(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 328-330
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 328-330

MOINE D’ORGIVAL, [Henri le] Curé de Gouvieux, près de Chantilly, où il est né vers l’an 1719, Auteur de quelques Ouvrages de Littérature, qui annoncent plus de talens naturel & d’érudition, que de goût & de solidité. On trouve dans ses Considérations sur l’origine & la décandence des Lettres, chez les Romains, des vûes souvent profondes, & des réflexions assez justes ; mais un Ouvrage de cette nature exigeoit une finesse d’observation, & un discernement exquis, dont M. le Moine d’Orgival ne paroît pas assez abondamment pourvu.

Ce seroit rendre un véritable service aux Lettres, que de faire connoître tout à la fois les ressorts qui les ont développées, les moyens qui les ont perfectionnées, & les vices qui concourent à leur affoiblissement & à leur ruine. Nous avons l’expérience de trois Ages Littéraires, qui ont précédé celui que nous finissons. Une bonne Histoire des Ouvrages qui ont paru au commencement, au milieu, & vers la fin de chacun de ces Ages, pourroit nous instruire & de ce qui peut féconder, nourrir, perfectionner les esprits, & de ce qui peut les resserrer, les énerver & les engourdir.

Par ce moyen, en jugeant des différens symptomes, en comparant le caractere des Ouvrages d’un temps avec le caractere de ceux d’un autre, il seroit facile de savoir au juste si la maniere actuelle est préférable à celle qui l’a précédée. Comme dans les maladies on cherche à en connoître la cause, les progrès, & le terme : de même en ce qui concerne la marche des esprits, on auroit un moyen sûr, selon les diverses circonstances, d’employer les remedes, & de prédire ou de prévenir la révolution. Pour appliquer ceci à notre Siecle ; si, par exemple, les Productions qu’il enfante sont marquées au même coin, ont les mêmes travers que celles qui ont paru sur le déclin des Siecles de Périclès, d’Auguste, de Léon X, ne sera-t-on pas en droit d’en conclure que nous tendons à la chute que ces Siecles ont successivement éprouvée ?

M. le Moine a fait encore un autre Ouvrage, intitulé Discours sur les progrès de l’Eloquence de la Chaire, & sur les manieres & l’esprit des Orateurs des premiers Siecles ; autre entreprise qui exigeoit des talens supérieurs aux siens. Pour bien décider sur ces sortes de matieres, il faudroit non seulement remonter aux sources, suivre les traces, saisir les rapports, ne jamais perdre de vue son objet, mais avoir encore une sûreté de tact pour saisir les caracteres, un esprit de sagacité pour découvrir & recueillir les débris dispersés, & une adresse pour les concilier & en former un Tout, capable de remplir le but qu’on s’est proposé. C’est ce dont M. le Moine ne paroît pas s’être douté. Ajoutons que la négligence & la dureté de son style sont peu propres à faire ressortir le mérite de ses vûes, souvent profondes, & à les faire goûter.