(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIII » pp. 291-293
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIII » pp. 291-293

LXXIII

le jour de l’an. — mm. dufaure, molé, guizot, billault. — folie de m. villemain. — félicien david.

La chronique de cette quinzaine sera simple. Il n’y a rien eu de littéraire : le jour de l’an ajourne tout, et on laisse passer ce flot avant de rien lancer. Le monde politique pourtant a eu ses commotions, et quand, une fois, il se met en branle, il ne chôme jamais. L'ambition n’a pas de jour de l’an. Le ministère Guizot a été menacé tout d’abord, dès le premier jour de la session, par la nomination de M. Dufaure comme vice-président de la Chambre des députés, et par la quasi-nomination de M. Billault. Ces noms, de loin, disent peu de chose et sont assez ternes : de près, ils essayent de prendre de la couleur et de faire nuance en se rapprochant de celui de M. Molé. Mais ces détails de loin n’ont aucun intérêt, à moins qu’il ne sorte un résultat ; et quoique le ministère Guizot soit menacé, il est probable qu’il s’en tirera encore pour cette fois. Ç'a été là, quoi qu’il en soit, la grande préoccupation politique qui a fait concurrence aux bonbons.

Mais l’autre nouvelle qui a préoccupé tous les esprits, depuis quelques jours, a été l’événement fatal arrivé à l’homme le plus littéraire de France, à M. Villemain. Cette raison si nette, si rapide, si brillante, et qui avait longtemps gardé jusqu’au sein des affaires une sorte de fraîcheur inaccoutumée, s’est tout d’un coup troublée et couverte d’un voile sinistre. L'impression que cette nouvelle a causée a été véritablement de la consternation. Chacun se demandait ce que c’était que la raison humaine en la voyant chanceler ainsi comme la flamme sur le candélabre d’or. Dans un temps où l’on n’a plus d’oraisons funèbres de Bossuet, de tels événements en tiennent lieu et disent assez lequel est le seul grand. Il nous est arrivé quelquefois de nous exprimer avec liberté et franchise sur M. Villemain, qui malheureusement n’avait pas toujours une volonté égale à ses lumières ; mais ce que nous n’avons jamais contesté ni méconnu, c’est qu’il est le plus grand littérateur proprement dit du temps ; c’est que s’il fallait chercher une définition précise de ce que c’est que talent, il ne faudrait pas le demander à un autre que lui ; c’est que, enfin, comme professeur en ces belles années 1826-1830, il a donné à la jeunesse et au public lettré les plus nobles fêtes de l’intelligence qui, dans ce genre de critique et d’histoire littéraire, aient jamais honoré une époque et un pays. On est tenté d’en vouloir à la politique d’avoir ainsi détourné de sa voie, abreuvé et noyé dans ses amertumes, une nature si fine, si délicate, si faite pour goûter elle-même les pures jouissances qu’elle prodiguait.

— On ne fait que parler aussi (car on trouve moyen à Paris de parler de bien des choses) d’une symphonie d’un jeune compositeur nouveau, M. Félicien David, ancien saint-simonien ; on en dit des merveilles.