Tourreil, [Jacques de] de l’Académie Françoise & de celle des Inscriptions, né à Toulouse en 1656, mort en 1714.
Sa facilité pour écrire étoit étonnante, ce qui ne veut pas dire qu’il ait toujours bien écrit. Lorsque l’Académie présenta à Louis XIV son Dictionnaire, Tourreil, qui pour lors étoit à la tête de ses Confreres, composa dans cette occasion vingt-huit complimens différens, tous avec un ton & des tournures particulieres. Cet art de complimenter de tant de façons différentes, devoit lui donner une grande considération dans un Corps complimenteur comme celui dont il étoit membre ; mais cette distinction est une pauvre gloire pour quiconque prétendroit s’y borner. Tourreil voulut étendre la sienne au delà du cercle académique, & entreprit dans ce dessein la Traduction des Harangues de Démosthène. En cela, il s’est trompé ; car pour vouloir embellir son Original par les ornemens de l’Art, il l’a absolument défiguré. L’Orateur Grec y conserve à peine quelques traits de cette éloquence mâle, rapide & pressante qui lui étoit si familiere. Son génie est énervé sous la plume Académicienne, qui ne montre que de l’esprit où il faudroit de la vigueur, du naturel, de la simplicité, de l’élévation. Aussi Boileau appeloit-il cette version un monstre.
Il est étonnant que de plus de deux mille Traductions d’Auteurs Grecs
& Latins, qui ont été faites en notre Langue, on en trouve à peine
dix qu’on puisse regarder comme bonnes. L’Abbé d’Olivet en
apporte une raison qui
paroît assez juste. « Un habile Traducteur, dit-il*, doit être un Protée qui n’ait point de forme immuable, &
qui sache prendre toutes les diverses formes des Originaux. Mais
pour cela, outre la souplesse du génie, il faut de la
patience : vertu qui manque plus que le génie aux François,
& qui manque sur-tout aux Traducteurs ; car tout Ecrivain
ne fait effort qu’à proportion de la gloire qu’il se promet de son
Ouvrage ; & comme les Traducteurs savent que le préjugé du
Public n’attache qu’une gloire médiocre à leur travail, aussi
sont-ils sujets à ne faire que des efforts médiocres pour y réussir.
»
Après avoir condamné la maniere de traduire de Tourreil, on doit rendre justice aux deux Préfaces excellentes qu’il a mises à la tête de sa Traduction. L’état de la Grece, du temps de Démosthène, y est présenté avec autant d’érudition que d’habileté. Les réflexions y sont lumineuses & fortement exprimées ; ce qui prouve que, pour écrire au moins passablement, il faut suivre son propre caractere, quand on n’a pas assez de nerf & de souplesse pour se plier à celui des grands Modeles.