(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 150-153
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 150-153

LONGCHAMPS, [Pierre de] Abbé, né dans le Poitou en 1736.

Nous connoissons de lui plusieurs Ouvrages de Poésie qui nous ont paru très-estimables, mais dont la gloire semble le toucher peu. Ce n’est pas apparemment sur ces sortes de Productions qu’il fonde sa réputation. Il s’est attaché à un genre qui exige plus de talens, & plus propre à lui donner une place distinguée parmi les Ecrivains utiles. Le Tableau historique des Gens de Lettres, dont il a déjà publié plusieurs volumes, fait désirer qu’il puisse donner à cet Ouvrage toute son étendue. Il n’est point encore arrivé au regne de François I, &, par cette raison, nous sommes fâchés de ne pouvoir pas profiter de ses lumieres.

On ne peut se dissimuler toutes les difficultés de la carriere que parcourt M. l’Abbé de Lonchamps. Il y a déjà acquis une juste gloire ; mais les temps critiques ne sont pas encore arrivés. Le risque n’est pas effrayant, lorsqu’il s’agit d’apprécier le mérite des Morts. Si on ne décide pas selon les idées du Public, on a le Public, à la vérité, contre soi, avant qu’il soit désabusé ; mais son zele n’est jamais si ardent que celui des particuliers. Au contraire, quand il s’agit de parler des Vivans, l’amour-propre s’éveille, les orages grondent, & les écueils se multiplient de tous côtés.

Il n’est point de Littérateur qui ne se croit des droits aux suffrages de ses contemporains. Ces droits ne sont pas toujours réglés par l’équité : la vanité en établit les titres, la vanité en prend la défense, & l’animosité est toujours le prix de quiconque ose se déclarer le juge de leur valeur. Que faut-il donc faire ? Les Morts, du fond de leur tombeau, n’appellent point des sentences prononcées contre eux ; les Vivans sont toujours prêts à crier à l’injustice & à être injustes, pour prouver qu’on a tort de les attaquer. Le Public doit-il être la victime d’une foule d’Ecrivains médiocres qui l’ennuient, ou qui corrompent le gout ? Les Génies les plus distingués peuvent-ils se croire irréprochables ? &, en rendant justice à leurs talens, est-on obligé de se taire sur leurs défauts ? N’est-il pas à craindre que ces défauts, quelquefois séduisans, ne contribuent à la ruine de la Littérature ? La République des Lettres seroit-elle un Etat anarchique où chaque Tyran fût en droit d’établir des loix arbitraires ? Et quand des Journalistes, de leur propre mouvement, certaine science & pleine puissance, auront approuvé ce que le bon goût réprouve, ou condamné ce qu’il admet, leurs Décrets seront-ils sans appel comme sans infaillibilité ? Rien ne seroit plus contraire aux progrès des Arts, qu’une si aveugle séduction. C’est précisément contre la soumission de certains Juges & les applaudissemens du Parterre abusé, que le Zélateur du bon, du vrai, du beau, doit s’élever avec le plus de force. Ce sont les raisons qui prouvent en ce cas, non des autorités, ni des suffrages trop décriés par l’abus qu’on en a fait.

Voilà ce qui rend une Histoire littéraire le plus difficile peut-être de tous les Ouvrages ; car, indépendamment des recherches, du discernement, de l’impartialité, de l’honnêteté même, il faut encore une adresse plus qu’humaine pour dire la vérité sans offenser les oreilles délicates :

Nul n’est content de sa fortune,
Ni mécontent de son esprit.

Quelles que soient ces difficultés, nous ne les croyons pas capables de décourager un homme sage. Son premier soin doit être pour le vrai, & sa derniere inquiétude pour les murmures.

Au reste, M. l’Abbé de Longchamps a enrichi la Littérature Françoise d’une Traduction aussi fidelle qu’élégante, des Poésies de Properce & de Tibulle, dont les critiques séveres de quelques Journalistes n’ont pu affoiblir le mérite dans l’opinion publique.