. (2 septembre 1776.) »

Cet article des bracelets n’était pas faux. Il n’y eut pas seulement des bracelets vendus vers ce temps à la reine par le joaillier Bœhmer, mais encore des boucles d’oreilles en diamants dont Mme Campan a parlé. Marie-Antoinette glisse le plus qu’elle peut sur ce sujet dans sa réponse à sa mère :

« Je n’ai rien à dire sur les bracelets ; je n’ai pas cru qu’on pût chercher à occuper la bonté de ma chère maman de pareilles bagatelles. »

Pardon ! pardon ! ô la plus aimable et la plus infortunée des reines ! ce n’étaient pas là, comme vous le pensiez, des bagatelles. Le destin, ou ce qu’on appelle ainsi, ne vient jamais seul : on en est toujours, à quelque degré, complice. Sans cette affaire de bracelets et d’autres pareilles, on n’aurait peut-être jamais eu l’idée du fameux collier, et tout ce roman infamant qui s’y rattache n’aurait pas eu prétexte de naître.

Aussi, malgré toutes les explications et les excuses de l’aimable reine pour atténuer des torts où il y avait souvent plus d’apparence que de fond, Marie-Thérèse insiste ; elle sait les conséquences : la malignité tire parti de tout ; l’opinion est chose qui compte. Ce qu’une reine paraît être importe plus encore, humainement parlant, que ce qu’elle est. L’auguste mère voudrait donc qu’auprès du roi il y eût une épouse, compagne constante, amie fidèle, confidente sûre, entendue aux affaires, capable de raisonner de tout avec lui, et, au besoin, de le soulager, peut-être même de prendre à certains moments un ascendant salutaire. Marie-Antoinette a écrit à sa mère que MM. Turgot et de Malesherbes ont quitté le ministère, et elle avoue qu’elle n’est pas fâchée de ces départs-là. Un tel mot ne passe point sans être relevé et sans donner occasion à toute une tendre mercuriale :

« Je suis bien contente que vous n’avez point de part au changement des deux ministres, qui ont pourtant bien de la réputation dans le public et qui n’ont manqué, à mon avis, que d’avoir trop entrepris à la fois. Vous dites que vous n’en êtes pas fâchée ; vous devez avoir vos bonnes raisons ; mais le public, depuis un temps, ne parle plus avec tant d’éloge de vous, et vous attribue tout plein de petites menées qui ne seraient point convenables à votre place. Le roi vous aimant, ses ministres doivent vous respecter ; en ne demandant, rien contre l’ordre et le bien, vous vous faites respecter et aimer en même temps. Je ne crains pour vous (étant si jeune) que le trop de dissipations. Jamais vous n’avez aimé la lecture, ni aucune application ; cela m’a donné souvent des inquiétudes. J’étais si aise, vous voyant adonnée à la musique ; je vous ai si souvent tourmentée pour savoir vos lectures, pour cette raison ; depuis plus d’un an, il n’est plus question ni de lecture, ni de musique, et je n’entends parler que des courses de chevaux, des chasses de même, et toujours sans le roi, et avec bien de la jeunesse non choisie : ce qui m’inquiète beaucoup, vous aimant si tendrement. Vos belles-sœurs font tout autrement, et j’avoue, tous ces plaisirs bruyants, où le roi ne se trouve pas, ne sont pas convenables. Vous me direz : Il les sait, il les approuve. Je vous dirai qu’il est bon, et pour cela vous devez de vous-même être plus circonspecte et lier vos amusements ensemble. A la longue vous ne pouvez être heureuse que par cette tendre et sincère union et amitié. (30 mai 1776.) »

Ne croyez pas cependant que tout cela passe sans réponse ; Marie-Antoinette qui n’a pas seulement de la grâce, mais qui a un bon jugement quand son attention est appelée sur un point, se justifie assez bien en général ; elle coule sur de certains reproches, elle se défend mieux sur d’autres, et, en ce qui est de l’exemple de ses deux belles-sœurs qu’on lui oppose, elle répond ici en vraie femme et avec beaucoup de finesse :

« Je n’ai rien à dire contre mes belles-sœurs avec qui je vis bien ; mais, si ma chère maman pouvait voir les choses de près, la comparaison ne me serait pas désavantageuse. La comtesse d’Artois a un grand avantage, celui d’avoir des enfants ; mais c’est peut-être la seule chose qui fasse penser à elle, et ce n’est pas ma faute si je n’ai pas ce mérite. Pour Madame, elle a plus d’esprit, mais je ne voudrais pas changer de réputation avec elle. »

Il reste évident et plus qu’évident, par ces citations surabondantes, que Marie-Thérèse a parfaitement saisi le faible de sa fille et ce qui a annulé chez elle tant de nobles et charmantes qualités. On rabattra tant qu’on voudra des pronostics, mais ils éclatent à chaque page, et ces mots sont écrits en toutes lettres dans la Correspondance : « Vous perdez beaucoup dans le public, mais surtout chez l’étranger… Votre avenir me fait trembler. » Ce dernier mot est dit à l’occasion des jeux de hasard, dont la reine donnait l’exemple et qu’elle favorisait.

Nous assistons depuis quelque temps, en France, à une véritable croisade des éditeurs et des biographes en l’honneur et pour l’entière glorification de Marie-Antoinette. Cette Correspondance judicieuse vient avertir à temps de ne point pousser les choses à l’extrême et de cesser d’exagérer dans le sens poétique ou chevaleresque. De ces deux nobles femmes je ne voudrais certes point paraître sacrifier l’une à l’autre ; il serait cruel et presque impie de venir s’armer des paroles confidentielles d’une mère comme d’une déposition aggravante contre la fille. Les pièces toutefois subsistent, et l’histoire a ses jugements inflexibles. Deux vérités sont désormais en présence et incontestables : Marie-Antoinette s’est perdue en grande partie elle-même par toutes ses imprudences, et Marie-Thérèse avait prévu tous les dangers, y compris ceux de la coterie Polignac dont elle aperçut et dénonça, avant de mourir, l’influence fatale. Qui n’aurait cru, à cette date, de telles alarmes exagérées ? Elles ne l’étaient point pourtant. C’est qu’au milieu de ses anxiétés et de ses sollicitudes de mère Marie-Thérèse avait le bon sens d’une grande reine. Allez au fond : dans ces règnes longs et glorieux que la reconnaissance ou l’admiration des contemporains ont consacrés, vous verrez que c’est le bon sens, « ce maître de la vie », qui y a présidé, au moins autant que la grandeur d’âme. Il n’y a pas eu de grand règne sans bon sens.

Il me reste à parler d’un sérieux épisode politique qui a sa place dans cette Correspondance, aux années 1778-1779, et qui nous montre Marie-Thérèse aux prises encore une fois avec le grand Frédéric, son antagoniste habituel. Cela vaut bien la peine de s’y arrêter.