LXXV
réception de m. mérimée a l’académie française.
La séance pour la réception de M. Mérimée a eu lieu le 6 ; le discours du récipiendaire a complétement réussi. M. Mérimée avait à louer Charles Nodier, et l’on attendait beaucoup d’un tel sujet ; il s’en est tiré en étant très-simple, très-fidèle historien, et en serrant du plus près qu’il a pu le modèle un peu fantastique ; ç'a été une autre manière d’être charmant ; mais M. Mérimée l’a certainement été ; on n’a jamais mieux réussi à l’Académie, en étant moins académique ; il n’a fait aucune concession au genre et il en a triomphé ; il est resté dans sa propre manière, avec son genre d’esquisse précise, voisine du fait, son ironie contenue, sa fine raillerie qui ne sourit pas, mais dont le public n’a rien laissé échapper. Ce public d’Académie est un public très-délicat, très-disposé à goûter tout ce qui est bien ; c’est un public resté Français. Décidément les séances d’Académie française sont plus en vogue que jamais ; et ces sortes de joûtes de beaux esprits semblent devenues une fête aussi nationale en France que les combats de taureaux peuvent l’être en Espagne.
— Nous allions oublier de dire que le discours de M. Étienne (auteur des Deux Gendres), qui répondait à M. Mérimée, a été lu par M. Viennet, en l’absence de M. Étienne indisposé. Cette réponse a été jugée convenable et suffisante ; c’est tout ce qu’on en peut dire ; mais tout l’honneur de la séance a été pour le récipiendaire. Quelqu’un disait en sortant : « Nodier avait mêlé la fée à tous ses récits, à tous ses souvenirs ; Mérimée a supprimé exactement cette fée, et il a su plaire. »
— On peut remarquer aussi ce qu’il y a eu de piquant, de hardi et d’habile, de la part de M. Mérimée, à faire applaudir à l’Académie l’Éloge de Rabelais, de ce grand écrivain dont on ne peut lire tout haut une seule page. Sans en avoir l’air, l’auteur d’Arsène Guillot et de Clara Gazul faisait accepter sa propre justification.
Une autre remarque nous est suggérée encore ; c’est que dans ce discours d’Académie, M. Mérimée ne s’est en rien départi de ce trait essentiel de sa nature qui perce dans toutes les productions de son talent : la peur d’être ou de paraître dupe en admirant. Il n’a pas voulu être ou paraître dupe un seul instant, même dans un éloge académique. C'est là de la fermeté qui tient peut-être à un faible, et un genre d’audace bien que née d’une peur. Tout cela rend ce discours sobre très-piquant.