(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 506-508
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 506-508

2. PETIT, [Louis] ancien Receveur général des Domaines & Bois du Roi, mort à Rouen, sa patrie, en 1693, âgé d’environ 79 ans ; Poëte François, très-différent du précédent, & que M. Titon du Tillet, M. l’Abbé Ladvocat, & quelques autres, ont confondu avec lui.

Celui-ci étoit ami de Corneille, dont il fit imprimer les Pieces de Théatre à Rouen. Il étoit aussi un des plus assidus de ceux qui fréquentoient l’Hôtel de Rambouillet. Les Ducs de Montausier & de S. Agnan faisoient grand cas de son mérite, ainsi que le P. Commire, qui rendit hommage à ses talens, en lui adressant un de ses Poëmes, intitulé, Cicures Lusciniæ totâ hyeme decantantes. Ses Poésies, qu’on ne lit plus, consistent en des Satires, dont le sujet est moral & critique ; en plusieurs Epigrammes, Madrigaux, Stances, Ballades, parmi lesquelles on trouve plusieurs Pieces d’un très-bon goût, si on fait grace à quelques expressions surannées. Son talent paroît sur-tout décidé pour les Ouvrages de sentiment. Le naturel, la delicatesse, la naïveté, rendent ces Petites Pieces intéressantes, comme on peut en juger par cette Ballade, bien éloignée de la fadeur du Bel-Esprit de nos Poëtes doucereux.

Dès que Robin eut vu partir Toinette,
Il quitta là le soin de son troupeau,
Il jeta loin panetiere & houlette,
Et ne garda rien que son chalumeau.
Il lamenta plus fort qu’un Jérémie,
Il souhaita mille fois le trespas ;
Et dans son mal il n’a d’autre soulas.
Que d’entonner sur sa flûte jolie
Triste Chanson qui finit par, hélas !
C’est grand pitié d’estre loin de s’Amie.
Ce derniers mots, sans cesser, il répete,
Tantôt assis sur le bord d’un ruisseau,
Tantôt couché dessus la tendre herbette,
Tantôt le dos appuyé d’un ormeau,
Onc ne mena, Berger, si triste vie :
Du doux sommeil il ne fait plus de cas !
Plus qu’un Hermite il fait maisgre repas ;
Danses & jeux ne lui plaisent plus mie,
Et dans sa bouche il n’a rien qu’un, hélas !
C’est grand pitié d’estre loin de s’Amie.
Il n’est Berger qui son mal ne regrette,
Et près de lui Bergeres du hameau
Viennent chanter, filant leur quenouillette,
Pour consoler ce triste Pastoureau.
Mais leur doux chant point ne le solatie,
Tant la douleur le tient dedans ses lacs !
Pour ne les voir, les yeux tient toujours bas,
Et si leur dit, laissez-moi, je vous prie ;
Puis aussi-tôt revient à son, hélas !
C’est grand pitié d’estre loin de s’Amie.

ENVOI.

Fils de Cypris, plus malin qu’une Pie,
A consoler Robin l’on perd ses pas :
Toinette seule, avec ses doux appas,
Peut le tirer de sa mélancolie :
Rends-la lui donc ; car après tout, hélas !
C’est grand pitié d’estre loin de s’Amie.

Ceux qui se sont occupés à compiler des Vers médiocres ou frivoles, sous le titre d’Elite de Poesie, du plus joli des Recueils, du Porte-feuille d’un Homme de Goût, compilations qui toutes démentent leurs titres, auroient dû s’attacher à faire revivre ces premiers fruits de notre bonne Littérature. Par-là, ils auroient rendu un véritable service aux Lettres & aux Auteurs ignorés, qui valent quelquefois mieux que bien des Auteurs connus.