METTRIE, [Julien-Offroi la] Médecin, de l’Académie de Berlin, né à Saint-Malo en 1709, mort à Berlin en 1751 ; Auteur éclairé de plusieurs bons Ouvrages sur la Médecine & contre les Médecins, & Auteur frénétique de plusieurs Livres de Philosophie, qui font également tort aux Lettres & à la Raison.
Il étoit en Hollande lorsqu’il publia son Homme-Machine, Production qui l’auroit conduit sur l’échafaud, sans une prompte fuite, qui le déroba aux perquisitions des Magistrats. Si, dans cette République, on sévit ainsi contre les Auteurs qui déchirent la Religion, comment ose-t-on se plaindre de voir, en France, arrêter le débit de leurs Ouvrages, & défendre l’entrée de ceux qu’on imprime chez l’Etranger ? Quand la peste est répandue dans un pays, on forme un cordon de troupes, afin que rien ne sorte des lieux infectés, & ne vienne corrompre ceux qui n’ont pas encore senti la contagion. Il est des Ouvrages pestilentiels, dont il est nécessaire d’arrêter les progrès.
La liberté de la presse, que les Philosophes implorent & préconisent avec tant de complaisance, en s’en réservant toutefois le privilége pour eux-mêmes, seroit le moyen le plus sûr de corrompre l’Univers. Ils ont beau dire, que le choc des Esprits produit la lumiere, il est certaines matieres sur lesquelles le choc des Esprits produit l’embrasement. Qu’on imprime des inepties, à la bonne heure ; le Sage en rit, & prend quelquefois la peine de les réfuter : mais qu’on imprime des atrocités contre Dieu & les Hommes ; le Sage en gémit, & regarderoit alors la Tolérance comme une foiblesse & une trahison.
Nous remarquons que ce mot Tolérance, n’est ordinairement prononcé que par ceux qui ne le comprennent pas. Que doit-on tolérer ? De minces Littérateurs, quand ils ne peuvent mieux faire. Que peut-on tolérer ? De mauvaises Pieces de Théatre, quand nous manquons d’Hommes de génie, seuls capables d’en donner de bonnes. Qu’est-ce qu’on ne doit ni ne peut tolérer ? Ce sont des Ecrits impies, par-là même séditieux & destructeurs de toute Société ; parce que, si on les toléroit, ce seroit une injustice envers le Curieux qui les lit, le Sot qui les adopte, le Libertin qui les préconise, l’Homme de bien qui ne peut en apprendre l’existence qu’avec indignation. L’intolérance, à cet égard, peut-elle jamais produire la millieme partie des maux qu’une indulgence funeste entraîneroit à sa suite ?
Si la Mettrie a donné, dans quelques-uns de ses Ouvrages, l’exemple monstrueux des derniers excès d’une absurde Philosophie, la Raison est venue du moins éclairer ses derniers momens. Le premier hommage de cette Raison désabusée, a été un retour sincere vers la Religion, & le désaveu public de toutes ses erreurs. Habitant d’un pays libre, rien ne l’obligeoit à rétracter ses travers. Il a voulu cependant constater son repentir par des preuves non équivoques. L’approche de sa derniere heure lui fit comprendre que le triste honneur de mourir dans l’impiété, ne valoit pas le sacrifice de ses lumieres & de ses sentimens. S’il eût persisté, comme quelques-uns de ses semblables, à lutter contre l’évidence & à étouffer les cris du remords, qu’en eût-on pu conclure ? C’eût été un Insensé de plus à compter parmi les Victimes du Fanatisme philosophique.