Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry.
Les discours prononcés chaque année à la rentrée des Cours impériales et de la Cour de cassation roulent d’ordinaire sur d’importants sujets, et sont quelquefois de véritables études concernant des personnages historiques qui n’appartiennent pas seulement à la magistrature, et qui intéressent tous les ordres de lecteurs. Cette année même, j’ai remarqué deux de ces discours d’un genre bien différent : l’un prononcé à Paris pour la rentrée de la Cour de cassation par M. l’avocat général Charrins, et qui nous offrait un vivant portrait du très-éloquent avocat de Toulouse, défenseur heureux de tant d’accusés politiques, M. Romiguières ; l’autre prononcé à Chambéry par M. Maurel et traitant de l’une des gloires du pays, Vaugelas, lequel se trouve, par une singulière destinée, avoir été en son temps l’organe accrédité du meilleur et du plus pur parler de la France. Je m’arrêterai à ce dernier sujet, qui est tout littéraire, et je ne rougirai pas d’insister à mon tour sur un point et un moment de l’histoire de la langue qu’un studieux magistrat n’a pas craint de signaler à notre attention.
Ce moment mérite, en effet, un examen tout particulier et se présente avec un caractère
distinct qui ne se retrouve à nulle autre époque de notre littérature. Malherbe et Balzac
étaient venus et avaient donné des exemples de haut style, l’un du style lyrique le plus.
généreux et le plus lier, l’autre de la prose oratoire la plus soutenue et la plus
élégante, même dans son emphase. Tous deux avaient inauguré une ère nouvelle pour la
langue. Il était évident désormais, à voir ces deux colonnes debout, isolées, d’un orgueil
et d’un aspect triompha], qu’on était entré dans une voie vraiment moderne, et qu’après un
temps d’anarchie et de confusion, on visait à la règle et à l’unité dans la grandeur. Mais
que d’espace il restait encore à parcourir avant d’arriver à cette fin désirée dont on
commençait à avoir l’idée et le sentiment ! La forme était conçue et indiquée, mais la
forme seule, indépendamment du fond. Ce qu’on éprouve au sortir de la lecture de Balzac
peut exactement s’exprimer par le mot de M. de Talleyrand, devant qui on louait, un jour,
je ne sais plus quel discours élégant : « Ce n’est pas le tout de faire de belles
phrases, dit-il, il faut avoir quelque chose à mettre dedans. »
Et la forme elle-même, la phrase, la prose (pour ne prendre qu’elle), combien elle était loin d’être assurée dans sa régularité par ce magnifique et un peu vide exemple des Lettres de Balzac (1624) ! Que ne restait-il pas à faire aux écrivains pour le détail de la diction, pour la souplesse, pour la grâce, la douceur, et l’application heureuse et facile à tous les sujets ! Ce singulier état de transition allait se prolonger durant bien des années encore. La fondation de l’Académie française par Richelieu (1635) ne fut que la reconnaissance publique et, pour ainsi dire, la promulgation officielle de ce besoin des esprits qui réclamait plus ou moins son organe et son Conseil supérieur de perfectionnement en fait d’élocution. A côté de l’Académie, soit en dehors d’elle ou dans son sein, mais dans un parfait accord et concert avec ses principaux membres, un homme en particulier eut l’honneur de comprendre mieux que personne cette disposition de son temps, de se vouer uniquement à la servir, à l’éclairer ; il eut la pensée et la patience de s’établir durant de longues années dans un coin propice, non pour régler, mais pour relever au fur et à mesure, pour surprendre et constater les faits de langage, à simple titre de témoin scrupuleux et fidèle. Cet homme, ce grammairien modeste, attentif, non décisif, d’un genre et d’une nature si à part, et qui mérite une définition précise non moins qu’une estime singulière, c’était un gentilhomme de Savoie, venu de bonne heure à la Cour, — c’est Vaugelas.
De sorte que l’on peut dire sans trop d’exagération et en résumant son rôle d’une manière pittoresque et sommaire : La langue française avait fait une année de rhétorique brillante avec Balzac ; que dis-je ? elle avait fait, depuis Malherbe, ses preuves d’une poésie bien autrement éclatante et sublime avec le Ciel (1636), elle avait fait acte de haute et neuve philosophie avec Descartes par le Discours de la Méthode (1637), lorsqu’elle eut le courage de se remettre à la grammaire avec Vaugelas, — à une grammaire non pédantesque, humaine, mondaine, toute d’usage et de Cour ; non pas du tout à une grammaire élémentaire, mais à une grammaire perfectionnée, du dernier goût et pour les délicats. Avant de passer à d’autres chefs-d’œuvre, elle sentit le besoin de se donner un dernier poli. C’est cette période d’intervalle et d’élaboration que je tiens à bien définir, en la rattachant à l’individu et au nom qui la personnifie le mieux.
I.
De toutes parts et de quelque côté qu’on tourne les yeux, dans cet espace de vingt ans
qui sépare le Cid des Provinciales (1636-1656), il
se fait sensiblement une grande éducation du goût, ou plutôt de la politesse et de la
culture qui doivent bientôt amener le goût. Tandis que Corneille redouble et produit sur
la scène cette série de chefs-d’œuvre grandioses et trop inégaux, l’éducation des
esprits se poursuit concurremment et se continue de moins haut par les romans des
Gomberville, des Scudéry, par les traductions de d’Ablancourt, par les lettres des
successeurs et des émules de Balzac et de Voiture, par les écrits théologiques d’Arnauld
et de Messieurs de Port-Royal : — autant d’instituteurs du goût public, chacun dans sa
ligne et à son moment. On a surtout, au centre du beau monde, entre la Cour et la ville,
l’hôtel de Rambouillet qui est comme une académie d’honneur, de vertu et de belle
galanterie, et qui institue le règne des femmes dans les Lettres ; on a, grâce à
Richelieu, l’Académie française qui, sans rien produire ou presque rien en tant que
compagnie, prépare sans cesse à huis clos, agit sur ses propres membres et dirige
l’attention des lettrés sur les questions de langue et de bonne élocution. Il n’y avait
point, à cette heure, d’arbitre unique et souverain du langage et du goût, comme l’avait
été précédemment Malherbe, comme le sera plus tard Boileau : on avait seulement la
monnaie de ce dictateur littéraire dans les premiers académiciens, Sérisay, Cérisy,
Conrart, d’Ablancourt, Chapelain surtout, « homme d’an très-grand
poids ! »
On désignait tout bas Patru comme le futur Quintilien. Mais
personne, je le répète, ne rendit en ce temps un plus réel et plus signalé service à la
langue que ce grammairien médiocrement philosophe, excellemment pratique, sage, avisé,
poli, scrupuleux, dont on plaisante quelquefois, mais qu’on estime dès qu’on y regarde
d’un peu près. Il n’y a pas longtemps que, me trouvant distrait et peu capable d’un
travail suivi, je me mis, à mes menus instants et dans mes quarts d’heure de loisir, à
refeuilleter tout Vaugelas. C’est une lecture qui ne fatigue pas, et qui se quitte ou se
reprend aisément. J’y ai retrouvé bien d’agréables et de curieux détails, de piquantes
anecdotes de langue, et surtout la fidèle image de cet état de croissance dernière où
l’on sentait la perfection venir de jour en jour et s’achever comme à vue d’œil. Ne nous
moquons pas de Vaugelas.
Nous savons, tous, par cœur les vers des Femmes savantes dans lesquels il est question de lui. Le bonhomme Chrysale, entre autres passages, poussé à bout par le purisme de sa sœur, de sa femme et de sa fille, s’écrie :
Une pauvre servante au moins m’était restée,Qui de ce mauvais-air n’était point infectée ;Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracasA cause qu’elle manque à parler Vaugelas !
De ce que Vaugelas est nomme jusqu’à cinq fois dans cette comédie, Auger conclut qu’il
était en grande recommandation et qu’il passait pour « le législateur du
langage. »
Lui-même pourtant, Vaugelas, eût récusé ce dernier titre trop
magnifique. Ce qu’il a été plus véritablement, ç’a été le greffier de
l’usage. Il a passé sa vie à observer cet usage en bon lieu, à en épier, à en
recueillir tous les mouvements, toutes les variations, les moindres incidents
remarquables, à les coucher par écrit. C’était un véritable statisicien du langage. C’est encore, si l’on veut, un botaniste venu à propos
qui a fait l’herbier de la Flore régnante, de celle qui devait être à peu près
définitive.
II.
Cet homme au parler si pur était né non à Chambéry, comme on l’a cru d’abord, mais à
Meximieux, dans l’ancien Bugey, province de Savoie. Il était le sixième fils cadet du
président Favre, célèbre jurisconsulte, ami de saint François de Sales et de d’Urfé. Son
père avait rendu des services à la France lors du mariage de Madame de Savoie, fille de
Henri IV, et avait obtenu de Louis XIII une pension de deux mille livres pour son fils
Vaugelas, alors établi en France, pension assez mal payée de tout temps. Vaugelas fut
gentilhomme ordinaire, puis chambellan du duc d’Orléans, Gaston, et le suivit en toutes
ses aventures. Il fut gouverneur, sur la fin de sa vie, des enfants du prince Thomas (de
Carignan), dont l’un était sourd-muet, et l’autre bègue. « Quelle destinée,
disait Mme de Rambouillet, pour un homme qui parle si bien et qui
peut si bien apprendre à bien parler, qu’être gouverneur de sourds et
muets ! »
Tallemant dit que ce fut Mme de Carignan
« qui fit mourir ce pauvre M. de Vaugelas, à force de le tourmenter et de
l’obliger à se tenir debout et découvert. »
— Quand Vaugelas était à Paris, il
allait tous les jours à l’hôtel de Rambouillet ; il y débitait des nouvelles « où
il n’y avait aucune apparence, et il croyait quasi tout ce qu’il entendait
dire. »
Il était plein de candeur, surtout attentif aux formes du langage et
aux mots bien plus qu’aux choses ; gentilhomme d’ailleurs de belle apparence, de bonne
mine, fort dévot, civil et respectueux jusqu’à l’excès, particulièrement envers les
dames ; craignant toujours d’offenser quelqu’un, circonspect dans les disputes ; — tout
à son procès-verbal élégant et perpétuel.
Cela n’empêchait pas cet honnête homme si soigneux, si rangé dans son langage et dans son procédé envers tout le monde, vivant d’ordinaire auprès des ‘grands, d’être, on ne sait trop comment, criblé de dettes. On rapporte que, sur la fin de sa vie, pour éviter ses créanciers, il ne sortait que le soir, et on le comparait à un oiseau de nuit. Sa pension, dont on a tant parlé, lui était, à ce qu’il paraît, fort mal servie. Pour lui avoir été rendue par Richelieu, elle n’en était pas moins précaire. Quelques lettres de Chapelain en font foi. On me permettra de les citer, car je les crois inédites, et elles ajoutent au portrait ; on y verra de plus, par l’exemple d’un des oracles académiques du jour, que la langue avait encore passablement à faire pour se polir.
Chapelain à Balzac.
« 30 janvier 1639.
« … Je crois vous devoir dire une nouvelle qui ne vous déplaira pas, aimant le bon M. de Vaugelas comme vous faites. Depuis huit jours en ça, j’ai entrepris de lui faire rétablir sa pension, et l’ai obtenu par l’intermédiaire de M. l’abbé de Bois-Robert, lequel, sur les propositions que je lui ai faites et les raisons que je lui ai alléguées, a si bien gouverné son maître, que la chose s’est achevée au grand contentement de ses amis. Pour engager Son Éminence à cette générosité, nous lui avons fait promettre que M. de Vaugelas composerait le Dictionnaire, à quoi il s’en va travailler. Hier et aujourd’hui il a vu Son Éminence, qui l’a caressé et accueilli en telle sorte qu’il ne tient pas dans sa peau… »
C’est à cette occasion que Vaugelas fit cette réplique souvent citée, et que Pellisson
nous a transmise. Le cardinal, le voyant entrer dans sa chambre, s’avança vers lui
« avec cette majesté douce et riante »
qui raccompagnait toutes les
fois qu’il le voulait bien, et lui dit : « Eh bien ! Monsieur, vous n’oublierez
pas du moins dans le Dictionnaire le mot de Pension. »
Et
Vaugelas, s’inclinant de sa révérence la plus profonde, répondit : « Non,
Monseigneur, et moins encore celui de Reconnaissance. »
La
pension, d’ailleurs, comme le fait remarquer Chapelain, était à titre onéreux, toute
conditionnelle, « pour une chose longue et pénible à faire »
, qui était
ce travail du Dictionnaire, et de plus elle dépendait du bon plaisir du surintendant,
M. de Bullion. Quand il plaisait à celui-ci de ne pas la payer (et il paraît que cela
lui plaisait assez souvent), elle se reluisait à zéro. Chapelain ne perdait aucune
occasion ce revenir à la charge, de faire valoir son ami, ou de l’excuser quand le
cardinal s’impatientait de ne voir rien venir de ce fameux Dictionnaire, dont la
première édition devait mettre encore plus de cinquante ans à paraître
Chapelain à M. de Bois-Robert.
« 20 juillet 1639.
« … Au reste vous pourriez toujours assurer Son Éminence de la continuation des travaux de M. de Vaugelas, qui fournit aux trois bureaux qui se tiennent toutes les semaines avec assiduité pour l’avancement du Dictionnaire. Et je vous proteste qu’il ne s’y peut rien ajouter, et que si l’ouvrage réussit un peu long, ce n’est pas par la négligence des ouvriers, mais par la nature de la matière qui, comme vous le savez par expérience, est épineuse et de grande discussion pour la bien traiter. En un mot on n’y perd pas un moment, et Son Éminence le peut croire d’un homme comme moi qui en ai été le promoteur, qui y donne le plus cher de mon temps et qui en passionne l’accomplissement comme y ayant un plus particulier intérêt d’honneur que personne. »
Ces lettres, tout en faveur de Vaugelas, prouvent bien en même temps à quel point il y avait réellement besoin et urgence d’un Vaugelas pour épurer et alléger un peu ce style lourd et pesant des doctes Chapelain. Si l’ouvrage réussit un peu long, c’est-à-dire si l’ouvrage est long à terminer : cela peut être du latin ou de l’italien, ce n’est certes pas du français.
Vaugelas, en ses dernières années, était donc devenu le grand travailleur, la cheville ouvrière de l’Académie* celui qui tenait la plume pour le Dictionnaire et qui avait la conduite de tout l’ouvrage. Mais il ne lui fut pas donné, à lui le précurseur, d’être encore le metteur en œuvre dans l’exécution du monument. Il lui aurait fallu une seconde vie pour en venir à bout et en voir la fin. Il mourut en février 1650, à l’âge de soixante-cinq ans environ, et dans des circonstances domestiques fâcheuses qui n’ont pas été parfaitement éclaircies. Ce qu’on sait de positif, c’est qu’aussitôt mort ses créanciers se saisirent de ses papiers et de ses cahiers : il fallut plaider et obtenir un arrêt pour que l’Académie rentrât en possession de son bien.
Le testament de Vaugelas, ou du moins un article de ce testament, a été cité, et il serait des plus remarquables s’il était bien authentique. Après avoir disposé de tous ses effets pour acquitter ses dettes, le testateur ajoutait :
« Mais comme il pourrait se trouver quelques créanciers qui ne seraient pas payés quand même on aura réparti le tout, dans ce cas, ma dernière volonté est qu’on vende mon corps aux chirurgiens le plus avantageusement qu’il sera possible, et que le produit en soit appliqué à la liquidation des dettes dont je suis comptable à la société ; de sorte que, si je n’ai pu me rendre utile pendant ma vie, je le sois au moins après ma mort. »
Il faut entendre probablement par là que Vaugelas, depuis longtemps malade d’une tumeur vers la rate ou l’estomac, autorisa l’autopsie après sa mort. Mais, pour ajouter une foi entière à la citation et à l’anecdote, il nous faudrait une autre autorité que Fréron, le premier, à ma connaissance, qui en ait parlé, et dont le témoignage est insuffisant. Revenons vite à des idées moins lugubres et à ce qui a fait la réputation littéraire du plus galant homme d’entre les grammairiens.
III.
Le livre de Vaugelas qui parut en 1647, Remarques sur la Langue française,
utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, est un fort bon livre et
qui dut être en effet fort utile à son heure, puisqu’il peut l’être encore à qui sait le
bien lire aujourd’hui. Cinquante-sept ans après, en 1704, l’Académie le faisait
réimprimer, le considérant comme « un ouvrage né dans son sein, et dont la beauté
a été si bien reconnue. »
Elle y ajoutait un petit nombre d’Observations pour marquer en peu de mots les changements survenus pendant un
demi-siècle et rendre compte de l’usage présent, « règle plus
forte que tous les raisonnements de grammaire, et la seule qu’il faut suivre pour bien
parler. »
L’Académie était encore fidèle en cela à la loi reconnue par
Vaugelas, et qui n’est autre que celle d’Horace lui-même :
…………………………………………… Si volet usus,Quem penes arbitrium est, et jus, et norma loquendi.
Vaugelas, dans sa Préface aussi judicieuse que fine, commence par définir modestement son rôle ; il ne prétend pas être législateur ni réformateur, il n’est que le secrétaire et le témoin de l’usage. Il ne se donne pas pour juge, il ne fait que le recueil des arrêts ; il n’est que rapporteur, mais un rapporteur excellent.
Il entend et définit l’usage autrement que ne le faisait Malherbe, lequel, un peu dédaigneux ou relâché pour ce qui était de la prose, renvoyait brusquement les questionneurs aux crocheteurs du Port-au-Foin. Cette différence entre le point de vue de Malherbe et celui de Vaugelas est capitale, et notre auteur, si déférant d’ailleurs envers l’illustre poète, ne perd aucune occasion de la marquer. Il estime que Malherbe n’est pas si impeccable en prose qu’en poésie. Il lui reproche comme une erreur, non pas précisément d’avoir pensé que, pour enrichir la langue, il ne fallait rejeter aucune des locutions populaires, mais bien d’avoir voulu les introduire et les admettre dans toute espèce de style, même dans le discours élevé. Il suppose, avec plus de subtilité sans doute que de fondement, et il a l’air de croire que Malherbe n’affectait ainsi en sa prose toutes ces phrases populaires que pour faire éclater davantage la magnificence de son style poétique par le contraste de deux genres si différents.
Selon Vaugelas, il y a donc usage et usage ; il exclut le trivial, et il définit le bon
de cette sorte : « C’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour,
conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du
temps. »
Sous le terme général de Cour, il comprend les
femmes comme les hommes et « plusieurs personnes de la ville où le Prince
réside »
, et à qui l’air de la Cour arrive par une communication prochaine et
naturelle. Le mot de Cour chez lui revient assez à ce qu’on a appelé
depuis la bonne société. Il ne s’est pas trompé en consultant un tel
régulateur : il est bien vrai qu’en s’en tenant au fait et à ce qui a prévalu dans la
langue du xviie
siècle et même du xviiie
, c’est bien, comme il l’indique et le prévoit, un certain
caractère de choix, de noblesse et de distinction qui a pris le dessus. Le français est
devenu et est resté la langue des salons, la langue diplomatique par excellence.
Mais la Cour, selon Vaugelas, ne suffit pas ; il faut encore compter les bons auteurs. Ils contribuent pour quelque chose au bon usage, — moins toutefois que la Cour ou le monde, comme nous dirions. La parole prononcée et parlée a plus d’action et de force que la parole écrite. Les bons auteurs mettent le sceau, mais la source première est la conversation des honnêtes gens. Cette observation bien saisie eût été un correctif contre les excès même de régularité qui ont suivi. La parole vive, en effet, a toujours ses familiarités, ses négligences aimables et ses grâces.
Et ici rendons toute justice à Vaugelas. Il n’est presque aucun des reproches qu’on est
tenté de lui faire à première vue et sur un coup d’œil superficiel, qu’il n’ait prévus,
pressentis et, autant que possible, réfutés à l’avance. Ce n’est pas un grammairien
rectiligne ; il est pur et nullement précieux ; il est pour les irrégularités naïves,
pour quantité de ces petits mots qui se disent en parlant et qui ajoutent de la grâce
quand on écrit ; le commun des grammairiens les retranche : lui, il les goûte et tient à
les conserver ; il est, en un mot, pour les gallicismes et les atticismes. En se voyant
obligé, en sa qualité de rédacteur de l’usage, de sacrifier certains mots et de donner
acte de l’arrêt qui les proscrit, il les regrette. « De tous les mots et de
toutes les façons de parler, dit-il, qui sont aujourd’hui en usage, les meilleures
sont celles qui l’étaient déjà du temps d’Amyot, comme étant de la vieille et de la
nouvelle marque tout ensemble. »
Amyot, c’est là son trait d’union avec la
vieille langue, c’est le nœud par où il s’y rattache. Il n’est nullement d’avis
d’épurer, de retrancher sans motif, de faire le dégoûté à tout propos ; si vous lui
demandez ce qu’il préfère, il vous le dira nettement et en fera même une de ses
règles :
« Un mot ancien, qui est encore dans la vigueur de l’usage, est incomparablement meilleur à écrire qu’un tout nouveau qui signifie la même chose. Ces mots qui sont de l’usage ancien et moderne tout ensemble sont beaucoup plus nobles et plus graves que ceux de la nouvelle marque. »
La Cour, au sens où l’entendait Vaugelas, n’était donc nullement un simple lieu de cérémonie et d’étiquette, une glacière polie, mais une école vivante, animée, la haute et libre société du temps. Celle-ci étant en premier lieu pour l’importance, il demandait d’y associer les bons auteurs, les bons livres, et aussi, de plus, la fréquentation, la consultation directe des personnes savantes, capables d’éclaircir les doutes et de résoudre les difficultés. Ce n’était pas trop, à ses yeux, pour acquérir la perfection du bien parler et du bien écrire, de ces trois moyens unis ensemble et combinés.
Son livre de Remarques résume l’expérience acquise par cette triple
voie, et peut, jusqu’à un certain point, la communiquer. Il en parle avec modestie, mais
aussi avec la conscience de ce qu’il a tâché d’y mettre, lui, jouissant de tant
d’avantages et de commodités pour cela, comme d’avoir vécu « depuis trente-cinq
ou quarante ans »
au sein de la Cour, « d’avoir fait dès sa tendre
jeunesse son apprentissage en notre langue auprès du grand cardinal Du Perron et de
M. Coëffeteau (ce sont ses premiers et ses plus révérés oracles), d’avoir, au sortir
de leurs mains, entretenu un continuel commerce de conversation et de conférence avec
tout ce qu’il y a eu d’excellents hommes à Paris en ce genre »
, sans oublier
d’y joindre la lecture de tous les bons auteurs, dans laquelle il a vieilli. Éducation
et vocation, il unissait tout, véritablement, pour la tâche qu’il s’est donnée. Il n’est
pas sans se douter et se rendre compte de l’opposition qui existe çà et là chez quelques
particuliers au début d’une entreprise si considérable. Il insiste sur ce qu’il y a de
juste, et de nécessaire en même temps, à se ranger à la discipline, à la règle commune
et à ce qui prévaut, à ne pas faire bande à part en telle matière contre le sentiment
universel. Si chacun s’émancipait de son côté, on ferait bientôt retomber la langue dans
l’ancienne barbarie. Il fait allusion en toute rencontre aux retardataires et
réfractaires, dont La Mothe-Le-Vayer était le plus en vue, d’autant qu’il était à la
fois de l’Académie et de la Cour. — Plus tard, quand Louvois voulut établir le règlement
militaire, la discipline et l’uniforme, on vit de bons officiers, mais récalcitrants, un
marquis de Coetquen par exemple, se faire casser à la tête de leur régiment. — Ici,
d’excellents auteurs résistent dans leurs châteaux à la Montaigne, retranchés et
crénelés dans leurs fautes de français, dans leurs à peu près d’exactitude et dans leurs
inélégances. En les indiquant sans les nommer, Vaugelas les salue encore avec respect et
les appelle nos maîtres ; car il est toujours poli jusque dans sa
contradiction et dans la critique qu’il fait des personnes et des auteurs. Il les prêche
par toutes les raisons imaginables ; il les prend, si l’on peut dire, par tous les
bouts. Faites comme les autres, surtout quand les autres font bien ; ne vous opiniâtrez
pas de gaieté de cœur à quelques fautes qui paraissent comme une tache sur de beaux
visages. Il en est un peu d’ailleurs des mots comme des costumes, et de l’usage comme de
la mode ; et il leur citerait volontiers ces vers, s’ils avaient été faits de son
temps :
La mode est un tyran dont rien ne vous délivre ;A son bizarre goût il faut s’accommoder ;Mais sous ses folles lois étant forcé de vivre,Le sage n’est jamais le premier à les suivre,Ni le dernier à les garder.
IV.
Vaugelas ne s’en tient pas au pur relevé des mots et à l’enregistrement des locutions
qui lui ont été fournies par le bon usage : il a quelques règles qui sont pour lui le
résultat de l’observation et d’une comparaison attentive. L’usage ne tranche pas tout :
dans les cas douteux, et quand il n’y a pas d’autre moyen, la raison veut qu’on recoure
à l’analogie, — l’analogie qui pourtant n’est elle-même que l’usage étendu et transporté
du connu au moins connu. Toute notre langue n’est fondée que sur l’usage ou l’analogie, « laquelle encore n’est distinguée
de l’usage que comme la copie ou l’image l’est de l’original, ou du patron sur lequel
elle est formée. »
Ainsi il n’y a, à le bien voir et en définitive, qu’un seul
et même principe et fondement. N’admirez-vous pas comme tout cela est bien démêlé et
ingénieusement déduit ?
Ne demandez pas trop de raison à l’usage ; il fait beaucoup de choses par
raison, beaucoup sans raison, et beaucoup contre
raison. Et ici Vaugelas se distingue des raisonneurs en grammaire. Il y en avait
de son temps ; Arnauld, dans sa Grammaire générale, et les écrivains
de Port-Royal essayeront de porter le plus de raison possible dans la langue : Vaugelas
se borne à constater le fait existant, en le puisant à sa meilleure source. Arnauld
essayera de faire prévaloir la logique dans le discours et de rationaliser, comme il sied à un disciple de Descartes, ces choses du langage.
Vaugelas n’est qu’un empirique, mais un empirique de tact, de bon lieu, et élégant.
« C’est la beauté des langues, dit-il, que ces façons de parler qui semblent
être sans raison, pourvu que l’usage les autorise. — La bizarrerie n’est bonne nulle
part que là. »
Le bon usage à ses yeux ne se distingue pas du bel usage ; il les confond. En cela il se sépare de ceux et de celles qui bientôt raffineront. Il n’est pas précieux, pas plus qu’il n’est populaire : la limite, de ce côté, est délicate, mais il sait bien la tracer. D’un tout autre avis que Malherbe et que Platon qui, lui aussi, appelait le peuple son maître de langue, s’il se confine trop au ton des salons, il tâche du moins de retendre et de le fortifier par le contrôle des bons livres. En les lisant, il a des regrets à bien des mots qui passent ; s’il les rejette et s’il se voit forcé de constater leur déclin ou leur décès, son sentiment d’homme de goût ne laisse pas de souffrir en les sacrifiant. Mais qu’y faire ? c’est l’usage, ce grand tyran, qui le veut ; résister est inutile, et, en résistant trop obstinément, vous vous faites tort :
« Il ne faut qu’un mauvais mot pour faire mépriser une personne dans une compagnie, pour décrier un prédicateur, un avocat, un écrivain. Enfin un mauvais mot, parce qu’il est aisé à remarquer, est capable de faire plus de tort qu’un mauvais raisonnement, dont peu de gens s’aperçoivent, quoiqu’il n’y ait nulle comparaison de l’un à l’autre. »
Le grand adversaire de Vaugelas, l’antique et docte La Mothe-Le-Vayer s’est fort récrié sur cette parole ; il la tient pour un blasphème et se révolte contre une telle légèreté. Mais Vaugelas ne dit pas qu’on ait raison de faire ainsi et de décrier un mérite réel à cause d’un ridicule. Est-ce à dire qu’en fait il n’y ait pas lieu à la remarque et au conseil qui s’y rattache ? Il suffisait trop souvent d’un mot, dans le beau temps, pour rendre un personnage ridicule à Paris, à Athènes, à Rome, chez les nations bien disantes, parleuses et railleuses. Sommes-nous bien sûrs d’être guéris de ce travers-là ? et même est-ce tout à fait un travers ?
Attaqué comme puriste et éplucheur de mots, même avant la publication de son livre (car ces Remarques si longtemps préparées avaient transpiré à l’avance), Vaugelas ne se trouve nullement désarmé en face de ces intrépides et perpétuels citateurs des anciens. Sur ce terrain même il a l’autorité de l’antiquité pour lui, et il peut invoquer de grands noms, Quintilien, Cicéron, César ! Oui, César lui-même, le plus attique des Romains, César avait fait un livre De l’analogie des mots.
Les objections qu’on lui a faites après coup, il les avait prévues d’avance, et il y répond ; il a, à ce sujet, des passages d’une véritable portée. On pouvait sourire de lui, je le conçois, de cet homme occupé durant près de quarante ans à fixer l-’usage, ce fleuve mobile qui coulait incessamment entre ses, doigts ; ce badin de Voiture lui appliquait plaisamment l’épigramme de Martial sur le barbier Eutrapèle, si lent à raser son monde, qu’avant qu’il eût achevé la seconde joue la barbe avait eu le temps de repousser à la première. Voiture disait cela à propos de cette interminable traduction de Quinte-Curce que Vaugelas retouchait sans cesse et qui ne fut mise au jour qu’après lui ; il l’aurait pu dire également pour ces Remarques tant remaniées et ruminées. Or, écoutons à son tour Vaugelas ; son accent ici s’élève, car il a en lui, sur ces matières qui semblent un peu sèches ou légères, une chaleur vraie, un foyer d’ardeur et de conviction :
« Je réponds, et j’avoue, dit-il, que c’est la destinée de toutes les langues vivantes d’être sujettes au changement ; mais ce changement n’arrive pas si à coup et n’est pas si notable que les auteurs qui excellent aujourd’hui en la langue ne soient encore infiniment estimés d’ici à vingt-cinq ou trente ans, comme nous en avons un exemple illustre en M. Coëffeteau, qui conserve toujours le rang glorieux qu’il s’est acquis par sa traduction de Florus et par son Histoire romaine, quoiqu’il y ait quelques mots et quelques façons de parler qui florissaient alors et qui depuis sont tombées comme les feuilles des arbres. Et quelle gloire n’a point encore Amyot depuis tant d’années, quoiqu’il y ait un si grand changement dans le langage ! Quelle obligation ne lui a point notre langue, n’y ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le génie et le caractère que lui, ni qui ait usé de mots ni de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vrai langage français ! Tous ses magasins et tous ses trésors sont dans les œuvres de ce grand homme ; et encore aujourd’hui nous n’avons guère de façons de parler nobles et magnifiques qu’il ne nous ait laissées ; et bien que nous ayons retranché la moitié de ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans l’autre moitié presque toutes les richesses dont nous nous vantons et dont nous faisons parade. » .
Ce qui suit va répondre plus directement à la plaisanterie de Voiture et des gens d’esprit plus malins que sérieux :
« Mais quand ces Remarques ne serviraient que vingt-cinq ou trente ans, ne seraient-elles pas bien employées ? Et si elles étaient comme elles eussent pu être ; si un meilleur ouvrier que moi y eût mis la main, combien de personnes en pourraient-elles profiter durant ce temps-là ! Et toutefois je ne demeure pas d’accord que toute leur utilité soit bornée d’un si petit espace de temps, non-seulement parce qu’il n’y a nulle proportion entre ce qui se change et ce qui demeure dans le cours de vingt-cinq ou trente années, le changement n’arrivant pas à la millième partie de ce qui demeure, mais à cause que je pose des principes qui n’auront pas moins de durée que notre langue et notre Empire. »
Que vous en semble ? le greffier ici s’élève presque au législateur. Vaugelas pressent le grand siècle qui. s’avance ; il n’hésite pas à dire que l’heure solennelle qui l’annonce a sonné. La langue française, déclare-t-il, est arrivée à sa perfection ; elle en est du moins bien voisine.
« Ce sont des maximes, ajoute-t-il en parlant des siennes, à ne jamais changer, et qui pourront servir à la postérité, de même qu’à ceux qui vivent aujourd’hui ; et quand on changera quelque chose de l’usage que j’ai remarqué, ce sera encore selon ces mêmes Remarques que l’on parlera et que l’on écrira autrement que ces Remarques ne portent. Il sera toujours vrai aussi que les règles que je donne pour la netteté du langage ou du style subsisteront sans jamais recevoir de changement. »
Encore une fois, il est évident qu’à cette date il s’est passé un grand fait sensible et manifeste à tous ; que tous ceux qui étudiaient et pratiquaient la langue ont eu conscience de sa formation définitive, de son entrée dans l’âge adulte et de sa pleine virilité. Cela ne se discutait pas, c’était généralement admis par les plus polis comme par les plus doctes, et même par les réfractaires et récalcitrants. Le français, dans sa dernière forme toute monarchique, se sentait près de devenir la maîtresse-langue, la langue-reine.
Vaugelas, en terminant sa Préface, prend soin de tracer le programme d’un nouvel
ouvrage qui serait à faire sur la langue, et que le sien n’a pas la prétention de
suppléer : ce serait, après avoir célébré l’excellence de la parole en général, de
tracer un historique de notre langue en particulier, de la suivre dans ses progrès et
ses âges divers, depuis ses premiers bégayements jusqu’à « ce comble de
perfection »
où elle est arrivée, et qui permet de la comparer aux nobles
idiomes de l’antiquité : témoin tant de belles traductions de cette même antiquité, dans
lesquelles nos Français ont égalé quelquefois leurs auteurs, s’il ne les ont surpassés.
« Il ne faut plus accuser notre langue, dit-il, mais notre génie ou plutôt
notre paresse et notre peu de courage, si nous ne faisons rien de semblable à ces
chefs-d’œuvre. »
En un mot, la langue est faite, il ne s’agit plus que de s’en
servir et de l’appliquer à de grands sujets. Vaugelas semble dire comme un bon
professeur à l’élève brillant qui a fini ses études : « Maintenant vous savez
écrire ; il ne vous reste qu’à trouver de beaux et heureux sujets, des emplois
originaux à votre talent. Allez, volez de vos propres ailes. »
A force d’aimer cette langue qu’il possède si bien et d’en parler avec tendresse et une sorte d’enchantement, il en vient à deviner et à décrire ce qu’elle sera lorsqu’un génie approprié l’aura mise en œuvre. Dessinant toujours son programme, et voulant donner idée de ce qu’un homme éloquent aurait pu faire et dire en sa place dans cette Rhétorique supérieure qu’il décrit :
« Il eut encore fait voir, dit-il, qu’il n’y a jamais eu de langue où l’on ait écrit plus purement et plus” nettement qu’en la nôtre ; qui soit plus ennemie des équivoques et de toute sorte d’obscurité ; plus grave et plus douce tout ensemble, plus propre pour toutes sortes de styles ; plus chaste en ses locutions, plus judicieuse en ses figures ; qui aime plus l’élégance et l’ornement, mais qui craigne plus l’affectation. Il eût fait voir comme elle sait tempérer ses hardiesses avec la pudeur et la retenue qu’il faut avoir pour ne pas donner dans ces figures monstrueuses où donnent aujourd’hui nos voisins59, dégénérant de l’éloquence de leurs pères. Enfin, il eût fait voir qu’il n’y en a point qui observe plus le nombre et la cadence dans ses périodes que la nôtre, en quoi consiste la véritable marque de la perfection des langues. »
Mais celui qui fera cette démonstration désirée par Vaugelas, ne le sentez-vous pas ? ce n’est point Patru auquel il semble, en terminant, vouloir passer la parole et résigner le sceptre de la rhétorique et de l’éloquence. Patru qui, par son goût, méritait une partie de ces éloges, était beaucoup trop mou et trop paresseux pour accomplir jamais de telles promesses. Celui qui a rempli véritablement le vœu de Vaugelas, et qui a fait voir, non plus par ses préceptes, mais par son exemple, que notre langue possédait en effet tous ces mérites d’élégance, de chasteté, de hardiesse voilée et d’harmonie soutenue, qui est-ce donc, je le demande, si ce n’est Racine ? Ce n’est pas un médiocre honneur pour Vaugelas d’avoir préparé à Racine sa langue, de lui avoir aplani les voies d’élégance et de douceur dans la diction, et d’avoir si bien et si exactement défini tout ce rare ensemble de qualités possibles, qu’il n’y manque plus que d’écrire en marge le nom du plus parfait écrivain.
Entendons-nous bien : je ne parle pas de la langue de Molière, plus riche, plus ample et plus diversement composée ; mais quand on se place au point de vue de Racine, au centre de son œuvre, et qu’on le considère, ainsi que l’ont fait Voltaire et tous ceux de son école, comme le dernier terme de la perfection dans le style, on n’a pas alors à signaler de meilleur préparateur que Vaugelas. Vaugelas, c’est proprement le fourrier de Racine : il lui apprête et lui appareille le logis.
On aurait là, si l’on en pouvait douter encore, une preuve de plus que le règne et le siècle de Louis XIV a été, non pas un accident (comme je sais quelqu’un de ma connaissance qui l’a dit autrefois), mais bien le résultat et le fruit naturel d’une culture et d’un développement continu. Il était pressenti à l’avance et préparé. On lui faisait sa langue, on lui en ôtait les ronces, on lui sablait les chemins.
Combien n’ai-je pas à dire encore au sujet et à l’occasion de Vaugelas, et sur la différence profonde qu’il y a de son moment au nôtre ! Cette différence peut se résumer en deux mots : Cour et Démocratie.