(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 92-93
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 92-93

LATTAIGNANT, [Gabriel-Charles de] Chanoine de Reims, né à Paris au commencement de ce siecle, mort dans la même ville en 1778.

Sa Muse a su se plier à tous les goûts. Tantôt gaie, tantôt sensible, elle a célébre successivement la joie & les langueurs. Il paroîtra étrange que M. l’Abbé de Lattaignant ait choisi le genre des Chansons préférablement à tout autre. Sans doute qu’il a mieux aimé suivre les impressions de son génie que la décence de son état, qui lui a paru trop sévere. Qu’on lui pardonne cet oubli, & il pourra occuper une place parmi les Esprits agréables qui font honneur à la gaieté Françoise. Si ses Chansons ne sont pas toujours égales, s’il en a quelques-unes de froides & de peu naturelles, il en a beaucoup d’ingénieuses & de très-délicates. Telle est, entre autres, celle-ci, sur l’air : De tous les Capucins du monde.

S’il suffisoit, belle Cousine,
D’avoir les charmes de Corinne,
Pour inspirer de tendres sons ;
Pour vous l’Auteur le plus aride
Feroit cent couplets de chansons,
Et vous en feriez un Ovide.
Mais les graces les plus touchantes
Ne sont pas toujours suffisantes ;
Et ce seroit trop présumer
D’imaginer que l’on doit faire
Pour une Belle un Art d’aimer,
Parce qu’elle a celui de plaire.

Une réserve dont on doit lui savoir gré, c’est que la vivacité de son imagination n’a jamais laissé échapper aucun trait contre la Religion, aucun de ces transports qu’on appelle philosophiques, aucune de ces saillies licencieuses qui coutoient si peu aux Grécourt, aux Chaulieu, & à quelques autres qui n’avoient jamais tant d’esprit que pour le vice & contre Dieu. On peut même dire à sa gloire, qu’il a réparé les légéretés de sa Muse, par des Productions plus dignes de ses talens. Ses Cantiques spirituels lui feront plus d’honneur dans les Esprits sages, que ses Ouvrages de galanterie ne lui ont attiré d’applaudissemens de la part des Esprits frivoles, dont les suffrages ne valent pas la peine qu’on leur sacrifie les devoirs.