(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 408-410
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 408-410

2. NICOLE, [Pierre] parent du précédent, né à Chartres en 1625, mort à Paris en 1695 ; savant Théologien, habile Controversiste, bon Moraliste, Critique partial.

N’eût-il que la gloire d’avoir concouru à l’Ouvrage de la Perpétuité de la Foi, auquel il eut plus de part que M. Arnaud, c’en seroit assez pour le placer parmi les célebres Défenseurs de la Religion Catholique. Tout est digne d’éloge dans cet Ouvrage, plan habilement dessiné, distribution des matieres rangées avec méthode, principes établis avec clarté, raisonnemens déduits avec justesse & fortement enchaînés, style simple, lumineux & toujours soutenu.

Les Essais de Morale ne lui font pas moins d’honneur. Ces Essais forment treize volumes, & il n’en est aucun qui n’offre d’excellentes leçons de sagesse & de vertus. Celui qui a pour titre, les quatre fins de l’Homme, peut sur-tout être regardé comme un des meilleurs Traités de Morale Chrétienne, c’est-à-dire, de vraie Philosophie. Jamais les anciens Philosophes, encore moins ceux de notre Siecle, n’ont rien écrit de plus sensé & de plus instructif sur l’homme, sur ses devoirs, sur ses passions, sur l’usage qu’il doit faire des biens & des maux de la vie. Le Moraliste, armé du flambeau d’une raison saine & religieuse, ne s’y écarte jamais de la vérité, & la fait toujours sentir. La même exactitude ne se trouve pas toujours dans les conséquences qu’il tire sur certaines matieres qui font partie des autres volumes. Sa facilité de déduire & de raisonner, pousse quelquefois ses principes jusqu’à la dureté & à l’excès. De là, le découragement dans l’ame du Lecteur. Il n’eût pas dû oublier que la morale ne sauroit être que le résultat des lumieres de l’esprit & des sentimens du cœur. Du seul accord de ces deux facultés peut résulter la vraie sagesse, & des principes de conduite également sûrs & consolans. Chez M. Nicole, au contraire, l’esprit fait tous les frais ; le cœur agit peu, ou, à proprement parler, il n’agit point du tout, ce qui est un défaut. C’est cette inaction du cœur qui donne au style de ce Moraliste de la froideur & de la sécheresse, quoiqu’il offre assez constamment de la pureté, de l’élégance, & de la clarté. Aussi l’Auteur convenoit-il lui-même qu’il n’avoit nulle disposition à cette Eloquence qui suppose dans l’ame, de l’élévation, de la simplicité, & de la chaleur. Les Esprits géométriques, comme le sien, sont naturellement portés au raisonnement ; mais le raisonnement n’est qu’une partie de cette raison persuasive qui doit établir, insinuer, & faire goûter les leçons qu’on veut inculquer.

Nous ne parlons pas de ses Notes sur les Provinciales, ni de ses Ecrits en faveur de Jansénius & contre les Jésuites. Ces Productions polémiques, fruit de l’esprit de parti qui égare le jugement & aigrit le style, tendent naturellement à l’oubli ; à plus forte raison, quand elles ne consistent que dans des discussions dépourvues de justice, d’exactitude & d’éloquence.