(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

PATRU, [Olivier] Avocat au Parlement de Paris, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1604, mort dans la même ville en 1681.

Pourquoi cet Auteur, qui a joui d’une si grande réputation pendant sa vie ; que Vaugelas consultoit comme l’oracle de la Langue Françoise ; à qui Despréaux & Racine s’empressoient de lire leurs Ouvrages, comme à un juge plein de lumieres & de goût ; pour qui l’Académie avoit une déférence qui tenoit du respect ; qu’on regardoit au Barreau, comme un des Orateurs les plus éloquens ; pourquoi est-il aujourd’hui totalement oublié ? La raison en est facile à trouver ; c’est que la Postérité ne juge jamais d’un Auteur sur les éloges de ses contemporains & de ses amis ; elle le cite en personne devant son Tribunal, & ses Productions ne peuvent se soutenir à ses yeux que par leur propre mérite. Si un Littérateur pouvoit se rendre justice à lui-même, M. Patru auroit dû s’attendre à ce changement de fortune. Ses Ouvrages, presque tous au dessous du médiocre, ont eu le sort qu’ils méritoient ; leur foiblesse n’a pu soutenir l’analyse du temps, qui dévore tout ce qui n’est pas marqué au coin du Génie.

Il importe peu aux siecles suivans qu’un Auteur ait connu parfaitement sa langue, qu’il l’ait parlée purement & avec facilité, qu’il ait eu du goût & des connoissances, que les grands Poëtes de son temps l’aient célébré : s’il n’a laissé des Ecrits qui le rendent digne de se survivre à lui-même, on le met bientôt au rang des Auteurs oubliés. D’ailleurs, il est certains talens dont l’éclat ne sauroit être que passager. Tels étoient ceux de M. Patru. Malgré la pureté du langage, qui constitue le mérite de ses Plaidoyers & de ses Lettres, faute de cette chaleur & de cette raison qui donnent la vie aux Ecrits, on ne s’empresse plus de les lire, & son nom seul est resté dans notre souvenir.

Le sort que M. Patru a éprouvé, est l’image de celui qui est réservé à plusieurs Ecrivains de nos jours, dont la renommée n’est que le fruit des préventions d’une infinité d’esprits incapables de juger & d’estimer autrement que sur parole. Combien d’Auteurs médiocres, célébrés comme de Grands Hommes, ne sont-ils pas déjà appréciés à leur juste valeur ? On peut en imposer au Public ; mais l’illusion n’a qu’un temps. Le jugement des Connoisseurs prévaut à la longue, & entraîne nécessairement celui de la multitude. On s’apperçoit déjà, par exemple, que le Public de la Capitale, plus à portée de profiter des lumieres de quelques bons esprits incapables de céder au torrent, est beaucoup revenu & revient tous les jours sur certaines réputations que le manége avoit établies. Plusieurs Ecrivains, déifiés par le préjugé ou l’esprit de parti, commencent à voir diminuer leur culte, & à retomber sur terre, du haut du piédestal sur lequel on les avoit élevés. On commence à connoître que quelques traits de Morale & de Littérature, dont les uns sont communs & les autres hasardés ; que des pensées & des réflexions détachées ; que des lambeaux de traduction secs & froids ; que des Eloges écrits d’un style plus imposant & plus maniéré, que solide & vigoureux ; que des Essais sans dessein, sans méthode, sans profondeur, sans vûes, sont de foibles titres pour une célébrité durable. L’aptitude à résoudre un problême, n’est pas non plus capable de soutenir la réputation de Grand Homme, facile à se procurer, quand, avec quelque mérite, on a l’adresse d’intéresser l’amour-propre des autres au succès du sien. Ce n’est pas en qualité de Géometre que Pascal est regardé comme un Génie dont le nom se soutient avec gloire dans la Postérité : tant d’autres, plus habiles que lui* en ce genre, n’ont pas le même avantage ! C’est pour nous avoir laissé des Lettres qui sont un chef-d’œuvre d’éloquence ; pour avoir enrichi l’esprit humain de pensées profondes, fortes & sublimes ; pour avoir lancé, dans cinq ou six traits de plume, plus de lumiere & de génie qu’on n’en trouve dans tout ce qui paroît accumulé avec tant d’effort dans des volumes de Mélanges de Littérature, d’Histoire, & de Philosophie.

Il ne sera pas inutile de remarquer que M. Patru est le premier qui ait donné l’exemple à l’Académie Françoise de composer des Discours de remercîment. Il se crut si honoré du choix qu’on avoit fait de lui, que, le jour de sa Réception, il en témoigna sa reconnoissance à ses nouveaux Confreres. Ce témoignage leur plut si fort, qu’ils ordonnerent qu’à l’avenir tous les Récipiendaires feroient aussi un Discours de remercîment.

On peut ajouter encore cette anecdote qui fait honneur au jugement & à la fermeté de M. Patru. Après la mort de l’Académicien Conrart, un grand Seigneur ignorant sollicita sa place. On penchoit à l’admettre, quand cet Apologue de M. Patru fit revenir les esprits sur un pareil choix : Un ancien Grec avoit une lyre admirable à laquelle se rompit une corde ; au lieu d’en remettre une de boyau, il en voulut une d’argent, & la lyre n’eut plus d’harmonie.