(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 403-404
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 403-404

NEUVILLE, [Charles Frey de] Jésuite, né à Vitré en Bretagne, en 1693, mort à St. Germain-en-Laye en 1774.

Son nom doit rappeler à tous ceux qui l’ont lu ou entendu, l’idée d’un des plus habiles Orateurs qui aient illustré la Chaire. Original dans son genre, sans exclure aucune des parties essentielles à la véritable Eloquence chrétienne, le P. de Neuville a réuni, dans ses Sermons, les différens caracteres des Hommes célebres qui l’ont précédé dans le Ministere évangélique. La profondeur des pensées, la force du raisonnement, la noblesse & la pureté du langage, y vont toujours de pair avec la chaleur de l’imagination, la vivacité du sentiment, & l’énergie de l’expression. Toujours fécond, toujours égal, il domine sans s’en apercevoir tous les sujets qu’il traite, & la vivacité de son pinceau rajeunit tous les objets qu’il présente. Enfin, il est le seul de tous les Prédicateurs, qu’on ne puisse comparer qu’à lui-même.

Son Oraison funebre du Cardinal de Fleury, est un chef-d’œuvre en même temps qu’elle fut son premier essai : les critiques qu’on en a faites n’ont servi qu’à en relever les véritables beautés. Celle du Maréchal de Belle-Isle, quoique le fruit d’un âge avancé, est marquée au coin de ses autres Productions, c’est-à-dire qu’on y retrouve cet esprit vaste qui saisit tous les points de vue d’un sujet, qui les approfondit avec pénétration, qui les énonce avec autant de grace que de force ; cet esprit enchanteur, qui donne une vie à tout, & une vie qui annonce toujours le Génie créateur. En un mot, le P. de Neuville eût été un Orateur accompli, sans sa fécondité, qui l’entraîne quelquefois trop loin, sans cette envie de tout dire, qui l’engage dans des détails qu’il eût dû supprimer, puisqu’ils refroidissent ordinairement le Lecteur. Mais si cette abondance est chez lui un défaut, elle le préserve toujours de ces raisonnemens subtils & entortillés, de ces idées bizarres & gigantesques, de ces antitheses recherchées & puériles, de ces tours affectés, de ces expressions académiques, de ce ton ridiculement philosophique, qui font l’insipide mérite de quelques prétendus Prédicateurs de nos jours.