(1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »
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(1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

La comtesse de Boufflers (suite et fin.)

La distinction, l’élévation d’esprit et de sentiments de Mme de Boufflers nous sont suffisamment attestées et prouvées par tout ce que nous avons vu de ses actions et de ses paroles : c’est une personne qui a tout droit d’occuper l’historien littéraire ; nous ne l’inventons en rien, nous la retrouvons. Mais nous avons encore bien des choses à apprendre d’elle et sur elle, bien des noms célèbres à rencontrer dans sa compagnie et à ses côtés.

I.

Elle aimait l’Angleterre et les Anglais ; elle causait bien politique, et ce fut une des femmes du xviiie  siècle qui, les premières, surent manier en conversant cet ordre d’idées et de discussions à la Montesquieu. Je ne donne point cela précisément comme un agrément ni comme une grâce, mais c’était au moins de l’intelligence et un talent. Le diplomate anglais Dutens la vit, à son arrivée à Paris, en mai 1762, et dînant avec elle chez M. Murray, frère de lord Elibank : « Je n’eus, dit-il, des yeux et des oreilles que pour regarder Mme de Boufflers et l’écouter ; tout ce qu’elle me disait me paraissait tourné différemment de ce que disaient les autres : je n’ai vu qu’elle qui ne perdît rien de son naturel, en ayant toujours de l’esprit. » Elle projetait d’aller à Londres aussitôt la paix faite, et elle mit ce projet à exécution. Son arrivée fut un événement ; la Cour et la ville la fêtèrent à l’envi ; elle était la lionne du moment, le sujet de conversation à la mode ; elle faisait concurrence au célèbre Wilkes dont le procès se jugeait dans le même temps. « Outre qu’elle parut infiniment aimable, nous dit un témoin, on s’empressait de la voir comme un objet rare et merveilleux ; on lui faisait un mérite de sa curiosité de voir l’Angleterre ; car on remarquait qu’elle était la seule dame française de qualité qui fût venue en voyageuse depuis deux cents ans. On ne comprenait point, dans cette classe, les ambassadrices ni la duchesse de Mazarin, qui y étaient venues par nécessité. » Ainsi Mme de Boufflers fut la première grande dame de la société qui alla inaugurer en personne ce goût de l’Angleterre et de sa Constitution, et de ses usages, de ses modes, qui devint bientôt une manie chez plusieurs, mais qui chez elle n’était encore qu’une curiosité éclairée.

Elle voulait tout connaître, tout voir et examiner, et à la fois ; elle suffisait à peine à la tâche. Au milieu de toutes leurs prévenances pour leurs nouveaux hôtes (car elle avait quelques amis de France avec elle), les Anglais faisaient leurs observations sur ce qu’on appelait la légèreté, la vivacité française, et ils ne la trouvaient pas tout à fait à la hauteur de sa réputation. En voyant arriver quelques mois auparavant le duc de Nivernais pour négocier la paix, comme il était très-petit et chétif, Charles Townshend, sur le premier coup d’œil, avait dit : « On nous a envoyé les préliminaires d’un homme pour signer les préliminaires de la paix. » Cette nature puissante et vitale des Anglais venait à bout aisément des nerfs de nos petits-maîtres et de nos petites-maîtresses qui n’en pouvaient plus et étaient littéralement sur les dents. Horace Walpole, dans la description des fêtes qu’il donna à sa résidence de Strawberry-Hill en l’honneur de Mme de Boufflers, nous la montre fort agréable, mais arrivant fatiguée, excédée de tout ce qu’elle avait eu à voir et à faire la veille :

« Elle est arrivée ici aujourd’hui (17 mai 1763) à un grand déjeuner que j’offrais pour elle, avec les yeux enfoncés d’un pied dans la tête, les bras ballants, et ayant à peine la force de porter son sac à ouvrage. » En fait de Français, Duclos était de la fête, lui « plus brusque que vif, plus impétueux qu’agréable », et M. et Mme d’Usson, cette dernière solidement bâtie à la hollandaise et ayant les muscles plus à l’épreuve des plaisirs que Mme de Boufflers, mais ne sachant pas un mot d’anglais. Horace Walpole, après le déjeuner, conduisit ces dames dans l’imprimerie particulière qu’il avait établie chez lui, et comme on tirait par hasard une feuille, ces dames voulurent voir ce que c’était ; elles y trouvèrent ces vers anglais à leur louange ; c’est la Presse qui est censée parler ; je traduis :

Pour Mme de Boufflers.

« La gracieuse beauté qui aime à connaître, — et qui ne craint point la neige inclémente du Nord ; — qui force son accent poli à se plier — aux sons plus rudes de l’idiome britannique, — lira sa louange dans tout climat — où la Presse pourra parler et où les poëtes chanteront. »

Mme d’Usson avait aussi son petit couplet. Malgré ces galanteries, Horace Walpole, surtout après son voyage en France et depuis sa liaison avec Mme du Deffand, fut un juge bien plus sévère qu’indulgent pour Mme de Boufflers.

Celle-ci, durant son séjour en Angleterre, ne vit pas seulement les gens du monde et de la haute société, elle voulut connaître les savants, et l’on a le récit de sa visite au grand critique d’alors, à la fois homme de goût et roi des cuistres, à cet original de Samuel Johnson ; je donne l’historiette telle qu’on la lit dans la Vie du célèbre docteur par son fidèle Boswell ; il la tenait lui-même de la bouche de M. Beauclerk, un homme d’esprit très à la mode, un des chevaliers de Mme de Boufflers à Londres, et qui est ici le narrateur :

« Quand Mme de Boufflers vint pour la première fois en Angleterre, elle était curieuse de voir Johnson. J’allai donc avec elle chez lui, à son logement du Temple, où elle jouit de sa conversation quelque temps. Quand notre visite eut assez duré, elle et moi nous le quittâmes, et nous étions déjà dans le passage intérieur du Temple, lorsque tout d’un coup nous entendîmes un bruit comme un tonnerre : c’était Johnson, qui, à ce qu’il paraît, après un instant de réflexion, s’était mis en tête qu’il devait faire les honneurs de sa résidence littéraire à une dame étrangère de qualité, et qui, tout empressé de se montrer galant, se précipitait du haut en bas de l’escalier dans une violente agitation. Il nous rattrappa avant que nous eussions atteint la porte du Temple, et, se jetant entre moi et Mme de Boufflers, il s’empara de sa main et la conduisit à sa voiture. Son accoutrement consistait en un habit brun du matin tout rapé, une paire de vieux souliers en guise de pantoufles, une petite perruque ratatinée au sommet de la tête, avec ses manches de chemise flottantes et ses cordons de culotte mal attachés. Une foule considérable nous entourait et n’était pas peu surprise de cette scène grotesque. »

On voit par là que Mme de Boufflers obtint mieux encore que ce qu’on a appelé « un grognement élogieux de Johnson » ; elle eut ses révérences et fit faire à Tours toutes ses grâces.

Horace Walpole, à son voyage à Paris en 1765-1766, revit Mme de Boufflers, et désormais, quand il parle d’elle, il le prend volontiers sur le ton de la raillerie. C’était le moment où Rousseau était en passage à Paris, avant d’aller en Angleterre ; Horace Walpole fit, un soir, en rentrant de chez Mme Geoffrin, cette plaisanterie cruelle de la prétendue lettre d’invitation du roi de Prusse à Jean-Jacques, qui courut bientôt Paris et toute l’Europe, et où on lisait entr’autres ironies : « Si vous persistez à vous creuser l’esprit pour trouver de nouveaux malheurs, choisissez-les tels que vous voudrez ; je suis roi, je puis vous en procurer au gré de vos souhaits. » Walpole se raillait de Rousseau et le traitait en pur charlatan ; il se représentait aussi Mme de Boufflers comme ambitieuse elle-même d’être enlevée jusqu’au Temple de la Renommée en s’accrochant à la robe de l’Arménien philosophe. Il s’était fait d’elle toute une théorie, qui est aussi celle de Mme du Deffand, et qu’il exprime de cette façon piquante ; c’est dans une lettre à son ami, le poëte Gray :

« Mme de Boufflers, qui a été en Angleterre, est une savante, maîtresse du prince de Conti, et qui a grand désir de devenir sa femme. Il y a deux femmes en elle, celle d’en haut et celle d’en bas. Je n’ai pas besoin de vous dire que celle d’en bas est galante et a encore des prétentions ; celle d’en haut est très-sensible aussi et a une éloquence mesurée, qui est juste et qui plaît. Mais tout est gâté par une continuelle préoccupation de l’applaudissement : vous croiriez qu’elle pose toujours pour son portrait devant le biographe. »

Voilà le défaut saisi et marqué par un peintre sarcastique. On nous permettra, en nous fiant à d’autres témoignages, de croire qu’Horace Walpole a trop penché dès lors dans le sens des explications malignes de Mme du Deffand. Celle-ci prétend que Mme de Boufflers joue perpétuellement la comédie : si elle regrette un de ses amis anglais, le jeune et aimable lord Tavistock, malheureusement tué à la chasse d’un coup de pied de cheval, si elle se retranche pendant quelque temps les spectacles et les fêtes : « Elle mène un deuil de milord Tavistock qui fait hausser les épaules ! » De même pour tout et dans toutes ses actions. La Vieille du Deffand ne lui accorde rien de vrai et de sincère. Elle la traite en ennemie intime. Elle la voit journellement et elle la déteste, elle et tous ses amis et ses adhérents, toute la clique comme elle les appelle :

« Haïssant les Idoles, écrit-elle à Walpole, je déteste leurs piètres et leurs adorateurs. Pour d’Idoles, vous n’en verrez pas chez moi ; vous y pourrez voir quelquefois de leurs adorateurs, mais qui sont plus hypocrites que dévots : leur culte est extérieur ; les pratiques, les cérémonies de cette religion sont des soupers, des musiques, des opéras, des comédies, etc. »

Mme de Boufflers a un tort impardonnable et ineffaçable à ses yeux. Dans la brouillerie de Mme du Deffand et de Mlle de Lespinasse, elle avait fait comme dans la brouille de Hume et de Rousseau ; elle n’avait épousé en aveugle aucun parti, et n’avait pas donné absolument tort, à ce qu’il paraît, à la demoiselle de compagnie qui faisait schisme et qui avait dressé autel contre autel. De là cette dent pleine de venin qu’on lui gardait.

D’autres bons témoins sont plus justes à son égard. Le prince de Ligne, regrettant le passé, la comptait dans son souvenir parmi les rares ornements d’une société comme il ne s’en retrouvera plus : « Une Mme de Boufflers, s’écrie-t-il, un peu paradoxale, mais qui, dans un cadre de simplicité, faisait pardonner son sophisme et sa supériorité d’éloquence ; bonne, protégeante dans la société, facile à vivre !… » Dutens, enfin, qui seul ne serait peut-être pas une autorité suffisante en matière de grâce et de goût, mais qui en est une en fait de sérieux, nous dit :

« De toutes les femmes de la Cour les plus distinguées par l’esprit et les agréments, Mme la comtesse de Boufflers était certainement la plus remarquable : aucune n’avait plus d’amis et n’avait eu moins d’ennemis, parce qu’elle unissait à tous les dons de la nature et à la culture de l’esprit une simplicité aimable, des grâces charmantes, une bonté et une sensibilité qui la portaient à s’oublier sans cesse, pour ne s’occuper que des biens ou des maux de tous ceux qui l’entouraient. Je ne puis mieux la faire connaître qu’en rapportant ici son Portrait, fait par un homme à qui elle avait rendu le service important de le tirer du couvent et de le faire relever de ses vœux ; il lui dédia un ouvrage sans mettre son nom à la tête de l’Épître dédicatoire, parce qu’elle n’avait pas voulu le lui permettre. La délicatesse et l’esprit qui brillent dans ce morceau sont bien dignes du sujet qu’il traite ; voici comment il s’exprime :

« Je dédie cet ouvrage à la personne à qui je dois le bien le plus précieux de la vie pour qui sait en jouir. Distinguée par le rang et la naissance, elle l’est infiniment plus par l’élévation et la délicatesse des sentiments, la beauté du génie, l’étendue des lumières, la pénétration de l’esprit, la précision et la vigueur du raisonnement, la pureté et l’élégance du langage, la justesse et la finesse du goût. Sans le vouloir, elle passe à la Cour, a la ville, chez l’étranger, et dans la République des Lettres pour une des premières femmes de sa nation et de son siècle. Outre le droit qu’elle a sur mon admiration et ma reconnaissance, elle en a un tout particulier sur cet agréable travail33, entrepris sous ses auspices : je lui en fais l’hommage avec mystère, parce que je ne puis le faire à découvert ; ceux qui ont éprouvé le doux transport qu’excite dans l’occasion le souvenir d’un bienfait signalé, ne désapprouveront pas que mon cœur cherche à se soulager lorsqu’il ne peut se satisfaire ; ils ne seront pas surpris de me voir ajouter que dans mes regrets d’être obligé de taire l’illustre Objet de sentiments si légitimes, si naturels, et qui ne demandent qu’à se produire, je me console quelquefois par l’espérance qu’on le devinera, sans que j’aie couru le risque de tomber dans le malheur de lui déplaire. »

On me dira que c’est là une Épître dédicatoire ; mais cette Épître ne portant aucun nom, elle n’est évidemment pas pour la montre ; c’est la reconnaissance toute pure qui s’épanche, et tout ce que nous savons, c’est que l’humble auteur anonyme, du temps qu’il était moine, ayant été rencontré par Mme de Boufflers dans le jardin d’un couvent où elle était entrée par hasard, avait profité de l’occasion pour l’intéresser au récit de ses malheurs ; il lui avait dit tous les dégoûts qu’il avait à essuyer dans sa profession ; et elle, touchée de son sort, l’avait fait relever de ses vœux, avait pris soin de sa fortune et, avec la liberté, lui avait rendu le bonheur.

Elle avait donc, à côté des dons et du goût de l’esprit, la bonté, et, mieux que l’indulgence, une bienfaisance efficace et pratique ; elle usait de son crédit auprès du prince, et de sa faute même, pour se dédommager et se recommander par de bonnes actions : elle se piquait d’être une providence pour tous ceux qu’elle était à même de secourir : je ne sais si c’est là une prétention aussi, mais ce serait assurément celle d’une belle âme.

II.

La mort du prince de Conti (2 août 1776) vint apporter un grand changement dans son existence. Elle avait entouré la fin du prince des soins les plus constants et les plus tendres. Il ne tenait plus de maison à proprement parler, et ne voyait qu’un petit nombre de personnes choisies qu’elle assemblait pour lui tenir compagnie et le distraire : c’étaient la maréchale de Luxembourg et sa petite fille la duchesse de Lauzun, la princesse de Poix et sa belle-mère la princesse de Beauvau, etc. ; en hommes, l’archevêque de Toulouse, Brienne ; M. de La Fayette (le nôtre), M. de Ségur, le chevalier de Boufflers, etc. ; je ne mentionne que ceux dont les noms signifient encore pour nous quelque chose. Mme de Boufflers avait marié, dès 1768, son fils (bientôt colonel du régiment de Conti) à Mlle Des Alleurs, fille de l’ambassadeur à Constantinople et qui y était née elle-même : celle-ci, pour se distinguer des autres Boufflers, s’appelait la comtesse Amélie, et était célèbre par son talent sur la harpe ; on donnait de petits concerts autour du prince malade. Sa mort plongea Mme de Boufflers dans la plus vive et la plus profonde affliction. Mme du Deffand elle-même qui la visita à Auteuil, où elle s’était retirée dans les premiers jours de son deuil, est obligée de rendre justice à l’air de vérité qui régnait dans toute sa personne :

« (4 août 1776.) L’Idole est dans la plus grande douleur ; elle s’est retirée à Auteuil. La maréchale de Luxembourg l’y a suivie ; elle vient de me mander tout à l’heure que j’y serai reçue ; c’est une très-grande faveur : j’y irai cette après-dînée. »

« (Lundi, 5.) J’ai vu l’Idole ; elle observe très-bien le costume : il n’y a rien à dire… »

« (Vendredi, 9.) L’affliction de la divine comtesse est toujours extrême. Je lui ai rendu deux visites à Auteuil, où elle est établie avec sa belle-fille et Mmes de Luxembourg, de Lauzun, de Virville et de Barbantane. J’irai y souper lundi. »

Mais ce qui honore Mme de Boufflers plus que tout, en cette circonstance douloureuse, ce fut la lettre qu’elle reçut d’Angleterre, de son ami Hume, qui, tout mourant qu’il était, prenait part à sa peine et lui adressait des adieux d’une simplicité sublime ; en voici la traduction :

« Édimbourg, 20 août 1776.

« Quoique je ne sois plus certainement qu’à quelques semaines, chère Madame, et peut-être à quelques jours de ma propre mort, je ne puis m’empêcher d’être frappé de la mort du prince de Conti, une si grande perte à tous égards. Ma pensée m’a reporté aussitôt à votre situation dans une si triste conjoncture. Quelle différence pour vous dans tout le plan de votre vie ! Écrivez-moi, je vous prie, quelques détails, mais dans des termes tels que vous n’ayez pas à vous soucier, en cas de décès, en quelles mains votre lettre peut tomber34.

« Mon mal est une diarrhée ou désordre d’entrailles qui m’a graduellement miné ces deux dernières années, mais qui, depuis ces six derniers mois, m’a visiblement entraîné à ma fin. Je vois la mort approcher par degrés, sans aucune crainte ou regret. Je vous salue avec grande affection et respect pour la dernière fois. »

Certes, la femme qui inspirait à un sage mourant de tels sentiments suprêmes d’intérêt et d’amitié n’était point une âme ordinaire ; et ce seul témoignage, qui rattache son souvenir à celui d’une des plus belles morts que la philosophie nous offre, suffirait pour empêcher son nom à elle-même de mourir.

Bientôt Mme de Boufflers quitta Auteuil et s’en alla, avec sa belle-fille, passer l’hiver à Arles où elle avait fait retenir une maison :

« Une certaine bienséance, l’embarras d’un maintien dans cette espèce de veuvage, la confiance que la belle-fille a dans la science de M. Pomme (un médecin en renom pour le traitement des maladies nerveuses et des vapeurs), de qui elle attend sa guérison, et qui habite dans cette ville, l’ont déterminée à s’y établir pour y passer l’hiver. Elle ne reviendra qu’au mois de février. »

C’est Mme du Deffand qui parle, et à quelque temps de là elle écrit :

« J’ai reçu d’Arles une lettre de l’ldole, qui y est établie. Elle est très-bien écrite et très-touchante : je m’en laissais attendrir, mais je me suis rappelé sa conduite avec feu la Demoiselle (Mlle de Lespinasse), et mon cœur s’est fermé. »

Nous tenons, par cet aveu, la cause et l’origine de la prévention.

De retour à Auteuil, Mme de Boufflers installée avec sa belle-fille dans une jolie maison de plaisance y vécut des années agréablement, recevant chez elle en été la meilleure compagnie de Paris. Elle avait porté quelque chose d’elle-même et de son genre d’esprit dans les embellissements qu’elle avait faits, autour d’elle. Le prince de Ligne, dans son Coup d’œil sur les jardins du temps, a dit : « Je ne connais rien de mieux que le jardin de la comtesse de Boufflers au Temple. On y voit le goût, la raison et la simplicité, comme à son a jardin d’Auteuil. »

La relation fort particulière qu’elle avait liée avec le roi de Suède, Gustave III, et qui remontait à l’année 1771 lorsqu’il arriva à Paris n’étant que Prince Royal, amena une Correspondance entre eux. On a cité des lettres d’elle à ce roi, et d’autres surtout du roi à elle, qui ont une certaine importance historique. Cette Correspondance que l’historien d’Auteuil, Feuardent, a eue entre les mains et dont il a donné des extraits, doit exister et serait intéressante à connaître en entier. Le jeune prince avait passé quelque temps chez elle à Auteuil, à la condition qu’elle lui rendrait sa visite à Stockholm. Plus d’un événement empêcha Mme de Boufflers d’exécuter ce projet qui allait si bien à sa curieuse et voyageuse nature. Elle dut se borner à aller, dans l’été de 1780, aux eaux de Spa, où le roi de Suède arriva bientôt de son côté ; elle l’y attendait. « Il y avait entre elle et lui la plus tendre amitié ! » 35

Le dernier tableau de cette existence mondaine de Mme de Boufflers, nous l’emprunterons encore à Mme du Deffand, malgré la teinte de malveillance qui se mêle toujours à ce qu’elle dit de l’Idole, mais enfin les traits finissent par se radoucir, et ce qu’elle est forcée de lui accorder à son corps défendant a d’autant plus de prix :   

« J’avais toujours oublié, écrit-elle à Walpole (4 avril 1780), de parler à l’Idole de la maladie de Beauclerk, et la première fois que je lui en ai parlé fut vendredi dernier que je lui ai appris sa mort ; elle en a été peu touchée, quoiqu’elle ait eu pour lui une petite flamme. Elle a parfaitement oublié l’Altesse pour qui elle voulait qu’on crût qu’elle avait une grande passion ; celle qu’il avait eue pour elle était tellement passée, qu’on prétend qu’il ne la pouvait plus souffrir36 : heureusement il n’avait pas attendu à ses derniers moments pour lui faire du bien ; elle a, dit-on, quatre-vingts ou cent mille livres de rente ; elle en fait bon usage. L’année dernière, elle passa trois mois à Auteuil dans une très-jolie maison qui lui appartient ; Mme de Luxembourg s’y était établie avec elle et partageait la dépense d’un fort bon état qu’elle y tenait ; je ne sais si cette année elle fera de même, je le voudrais ; j’y allais passer la soirée pour le moins une fois la semaine ; elle est fort aimable chez elle, et beaucoup plus que partout ailleurs ; ses ridicules ne sont point contraires à la société ; sa vanité, quoique extrême, est tolérante, elle ne choque pas celle des autres ; enfin, à tout prendre, elle est aimable.

« Sa petite belle-fille a de l’esprit, mais elle est bizarre, folle, et je la trouve insupportable ; sa belle-mère est son esclave et paraît l’aimer avec passion. »

Ce qui est dit là de la comtesse Amélie et de sa bizarrerie ne paraît pas trop fort. C’était une enfant gâtée qui, sous un air doux et ingénu, cachait de la finesse, même de la ruse, et se permettait tous ses caprices. Elle désolait parfois sa belle-mère, et avait l’art de la captiver, de la dominer. Un jour qu’elle lui parlait très-mal de son mari, Mme de Boufflers l’interrompit en lui disant : « Mais vous oubliez qu’il est mon fils. »« Ah ! s’écria la comtesse Amélie d’un air de vivacité charmante et en se jetant à son cou, excusez-moi ! je crois toujours qu’il n’est que votre gendre. » On cite d’elle beaucoup de ces jolis mots.

Dans cette vie de bon goût, dans cet agréable arrangement du déclin, Mme de Boufflers, aidée des grâces de sa belle-fille et doucement passée à l’état de douairière, soutenait fort bien son ancien renom, et l’on comprenait à merveille, en la voyant et en l’écoutant, qu’elle avait pu être non-seulement l’Idole, mais la Minerve du Temple.

Elle était au mieux avec la nouvelle Cour, celle de Marie-Antoinette. Un jour que cette Cour était au château de La Muette, la duchesse de Polignac à qui Mme de Boufflers avait dit obligeamment de vouloir bien disposer, le cas échéant, de sa maison d’Auteuil, crut pouvoir profiter de l’offre ; mais la comtesse Amélie eut un caprice, et sa belle-mère, pour ne pas la contrarier, fut obligée de se dédire ; elle se permit donc de refuser très-poliment ce qu’elle avait offert de bonne grâce, et elle termina sa lettre d’excuse par les vers suivants :

Tout, ce que vous voyez conspire à vos désirs :
Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs ;
La Cour en est pour vous l’inépuisable source,
Ou si quelque chagrin en interrompt la course.
Tout le monde, soigneux de les entretenir.
S’empresse à l’effacer de votre souvenir.
Mon Amélie est seule : à l’ennui qui la presse.
Elle ne voit jamais que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tout plaisir qu’Auteuil et quelques fleurs,
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.

Grimm nous apprend que ces vers, lus dans la société de Mme de Polignac, furent généralement trouvés détestables : des jours toujours sereins, mauvaise consonnance ; — en interrompt la course, est-ce la course des plaisirs ou la course de la source ? — les entretenir est bien loin du mot plaisirs, de même que l’effacer est un peu loin du mot chagrin ; — et tous ces que, qui, quelquefois, des derniers vers ! Vous êtes peut-être du même avis, mon cher lecteur, mais prenez bien garde ! sachez à qui vous avez affaire ; ce sont tout simplement des vers de Racine (Britannicus, acte II, scène 3) changés à peine et légèrement parodiés pour la circonstance. Si Mme de Boufflers avait voulu mystifier son monde, elle ne s’y serait pas pris plus adroitement.

M. de Lévis, qui ne fit que la connaître en passant, a recueilli d’elle, pour les avoir vues encadrées dans la chambre d’une personne qui en faisait sa méditation quotidienne, une suite de Maximes qui sont tout un code de morale mondaine et de sagesse féminine, — pas trop féminine pourtant, car il y en a dans le nombre quelques-unes de viriles, et même d’un peu romaines ; voici au complet ce petit manuel de bienséance et de stoïcisme :

« Dans la conduite, simplicité et raison.
« Dans l’extérieur, propreté et décence.
« Dans les procédés, justice et générosité.
« Dans l’usage des biens, économie et libéralité.
« Dans les discours, clarté, vérité, précision.
« Dans l’adversité, courage et fierté.
« Dans la prospérité, modestie et modération.
« Dans la société, aménité, obligeance, facilité.

« Dans la vie domestique, rectitude et bonté sans familiarité.
« S’acquitter de ses devoirs selon leur ordre et leur importance.
« Ne s’accorder à soi-même que ce qui vous serait accordé par un tiers éclairé et impartial.
« Éviter de donner des conseils ; et, lorsqu’on y est obligé, s’acquitter de ce devoir avec intégrité, quelque danger qu’il puisse y avoir.
« Lorsqu’il s’agit de remplir un devoir important, ne considérer les périls et la mort même que comme des inconvénients et non comme des obstacles.
« Tout sacrifier pour la paix de l’âme.
« Combattre les malheurs et la maladie par la tempérance.
« Indifférent aux louanges, indifférent au blâme, ne se soucier que de bien faire, en respectant, autant qu’il sera possible, le public et les bienséances.
« Ne se permettre que des railleries innocentes, qui ne puissent blesser ni les principes, ni le prochain.
« Mépriser le crédit, s’en servir noblement et mériter la considération. »

Le caractère et l’âme de Mme de Boufflers se peignent dans ce tableau. Si ce n’est là exactement tout ce qu’elle a été et ce qu’elle a fait, c’est du moins, bien certainement, tout ce qu’elle aurait voulu faire et être.

III.

Nous approchons des années sévères. Lorsque le premier coup de tonnerre de la Révolution éclata, Mme de Bouffiers crut, sans doute que ce ne serait qu’un orage passager. Elle était avec sa belle-fille à Spa, vers le temps de la prise de la Bastille ; là se trouvaient aussi les Laval, les Luxembourg, les Montmorency, la fleur de la noblesse, « dansant de tout leur cœur pendant que l’on pillait et bridait leurs châteaux en France. » Ces dames de Boufflers, au lieu de rentrer à Paris, passèrent en Angleterre, et y vivant sur le pied d’émigrées, elles y demeurèrent jusque bien après le mois de juin 1791, après l’arrestation de Louis XVI à Varennes : elles ne revinrent probablement que sous la menace pressante des confiscations.

C’est ici que la philosophie a beau jeu et que le néant des plus brillants et des plus flatteurs succès mondains éclate dans tout son jour. Croirait-on que jusqu’à ces derniers temps, l’existence de Mme de Boufflers, passé ce moment de 1789 et ce dernier voyage qu’elle fit en Angleterre, était restée un problème, et que cette figure si animée et si constamment en vue s’éclipsait totalement ? Qu’était-elle devenue dans le grand naufrage ? Était-elle rentrée en France ? Quand et où était-elle morte ? On ne le disait pas, on ne le savait pas ; la plupart des auteurs de notices se bornaient à dire vaguement qu’elle était morte vers 1800.

Il a fallu un curieux investigateur des titres de la Commune et de la municipalité d’Auteuil, où il habite, un des ces chercheurs qui fouillent tout sans ennui et sans impatience, pour découvrir peu à peu les dernières traces de cette brillante et divine comtesse. Je vais donner, dans leur détail successif, les simples notes que m’a remises M. Parent-de-Rosan ; elles ont leur éloquence et font rêver sur la vanité du monde, de ses pompes, de ses triomphes, de tout ce qui passe.

A la date du 16 mai 1792, on lit dans les Archives municipales de la Commune :

« Mme de Boufflers, absente depuis le commencement de la Révolution, est arrivée d’Angleterre, à la fin d’avril (le 27). Sa belle-fille n’est revenue que depuis trois jours. »

« (Août ou septembre). La citoyenne Boufflers donne un cheval à la nation. »

En 1793, 21 mai, dans l’État de la recette faite par le citoyen Rouvaux, secrétaire greffier provisoire, sur la liste des secours offerts pour l’expédition de la Vendée, on trouve la citoyenne Boufflers mère portée pour 200 livres, et sa belle-fille pour 100 livres. Ces pauvres dames ont peur évidemment de ne point paraître assez patriotes ; les dons civiques de leur part vont se succéder.

Si elles reçoivent des lettres de l’étranger, elles n’oseront les décacheter ; elles les enverront au Comité de surveillance d’Auteuil, lequel, à son tour, jaloux de faire acte de zèle, les déposera dans les bureaux de la Convention :

« Comité de surveillance d’Auteuil, 1793, 3 octobre.

« Le Président rend compte de sa démarche au Comité de surveillance de la Convention pour y déposer trois lettres adressées à la citoyenne Boufflers et qu’elle avait renvoyées au dit Président telles qu’elles les avait reçues, pour en faire l’usage qu’il croirait convenable.

« Cette démarche a donné une bonne opinion du Comité d’Auteuil. »

Les dons civiques continuent : le 12 brumaire an II (2 novembre 1793), la citoyenne Boufflers, avec sa bru, donne 100 livres, pour repas au détachement de l’armée révolutionnaire ; le 14 du même mois de novembre, elle faisait un don d’argenterie de plus de 90 livres.

Les transes, les tourments de l’intervalle, dans cette jolie maison, autrefois le rendez-vous de la meilleure compagnie et le séjour des plaisirs, nous les devinons. Mme de Boufflers eut là de terribles occasions de pratiquer quelques-unes de ses stoïques maximes. Mais aucun écho ne nous arrive du dedans, et pas un sentiment ni une parole ne transpire.

Cependant, ci-devant nobles et émigrées rentrées comme elles étaient, ces dames ne peuvent éviter l’arrestation : elle a lieu par ordre du Comité de sûreté générale, le 22 janvier 1794, après examen et saisie de leurs papiers. Un domestique mâle est compris dans l’arrestation. Elles sont conduites aux prisons de la Conciergerie, le 23, à la pointe du jour.

Au milieu de ces rigueurs forcées, on a pour elles des égards ; elles sont aimées dans la Commune ; un de leurs anciens fermiers ou régisseurs, le citoyen Caillot, est commandant de la garde nationale du lieu ; il agit immédiatement en leur faveur :

« An II, 5 pluviôse (24 janvier 1794). — Délivrance au cit. Caillot d’un extrait du procès-verbal de la séance du 3 octobre 1793 (vieux style), constatant que notre Comité ne connaissait aucuns suspects ; — au bas duquel on a certifié « que les deux citoyennes Boufflers, en particulier, n’avaient donné aucune preuve d’incivisme ; qu’au contraire elles avaient manifesté la plus parfaite soumission aux lois. »

Une autre pièce, également à décharge, présentait d’une manière avantageuse leur conduite depuis leur rentrée, et nous prouve toute la bienveillance qu’elles inspiraient :

« An II, 5 germinal (25 mars 1794). — Extrait d’un tableau d’observations (en conciance) envoyé ledit jour par le Comité de surveillance d’Auteuil au Directoire du district de Franciade (Saint-Denis).

1° Marie-Charlotte-Hippolyte Campet-Saujon, veuve depuis trente ans d’Édouard Boufflers-Rouverel, domiciliée à Auteuil avant sa détention, 69 ans. Elle a un fils de 47 ans, émigré.

2° Détenue à la Conciergerie depuis le 4 pluviôse dernier (23 janvier 1794), par un ordre du Comité de sûreté générale portant qu’elle était émigrée rentrée.

3° Vivant de son revenu.

4° Avant et en 1789, son revenu était, charges déduites, de 41,200 livres ; aujourd’hui net, 28,604 livres.

5° Dans les premiers jours de son retour d’Angleterre (27 avril 1792), on a vu venir chez elle ses anciennes connaissances, ce qui a duré peu de temps… puis elle a vécu très-retirée avec sa fille (bru), son petit-fils, âgé de huit ans et demi, un instituteur réputé bon citoyen, et une Anglaise qui lui est attachée depuis trente-trois ans, veuve d’un Florentin, qui est en état d’arrestation chez elle, avec un garde, depuis la loi sur les étrangers. Cette Anglaise ne reçoit aucune compagnie.

6° Rien de suspect. A la fuite du tyran, elle était en Angleterre ; — à Auteuil, le 10 août. Elle a toujours paru désirer la victoire des patriotes.

« Soumission d’elle et des gens de sa maison… »

La comtesse Amélie a aussi son dossier favorable.

Elles échappèrent toutes deux au sort fatal qui en atteignit tant d’autres aussi innocentes qu’elles37, et les deux prisonnières furent mises en liberté deux mois après le 9 thermidor, à la date du 14 vendémiaire an III (5 octobre 1794). Il ne saurait donc être exact de dire avec l’historien d’Auteuil, Feuardent, que Mme de Boufflers mourut pendant la Terreur dans la terre de DesAlleurs appartenant à sa bru, près de Rouen : elle survécut à l’époque sanglante ; mais de combien de temps ? on l’ignore ; ce dernier renseignement précis, on ne l’a pas encore obtenu, et il se peut en effet qu’elle ne se soit éteinte qu’en 1800, comme une vague tradition l’a répété.

Mais quelle plus touchante, quelle plus éloquente conclusion d’une telle vie que cet oubli total, cette obscurité même ! Quoi ! cette femme si répandue, si fêtée et adorée, cette Idole, pour l’appeler encore une fois par son nom, qui, dans le plus éclairé des siècles, s’était attachée, par les liens durables de l’estime, des princes et des monarques, des philosophes et des lettrés célèbres ; qui faisait les délices ou l’envie du beau monde qui l’entourait ; que l’on cultivait et que l’on courtisai ! encore pour son esprit jusque sous les premières neiges de la vieillesse, tout d’un coup, on ne sait plus et qu’elle devient, elle disparaît dans le gouffre commun, elle ne surnage pas un instant, ou, si elle surnage, personne ne fait, plus attention à sa présence ou à son absence ; elle va échouer où elle peut et sans qu’on le remarque ; elle n’est une perte et un regret pour personne ; elle n’obtient pas la moindre mention funéraire de la part d’une société bouleversée ou renouvelée, qui toute à ses soucis, à ses craintes, à ses espérances ou à ses ambitions renaissantes, n’a que faire des anciennes idoles, et qui, après avoir renversé coup sur coup avec tous ses temples ses anciens dieux, et les plus grands, n’a plus même un regard de reste pour les demi-déesses d’hier !

Il faut bien oser se rendre compte de la vérité inexorable des choses. Quand on a eu une vraie distinction, on ne meurt jamais entièrement au sein de la société et du régime dont on a été, qui vous a produit et qui vous survit, et où se transmettent tant bien que mal les souvenirs ; mais là où on court le risque à peu-près certain de périr et d’être abîmé tout entier, c’est quand le déluge fatal qui survient tôt ou tard, le tremblement ou le déplacement des idées et des conditions humaines envahit et emporte l’ordre de choses même et tout le quartier de société et de culture qui vous a porté. Il se fait là, à ce moment, des naufrages en masse et des ensevelissements irréparables. Mme de Boufflers nous en est une preuve après mille autres.

Sa belle-fille, la comtesse Amélie, eut une fin mieux connue, mais non moins triste ; elle ne mourut qu’en mai 1825, à l’âge d’environ 74 ans. Déchue et appauvrie peu à peu, elle avait été réduite à vendre sa jolie maison d’Auteuil à M. de Rayneval, le sous-secrétaire d’État et un moment ministre des affaires étrangères. Elle était logée tout près, chez son ancien cuisinier Fauriez, et vivait dans un état voisin de l’indigence. Elle habitait un appartement au dernier étage, d’où elle voyait d’une vue à demi obscurcie par les pleurs et par les années la maison et les jardins qui lui avaient appartenu ; c’était sa consolation dernière. Deux femmes de chambre qui la servaient depuis le temps de sa prospérité, et qu’elle n’avait plus le moyen d’entretenir, ne voulurent jamais la quitter et l’assistèrent jusqu’à la fin. — Elle avait un fils, le comte ou marquis de Boufflers, que tout Paris a connu fort bizarre dans sa vieillesse, trop peu digne de son nom, et qui est mort célibataire en avril 1858. La branche est éteinte.

Mais la brillante amie du prince de Conti méritait d’être remise en lumière à son vrai point de vue, d’être tirée du vague et de l’incertitude où flottait sa mémoire. D’autres compléteront ce que je n’ai fait qu’ébaucher ici. Un volume entier où l’on recueillerait la suite de ses lettres à Jean-Jacques et de Jean-Jacques à elle, où l’on mettrait la Correspondance de Hume exactement traduite, celle de Gustave III que l’on ne saurait manquer de retrouver, ce serait là, au défaut de sa tombe inconnue, son véritable tombeau, tout littéraire comme elle, et son durable monument.