Horace Vernet (suite.)
Célèbre et populaire à trente-deux ans, membre de l’Institut à trente-sept et siégeant à côté de son père, nommé deux ans après (1828) directeur de l’Académie française à Rome, Horace Vernet n’était pas au bout de son bonheur, et il devait courir bien des années encore avant de l’épuiser. Ce qui est à remarquer, c’est qu’aucun succès ne l’endormit et qu’il resta en tout et partout travailleur et producteur aussi actif, aussi infatigable que le premier jour, possédé de l’amour et, comme il disait, de la rage de peindre.
Ses années de direction à Rome (1828-1835) forment une époque unique dans sa vie : une fille belle et adorée qui était sa gloire, et dont il a consacré l’image en maint endroit, faisait avec sa mère les honneurs de la Villa Médicis ; devenue Mme Paul Delaroche et morte à la fleur de l’âge, elle devait lui apprendre ce que c’est que la première grande douleur.
Tant que les hommes de talent vivent, on est singulièrement injuste envers eux, ou plutôt on est ce qu’on doit être ; chacun en parle à sa guise : on les agite, on les exalte, on les déprécie ; on les retourne en cent façons ; on leur signifie et on leur assigne des vocations restreintes ; on les diminue s’ils s’y enferment, on les rabat et on les rabroue dès qu’ils essayent de s’étendre et d’en sortir. Tout ce conflit de propos et de jugements est nécessaire, inévitable, utile quelquefois peut-être à quelques-uns pour les tenir en éveil, le plus souvent inutile et irritant. Était-il possible, je le demande, qu’Horace Vernet vivant à Rome au sein d’une splendide nature, d’une belle race, de toutes les merveilles de l’art classique, en face des magnificences de Saint-Pierre et des pompes du Vatican, n’en fût pas touché, excité à se mesurer à sa manière avec ses nouveaux modèles, à s’exercer dans un genre plus noble et a y transporter ses qualités si, françaises ? Il se devait à lui-même de l’essayer, et il l’essaya ; ce n’est pas a nous qu’il appartient de dire quels mérités encore de vérité et de ressemblance conservent et continuent d’offrir ces tableaux composés en Italie, même quand il n’y aurait pas atteint tout le caractère qu’on y cherche.
On aurait pu prévoir les objections que souleva cette application nouvelle de son talent : elles étaient, pour ainsi dire, tout indiquées d’avance. Je me suis fait une obligation de relire quelques-uns des jugements de la critique française contemporaine à ce sujet, notamment ce qu’en a dit, dans ses Salons de 1831 et de 1833, un écrivain fort surfait et à qui sa morgue a tenu lieu quelque temps d’autorité. C’était un singulier juge et arbitre du grand et du bel art que Gustave flanche, et il mérite bien, puisqu’il a été si souverainement injuste et partial à l’égard d’Horace Vernet, d’obtenir un coin dans le portrait de celui dont il aurait voulu faire sa victime. On est, en effet, tenté en le lisant de s’écrier plus d’une fois : Ah ! le bourreau !
I.
J’ai fort connu Gustave Planche dès la jeunesse et même dès l’adolescence. Il faisait ses études au collège Bourbon ou je le devançais d’un an ou deux, il était assez mauvais écolier, avec beaucoup de facilité, grand liseur ; mais, s’il lisait tout, il méprisait tout. Il savait très-peu l’antiquité et était faible sur les langues et lès littératures anciennes ; il ne s’y est jamais remis depuis. Ce qu’il a le mieux su, c’est l’anglais qu’il avait appris de bonne heure et qu’il lisait couramment. À cet âge de première jeunesse, c’était un grand jeune homme long et même assez fluet, le front assez beau et spécieux, la nuque très-mince ; toujours les mains dans ses poches ; vous accostant dès qu’il vous rencontrait et ne vous lâchant plus, fussiez-vous allé par un temps de pluie d’un bout de Paris à l’autre. Familier avec les inconnus dès le premier mot, babillant de tout et s’en moquant, il n’avait pas une étincelle d’enthousiasme ni de passion. C’était une calamité de le rencontrer le matin ; il soufflait froid sur vous pour toute une journée. Il n’admirait point alors Shakspeare, — pas plus Shakspeare que Paul de Kock, je vous jure, — et il se souciait très-peu de Phidias. Ce n’est que plus tard, quand il s’est agi d’écraser les vivants, qu’il s’est avisé de se prendre d’un culte platonique pour deux ou trois grands morts. Les deux ou trois plâtres antiques qu’on voyait dans sa chambre quand on y allait, il ne songea à les y placer que depuis qu’il en eut besoin pour les jeter à la tête des gens. Sa jeunesse fut, de toutes celles que j’ai connues, la plus irrévérente et la plus dénuée de la faculté du respect.
Ce futur régent du goût dans les arts était censé avoir étudié la médecine et, par conséquent, l’anatomie ; mais il était trop paresseux et inappliqué pour y réussir. S’il fréquenta quelque temps les amphithéâtres, il ne prit jamais en main un scalpel : ce qui ne l’empêchait pas de trancher à la rencontre sur la structure du corps humain, sur les formes et les dispositions précises des organes, comme il tranchait sur tout ; il y commettait parfois de singulières méprises9. Ses premières années d’émancipation se passèrent à vaguer dans les ateliers des artistes et à baguenauder à tort et à travers ; il voyait aussi quelques-uns des poètes dits du Cénacle, et il en tirait la plupart de ses jugements littéraires futurs. Son affectation alors était, dans la conversation courante, de nommer tout haut familièrement et avec un parfait sans-gêne les jeunes illustres ; s’il pouvait, dans un Cours public, pendant la demi-heure d’attente, citer tout haut, et en parlant d’un banc à l’autre, Alphonse, Victor, Alfred, Prosper, Eugène, il était content : cela voulait dire dans sa bouche, Lamartine, Hugo, de Vigny, Mérimée et Delacroix. Il n’avait encore rien écrit. Un jour, après juillet 1830, comme il en était venu à un degré de gêne extrême ou plutôt de détresse qui sautait aux yeux, et qui s’accusait même d’une façon cynique, un de ses amis lui dit : « Que n’écris-tu ce que tu dis tout le long du jour ? tu gagneras ta vie. »
Il suivit le conseil et l’appliqua immédiatement en jugeant l’Exposition de peinture et de sculpture, comme il fit bientôt pour les œuvres littéraires elles-mêmes. Je suis loin de prétendre qu’il n’y eut point quelques qualités d’esprit mêlées à toutes les licences d’amour-propre qu’il s’accorda. En littérature où je m’entends un peu mieux, je dirai peut-être un jour ce que j’en pense. Ilne fit jamais si bien qu’à ses commencements, et le premier feu jeté, il se figea vite. Il faisait payer quelques parties saines, solides et de bonne dialectique, en se répétant à satiété : ce qu’il avait dit une fois, il se faisait gloire de le redire éternellement et dans les mêmes termes. Arrêté dans ses locutions, dogmatique, sans grâce, sans un rayon, sans rien de ce qui caresse l’esprit, il jetait de la poudre aux yeux par ses défauts mêmes. « Planche l’a dit »
, c’était, autre part encore que dans les cafés, un mot courant, une manière d’oracle. Un écrivain illustre, Mme Sand, a été un moment en veine de croire en lui, et elle l’a loué dans ses Mémoires. On est femme après tout, et elle s’était persuadé d’après son ton que c’était un grand savant et qu’il lui dévoilerait les mystères de la langue : il lui a corrigé ses épreuves assez exactement, non pas sans lui retrancher quelques grâces. Mais je laisse pour cette fois la littérature : en art, quel ton hautain que le sien ! dans l’appréciation de ces œuvres spéciales où le procédé est toute une science, où l’exécution tient une si grande place, et qu’un littérateur, c’est-à-dire un homme qui n’a jamais touché le pinceau ni le ciseau, ne doit, ce semble, aborder qu’avec une circonspection extrême, quelle outrecuidance ! « Cela n’existe pas »
, c’était une de ses formules favorites. Soti inspiration principale, son mobile, à lui, était l’orgueil : Il savait à quels artistes il fallait s’adresser, quels il fallait célébrer à l’exclusion de tous les autres ; quels il convenait de répudier et de réduire à néant, pour être le plus éloigné des opinions du vulgaire, pour produire le plus d’étonnement et d’effet sur là galerie, pour faire croire à plus de profondeur derrière ses paroles. Il avait peur avant tout de paraître penser comme le peuple et d’être pris pour un simple passant. Or, pour cela, quoi de mieux, en présence d’un tableau vivant, intéressant, animé, où tout parle, se comprend, où là foule s’arrête, et qui est signé d’un nom célèbre, que de hocher la tête, de pousser un profond soupir ou de hausser les épaulés de pitié ? Cela vous signale, et les trois quarts des badauds sont tentés de dire : « Voilà un homme qui s’y entend. »
C’était la souveraine jouissance de Gustave Planche, et il se la procurait à tout prix, d’autres sont heureux et flattés des affections ou des sympathies qu’ils inspirent : lui, il tirait gloire des répulsions mêmes et des aversions qu’il provoquait. Jamais écrivain n’a plus vérifié par son exemple ce mot de Montesquieu, que « la critique peut être considérée comme une ostentation de sa supériorité sur les autres. »
Cette ostentation respire et s’étale dans tout ce qu’il a écrit ; on a devant soi un homme qui pérore et qui se rengorge. Il faut voir comme il jette Milton, Klopstock, Raphaël, Michel-Ange, tous ces grands noms, à la tête d’Horace Vernet, si celui-ci a essayé son Léon XII ou une Judith ; comme il le renvoie à son Pont d’Arcole et à son Cheval du Trompette ! Il lui défend d’aborder les salles du Conseil d’État ; il lui interdit d’agrandir ses toiles. S’il prétend l’enfermer dans son passé, ce n’est pas qu’il lui laisse, là du moins, la place qui lui est due : bien au contraire, il l’y rapetisse à plaisir. Il se sert des noms de Gros, de Géricault et même de Charlet, pour en accabler le brillant et valeureux talent dont l’originalité, précisément, est de ne pas leur ressembler. Et quant à Charlet, si spirituel, mais qu’on grandit à plaisir, une remarque est à faire, qui touche à cette clé du jugement de certains critiques. Planche, en louant Horace Vernet, eût adhéré à la foule, ce qu’il évitait le plus soigneusement ; en louant Charlet au-delà de la mesure ordinaire, il commandait à la foule, il se mettait au-dessus d’elle ; et c’est ce qui lui plaisait avant tout. Je saisis à tout instant cette ficelle de son amour-propre dans ses jugements.
Tout peut se dire ; toutes les opinions sincères ont le droit de sortir et de s’exprimer ; il y a, certes, lieu pour des critiques doctes et fins de disserter longuement et de faire mainte distinction à propos d’Horace Vernet ; mais le ton de Gustave Planche parlant d’un homme de ce talent et de cette renommée, d’un homme de ce passé et de cet avenir, qui était à la veille de se développer de plus en plus, et qui allait nous traduire aux yeux notre guerre d’Afrique, nous montrer notre jeune armée en action, à l’œuvre, dans sa physionomie toute moderne et expressive, ce ton est d’une insolence et d’une fatuité vraiment ineffables : « À ne peser que les cendres de sa gloire, s’écrie-t-il, nous les trouvons légères, et nous les jetons au vent !… Reconnaissons-le de bonne foi, ajoutait-il d’un air de renoncement vraiment comique et avec plus de pesanteur encore que de malice, reconnaissons-le sans honte et sans confusion, sa peinture n’est que médiocre et ne possède guère que des qualités négatives. »
Puis, évoquant, selon son habitude, les plus grandes œuvres de la peinture, les toiles les plus diverses consacrées par l’admiration, l’oracle tout bouffi déclarait ne trouver que là sa haute satisfaction et sa joie. F. de ceux qui ne cherchent dans la peinture que leur plaisir ! ce sont des sensuels qui ne l’ont jamais aimée. Gustave Planche (et il s’en vante) était d’un autre ordre. Ceux qui ont vu et connu le personnage savent s’il est bien vrai qu’il fût amant de l’idéal à ce point, et si c’était en effet à l’étude austère et à la sobre contemplation des chef-d’œuvres qu’il employait ses heures solitaires ! Je ne hais rien tant que ceux qui font semblant de savoir ce qu’ils ne savent pas, de sentir ce qu’ils sentent peu, et qui en imposent.
Combien j’aime, au contraire, ces esprits aimables et sensés, qui, ayant pratiqué un art par eux-mêmes et en sachant les difficultés et tous les périls, sont modestes et mesurés quand ils entreprennent de juger, dans un art voisin et différent, leurs confrères, leurs supérieurs ou leurs semblables ! Alfred de Musset, par exemple, un des talents aussi que cet intègre Gustave Planche n’a jamais pu se décider à louer et à reconnaître, Alfred de Musset a écrit, sur le Salon de 1836, des pages très-fines et bonnes encore à relire ; il y rend aux toiles d’Horace une justice gracieuse qui est une revanche des insultes de tout à l’heure. Alfred de Musset part de ce principe qu’une œuvre d’art doit autant que possible réunir deux conditions : plaire à la foule et satisfaire les connaisseurs. Une des conditions sans l’autre laisse quelque chose à désirer. Appliquant son examen à quatre batailles exposées par Horace Vernet à ce Salon, Iéna, Friedland, Wagram et Fontenoy, il concluait en ces termes :
« Certes, il n’y a pas là la conscience d’un Holbein, la couleur d’un Titien, la grâce d’un Vinci ; ce n’est ni flamand, ni italien, ni espagnol ; mais, à coup sûr, c’est français. Ce n’est pas de la poésie, si vous voulez ; mais c’est de la prose facile, rapide, presque de l’action, comme dit M. Michelet. En vérité, quand on y pense, la critique est bien difficile : chercher partout ce qui n’y est pas, au lieu de voir ce qui doit vôtre ! Quant à moi, je critiquerai M. Vernet lorsque je ne trouverai plus dans ses œuvres les qualités qui le distinguent, et que je ne comprends pas qu’on puisse lui disputer ; mais tant que je verrai cette verve, cette adresse et cette vigueur, je ne chercherai pas les ombres de ces précieux rayons de lumière. »
Touches heureuses de critique, qui sentent le poète, qui consolent et qui vengent du pédant10 !
II.
Horace Vernet ne souffrait pas de ces injustices autant qu’on pouvait le croire ; Delaroche, si indignement traité par le même Aristarque, saignait et s’en irritait : Horace était un meilleur soldat au feu, et il allait son train toujours. Il lisait peu et il peignait sans relâche. On peut croire toutefois que ces excès de la critique, à partir d’un certain moment, contribuèrent peut-être à le tenir plus en garde et en méfiance qu’il ne l’aurait été sans cela contre les tentatives coloristes modernes. Il mit une sorte d’amour-propre à ne rien céder. Sa couleur était vraie, et telle qu’elle se voyait naturellement aux objets représentés ; il savait ce qu’il faisait, il faisait ce qu’il avait sous les yeux : que lui demandait-on de plus ? Fin et malin, il y mettait une sorte d’ironie à l’égard des rivaux. « Moi, que voulez-vous ? Je ne sais faire que ça ! Je ne sais pas inventer, je vois. »
Je n’éluderai pas la question d’art qui se pose, et je la soumettrai du moins dans ses vrais termes à ceux qui voudront l’examiner. Je sais qu’elle a déjà été traitée, et par des plumes exercées et compétentes ; je n’aurais, si je voulais, qu’à rechercher et à rappeler ce qu’ont écrit, ici ou là, les Théophile Gautier, les Paul Mantz, les Saint-Victor. Mais qu’ils me permettent de recommencer comme si de rien n’était, en ignorant qui veut s’instruire, et de faire mon apprentissage après eux.
L’art est une convention, l’art de la peinture particulièrement. Horace Vernet aimait que ce fût une convention le moins possible, que le convenu ne s’y aperçût qu’au moindre degré. Il puisait son principe en lui, dans son organisation même. Doué de sens exquis, d’une mémoire visuelle merveilleuse, d’organes et d’instruments d’imitation fins, rapides et sûrs, plus prompt à faire qu’à dire, il eut de l’art toute la première vue qu’on peut désirer ; mais s’il y a dans l’art autre chose que l’immédiat, s’il y a une seconde vue plus idéale, celle-là il ne l’eut point.
Analysez ses tableaux ! c’est prosaïque, dites-vous.
Qu’entendez-vous par là ? J’examine : tout est lié, motivé, sensé, possible, intelligible ; tout ressemble à ce qu’on a vu ou à ce qu’on peut se figurer, et les peintres sincères vous diront tout ce qu’il y a, sous cette ressemblance vive, de hardiesses de première venue, de difficultés abordées de front, enlevées à la pointe du pinceau et tournées en effets heureux et en triomphes.
Cependant il ne cherche son effet ni dans la ligne proprement dite, ni dans la couleur. Ici, je force ceux qui s’y entendent à s’expliquer, et ils me disent :
« Non, il ne cherche son effet, ni dans le dessin, ni dans la couleur : en tout il est immédiat, il est fidèle et vrai, et il s’en contente. A-t-il à faire, par exemple, un pantalon rouge ? Il mettra juste le pli, la couleur qu’il voit. Regardez au contraire, dans ce beau portrait de Napoléon III par Flandrin, comment le peintre s’y est pris avec le pantalon rouge de l’auguste modèle ! Évidemment il a cherché le dessin, le mieux, un certain arrangement, la tournure idéale ; il a cherché à ennoblir la forme11. Horace n’y mettait pas tant de façon ; il voyait avec son œil de peintre et rendait à l’instant son effet. Il prenait le pantalon tel que le portait le modèle, et le jetait sur sa toile : c’est la chose purement et simplement, c’est le ton même. Envoyez l’échantillon au tailleur, et il vous retrouvera l’étoffe. — Ainsi encore, dans le tableau de la Liberté, d’Eugène Delacroix, voyez la blouse du gamin : le peintre n’a pas cherché à reproduire la couleur exacte de la blouse ; il a cherché un ton harmonieux qui fît le meilleur effet dans le tableau tel qu’il le concevait. Horace Vernet, lui, ne cherche pas de ces combinaisons, de ces traductions de ton ; il ne transfigure jamais. Il ne met pas entre les choses et lui ce je ne sais quoi qu’on appelle le style, Horace Vernet voit et rend ce qu’il voit, il n’interprète pas. — Il y a un coffret dans son tableau de la Smalah ; ce coffret n’est pas une invention, il était réellement au Louvre. Un jour, Horace le vit en passant et dit : « Il pourra me servir ; qu’on « me le porte à Versailles. » Et il le mit dans son tableau. Mais pour ceux qui l’avaient déjà vu, c’est le coffret même, des plus reconnaissables, celui-là et pas un autre. Ni Delacroix ni Flandrin n’auraient fait si exactement ce même coffret. Lui, il transporte sur la toile la chose comme elle est, comme elle lui apparaît sous un prompt coup d’œil, sans y rien changer. Telle est sa nature, son genre et son miracle d’habileté. C’est ce qui fait qu’à cause de la vérité même de son rendu, on l’a appelé un trompe-l’œil, comme si ce n’était pas une rare qualité en peinture, la première dans un art d’imitation, que d’imiter ce qu’on a sous les yeux. »
Vanité de la gloire et de la réputation, et non-seulement vanité, mais âcreté et amertume ! Qui que vous soyez, grand génie, beau talent, artiste honorable ou aimable, tout éloge juste et mérité sera retourné contre vous. Fussiez-vous un Virgile, le chantre pieux et sensible par excellence, il y en a qui vous diront un poète efféminé et trop doux. Fussiez-vous Horace, il y en a qui vous jetteront à la face la pureté même et les délicatesses de votre goût. Si vous êtes Shakspeare, quelqu’un viendra qui vous appellera un sauvage ivre. Si vous êtes Goethe, plus d’un pharisien vous proclamera le plus personnel des égoïstes. L’amant retourne tous les défauts de sa maîtresse et les traduit en louanges : la critique et l’envie humaine font tout le contraire avec les talents. Toutes les qualités, tous les dons que vous avez reçus et que vous mettez en lumière, on vous les oppose un jour, et on en fait des griefs ou des sobriquets pour vous humilier. Le style vous tient-il à cœur, et avez-vous souci de la distinction ou de la nuance : vous n’êtes qu’un maniéré. Restez-vous parfaitement uni, naturel et simple : vous voilà prosaïque et vulgaire. Peut-on s’étonner, après cela, qu’Horace Vernet ait été si lestement et si insolemment traité pour ses charmantes qualités mêmes ?
Au reste, il n’était pas sans défense. Il avait des mots à lui, des fermes à son usage, et qui marquaient assez finement ce qu’il sentait. Devant la peinture trop travaillée, trop tripotée comme on dit, celle qu’il ne faisait pas et qu’on lui reprochait de ne pas faire : « Je l’aime mieux avant qu’elle soit cuite »
, disait-il. Il supposait qu’on l’avait mise au four pour la cuire et la dorer.
Il n’aimait en rien les tons de convention. Un jour un peintre habile avait à peu près terminé une marine dans une gamme très-haut montée : il ne lui manquait plus qu’un coup de canon qu’il ne savait trop comment faire. Il le demande à Horace qui lui fait un coup de canon vrai, tel qu’il en avait vu. Mais cela jurait ; c’était une tache blanche au milieu de cette peinture trop poussée de ton et d’effet. « Enfin, mon cher, vous avez voulu un coup de canon, le voilà ! »
C’était à la fois, de sa part, une légère critique.
III
Il est temps de le suivre en Afrique où il fera désormais ses plus belles conquêtes, et où il aura à peindre non plus seulement des souvenirs de grande armée, mais des exploits présents et de chaque matin, dans lesquels il fut proche témoin et presque acteur. Ses lettres vont nous aider à le mieux comprendre encore. Les lettres d’Horace Vernet ont cela de précieux qu’elles sont sa pensée même et sa personne. Rien ne s’y détache ; il ne vise à aucune réflexion, à aucune description ; il est le moins littéraire des hommes. C’est un soldat en campagne ; il voit, il pense, il sent en même temps, et sa phrase dit comme elle peut tout cela. Il y a des hommes qui causent d’une manière, qui écrivent d’une autre, qui sont plus familiers avec les amis, plus réservés dans le monde et avec les étrangers, qui ont plus d’un ton à leur usage : ce sont des esprits à plusieurs tiroirs. Horace Vernet n’avait qu’un langage et qu’une manière, et il n’était guère libre d’en changer. Si par hasard il l’avait voulu, s’il tentait parfois en effet de monter d’un cran et de discourir, il ne trouvait rien. Il écrit donc à sa femme et à ses amis comme il aurait causé avec eux, et cette sincérité, telle quelle, est incomparable.
On était en 1837. C’était son second voyage d’Afrique. Horace Vernet, qui avait à peindre le siège et la prise d’assaut de Constantine, partit de Paris (fin d’octobre) quinze jours après l’affaire, pour voir les lieux, les débris encore fumants, et il espérait bien arriver à temps pour assister à quelque petite fusillade. Mais à Toulon, il apprend que tout vient de finir ; aller à Constantine n’est plus que comme aller à Saint-Cloud ; ce n’est qu’une promenade la canne à la main. Quelle vexation ! Il part de Toulon pour Bone, à bord d’un beau vaisseau, le Diadème. Il était déjà en vue de la ville quand un coup de vent repousse le vaisseau de la côte d’Afrique, l’emporte en quelques heures à bien des lieues, de l’autre côté de la Sardaigne, en face de Cagliari, et quelques jours se passent à attendre le vent et à regagner le chemin perdu. Que faire dans l’ennui d’une traversée ? Horace pense à sa famille, à ses petits-fils, à celui qu’en son langage de grand-père il appelle Rabadabla : il écrit jour par jour à Mme Vernet :
« Encore un jour passé, écrit-il le 10 novembre, et nous n’avons remonté qu’un échelon de l’échelle que nous avons descendue si rapidement. Mais tout nous fait croire que, demain, nous serons à terre. Une petite brise nous conduit droit dans notre route, et l’espoir nous revient. Aujourd’hui je me suis moins embêté (Ah ! nous sommes en style d’atelier, il faut en prendre son parti) que les jours précédents, grâce à un nouveau venu auquel j’ai donné l’hospitalité : c’est un pauvre pinson que les autans nous ont apporté. J’ai mis la main dessus, j’ai voulu lui donner à manger ; mais devine ce qu’il a préféré ? c’est de se précipiter dans mon pot à eau pour boire ; il a manqué s’y noyer, ce qui m’a expliqué les gens qui trouvent ce genre de mort dans un crachat. On fait des efforts inouïs pour braver un grand danger, puis la gourmandise vous fait succomber dans un petit. Trêve de réflexions ! Je soigne mon petit oiseau pour lui donner la liberté quand il sera bien remis de ses privations et de sa fatigue. Si j’avais le temps de lui donner une petite éducation, je lui apprendrais à chanter Rabadablabadabla-blabla, pour que sur ma terre d’Afrique il puisse apprendre à ses semblables ce délicieux refrain, et peut-être qu’un jour tous les échos nous le répéteraient. Cette idée, toute bête qu’elle est, ne laisse pas de me procurer une bonne petite émotion. »
Ce Rabadabla, c’est le bruit cher à son petit-fils, c’est le nom même qu’il lui donne dans cette langue primitive et imitative qui recommence sans cesse auprès des berceaux. Bonhomie et cœur, ne nous repentons jamais d’avoir surpris au vif de ces choses-là.
Mais il est arrivé à Bone ; il est logé, installé chez Yusuf, lequel, en légère disgrâce, est pendant ce temps-là à Paris ; il voit les amis d’Yusuf, la première Mlle Yusuf, une musulmane aux longs yeux pleins de douceur et de mélancolie, et qui lui a cédé la maison ; il s’inquiète d’abord de l’avenir de son ami, et donne de bons avis sur les hommes, sur les gouverneurs présents et passés, des jugements qui ne seraient pas tous à reproduire ici. Le peintre aussi se réveille ; sans plus attendre, et à la vue de cette population africaine grouillante, la verve le prend, la besogne commence :
« Si Delaroche était là il que de belles choses il verrait par ma fenêtre seulement ! Rien n’est plus admirable que cette foule d’Arabes, de Turcs, tous drapés si pittoresquement. Si j’étais plus jeune, ou pour mieux dire moins vieux, ma tête n’y tiendrait pas…
« En attendant le départ, je fais des têtes de soldats comme s’il en pleuvait. Elles doivent figurer parmi les héros, car il y en a dans toutes les classes de l’armée plus que partout ailleurs, et j’ai le bonheur de n’avoir que des faces bien caractérisées. »
Il fait d’avance sa provision de têtes et de figures martiales : tout chez lui sera d’après nature, les sites, on va le voir, et les figures aussi. Et remarquez comme, sans théorie aucune et par un pur sentiment de vérité, il pense au peuple de l’armée, à toutes les classes de héros. Son genre, en effet, sera, dans chaque affaire, tout en montrant le chef, de ne jamais sacrifier le soldat.
Il est traité cependant comme un personnage de l’armée ; on lui donne deux bataillons pour escorte :
« Voilà comme je suis organisé pour mon voyage : six mules pour porter mon bagage, mes tentes, etc. ; deux chevaux pour moi et Charles mon domestique, quatre chasseurs et un brigadier comme ordonnances, et huit cents hommes d’escorte. Déjà Charles, notre neveu12, est parti avec ce même nombre d’hommes pour m’attendre à moitié chemin, et le gouverneur (le maréchal Valée) me donne l’ordre qui doit l’attacher auprès de moi pendant la durée de ma petite expédition jusqu’au retour à Bone. Tu vois que je suis traité en véritable personnage ; ce n’est pas que ça me touche, mais je te donne ces détails pour que tu sois sans inquiétude ; car tant de précautions sont même inutiles, la correspondance se faisant journellement avec huit hommes seulement. Cependant j’accepte tout pour être à même de m’arrêter comme bon me semblera sur la route, et même de m’en écarter pour visiter certaines localités intéressantes… »
Horace Vernet participait au prestige et aux honneurs qui s’attachent volontiers en France à tout ce qui est militaire : on essaya de le lui faire payer comme artiste. Tout ce qui se piquait d’art pur se montra deux fois plus rigoureux pour lui.
Il se met en marche pour Constantine ; il n’a plus le temps d’écrire, occupé qu’il est à voir et à peindre ; mais à bord du bâtiment qui le ramenait, et encore plein des sensations du voyage, il les a racontées à Mme Vernet dans une lettre courante et animée, où il fait voir que, sous une impression vive, il savait tenir autre chose encore que le pinceau. Je donne textuellement et tout au long ce récit :
« De Bone à Medjz-el-Ammar rien d’intéressant ; mais, après avoir passé le Raz-el-Akba, le pays dépouillé d’arbres devient un vaste désert coupé de ravins profonds et entouré de vastes montagnes pelées dans le genre de Radicofani13 ; la pluie nous a rendu visite dans ces lieux épouvantables ; il nous a fallu coucher dans la boue, mais heureusement le mauvais temps n’a duré que deux jours. Rien n’était plus intéressant pour moi que ces bivacs en arrivant le soir et en partant le matin. Les lions, les hyènes et les chacals se chargeaient de la musique et se disputaient dans l’ombre les mules et les chevaux que nous laissions derrière nous sur la route ; car, ma chère amie, tu ne peux te faire une idée de la quantité de ces pauvres animaux qu’on abandonne, faute de pouvoir les nourrir. On les assomme, tant qu’ils peuvent se soutenir ; une fois tombés, c’est fini d’eux. Sur ce point comme sur tant d’autres, c’est un gaspillage dans l’armée dont on ne saurait se faire une idée sans en avoir été témoin… Mais brisons là-dessus ; je ne veux te parler que du pittoresque. — Je te disais que le pays était d’une sévérité admirable. Il ne s’y trouve de trace humaine que quelques pierres, reste de monuments antiques qu’on suppose des fortifications. Je ne suis pas de cet avis pour la généralité. Il y en a certains qui me paraissent des tombeaux de la même forme et de la même construption que ceux de Corneto, moins soignés cependant, mais semés çà et là le long d’une voie romaine pendant un assez long espace, deux lieues environ avant d’arriver à Sohma, où se trouve un tombeau monumental, dont j’ai fait le croquis. De ce point on voit Constantine à trois lieues de distance. Je t’avoue que le cœur m’a battu en voyant le terme et le but de mon voyage, les plus hautes montagnes du grand Atlas se développant devant le spectateur. Il était deux heures de l’après-midi, le soleil brillait ; rien ne manquait pour la splendeur du tableau. Je t’assure que, dès ce moment, je n’ai plus pensé qu’au bonheur de joindre à tous les souvenirs que j’ai déjà dans la tête une nouvelle collection de matériaux d’un caractère tout particulier. Je ne te ferai pas ici la description de Constantine, de ses ravins, etc., toutes choses dont tu as déjà entendu parler. Il me suffira de dire que je n’ai rien vu dans aucun de mes voyages qui m’ait autant frappé. Cette ville toute couleur de terre ressemble plutôt à celles des Abruzzes qu’à tout ce que nous connaissons du littoral de l’Afrique. On va crier après moi quand je la peindrai telle qu’elle est, comme on l’a fait après ma verdure. Cependant je serai vrai. L’intérieur des rues est encore plus sombre et d’une puanteur abominable. Les cadavres qui sont encore sous les décombres ne contribuent pas peu à augmenter ce que les ordures, la diarrhée générale de l’armée, émanent de miasmes pestilentiels. Montfaucon est la boutique de Lubin en comparaison. Aussi nos pauvres soldats mouraient-ils comme des mouches. Dès le premier pas qu’on fait dans la ville, on ne peut croire qu’il soit possible d’y rester. Puis tout à coup nous entrons dans le palais du Bey : tout change. Figure-toi une délicieuse décoration d’opéra, tout de marbre blanc, et des peintures de couleurs les plus vives d’un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d’orangers, de myrtes, etc. ; enfin un rêve des Mille et une Nuits. Certes, j’étais loin de m’attendre à des sensations si différentes dans un si court espace de temps, et cependant je n’étais pas au bout. Figure-toi que la suite du prince a tout dévasté et qu’il ne reste rien, mais rien dans l’intérieur. Tout a été emporté, jusqu’aux oiseaux et aux poissons rouges. On a fait des trous dans tous les murs pour chercher des cachettes ; enfin tout est sens dessus dessous. Ah ! les barbares ! Du reste, j’ai reçu dans ce palais le meilleur accueil possible du général Bernelle ; il m’a donné une ci-devant belle chambre dans laquelle j’ai couché par terre avec délices, car du moins j’étais à sec, et mes trois jours se sont passés à courir la ville et les environs, dessinant autant que possible les points intéressants, et j’ai fait une fameuse récolte de tableaux à faire. »
L’honnête homme, l’homme de devoir et de probité percent à tout moment à côté des impressions du peintre guerrier ; si Horace aime les soldats, il les aime aux mains nettes et pures. L’humanité se montre chez lui bien naïvement aussi, dans l’anecdote suivante ; il aurait pu faire la Fille du régiment, comme il a fait le Chien du régiment ; il aimait mieux pourtant n’avoir pas à traiter ce nouveau sujet de tableau :
« Dis à Jazet14 que je lui rapporte une vigoureuse collection de sujets. Il y en a un surtout qui (je ne puis attendre pour te le raconter) a manqué te valoir une petite fille à élever. Tu as entendu parler d’un rocher du haut duquel les femmes, en voulant fuir, se précipitaient ? Représente-toi, sur un monceau de plus de cent cadavres de femmes et d’enfants, que les Kabyles dépouillaient ou achevaient lorsqu’ils respiraient encore, un sergent et un soldat du 17e leur disputant, les armes à la main, un pauvre petit être de quatre ans, encore attaché au corps de sa mère morte. J’ai retrouvé cette petite fille au camp de Medjz-el-Ammar : elle est très-gentille ; mais que deviendra-t-elle ? On la nomme Constantine, ne lui connaissant d’autre nom ; le régiment la garde ; mais, encore une fois, que deviendra-t-elle ? C’est justement parce qu’il n’y a pas de doute sur le malheureux sort qui l’attend, que je voulais la prendre. Je n’aurais pas balancé à t’apporter cet embarras, si une autre idée ne m’était venue : c’est d’en parler à Madame Adélaïde : ce serait digne d’elle de faire élever un enfant pris sur le champ de bataille où son neveu a été fait lieutenant général. Nous parlerons de ça à mon arrivée. J’ai tous les renseignements imaginables sur ce fait. »
Il ne perdit nullement de vue son idée bienfaisante : on fit venir la petite fille en France, et Mme Adélaïde la prit en effet sous sa protection. On le voit, si Horace Vernet parut dans quelques sujets bien sentimental, c’est qu’il avait réellement en lui du sentiment.
D’autre part, ceux qui ont cru Horace indifférent au paysage et aux arbres de la route, qui ont dit qu’il dessinait en pensant à autre chose, « comme on tricote les yeux fermés »
, les mêmes qui ont ajouté qu’il était à peu près inutile, pour le juger comme peintre, d’étudier sa vie, ne conviendront-ils pas qu’ils lui ont fait légèrement tort ? Je pense, en écrivant ceci, à un critique d’art fort distingué, mais bien sévère, et que son amour pour l’idéal n’absout pas, à mon sens, de quelque injustice dans le cas présent15.
« Pour en revenir au but de mon voyage, disait Horace Vernet en terminant sa lettre, j’ai dessiné d’une part et recueilli de l’autre tout ce dont j’aurai besoin pour mon grand tableau. Jamais je n’ai eu occasion de faire un ouvrage aussi intéressant et aussi pittoresque ; mais aussi fallait-il voir les lieux, car il n’y a pas de description, de dessin, de croquis, qui puisse donner une idée de l’originalité de la scène. Ça ne ressemblera à rien de ce qui a été peint, et ça ne sera que vrai. Il faut avoir vu l’armée d’Afrique. Ce n’est plus ni la République ni l’Empire, c’est l’armée d’Afrique, c’est-à-dire la réunion un jour de bataille de toute les vertus militaires, et le lendemain… sauf quelques exceptions chez de certains hommes trop bien trempés pour ne pas résister à la contagion !… Tiens, je ne veux pas écrire tout ce que je pense. »
Chassons nous-même ces ombres déjà si lointaines et qui feraient tache au tableau. Et c’est ainsi qu’Horace Vernet arriva à réaliser et à fixer en trois tableaux, vrais et dramatiques, irréprochables d’exactitude, admirables de composition et de vie, les préliminaires et l’instant même de ce glorieux assaut. Qu’on ne lui oppose plus Gros, l’épique et le grandiose, avec ses deux ou trois héroïques figures militaires ; le théâtre comme la tactique a changé. Lui, il est bien désormais le peintre par excellence de cette guerre d’Afrique, où tout se dissémine et s’étend, où les choses ne se décident point comme dans une grande guerre parle génie d’un seul, par le concert de quelques-uns et par du canon. Ici, bien que le talent des chefs y fût pour beaucoup sans doute, la supériorité des principales figures était moins imposante : c’était tantôt un colonel, tantôt un chef de bataillon qui ordonnait et accomplissait un beau fait d’armes ; c’était toute une troupe vaillante qui l’y aidait à la baïonnette. Horace Vernet a saisi et rendu à merveille cette mesure, cette proportion des hommes et des combattants entre eux. Il est bien le peintre de l’armée même, de tous les chasseurs d’Afrique, de ce qui, là et ailleurs, a gagné en effet les batailles. Il me rappelle toujours ce mot de Saint-Arnaud, un homme du même jet et de la même sève : « Ma pauvre compagnie, si belle il y a deux mois, s’écriait le maréchal encore simple capitaine, cent dix brillantes baïonnettes bien pointues, bien agiles ! J’ai à peine quarante combattants. Ils en valent quatre-vingts… »
Eh bien, Horace Vernet savait donner une physionomie à chacune de ces baïonnettes.