(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXII » pp. 286-290
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXII » pp. 286-290

LXXII

m. amédée pommier. — m. d. nisard sur descartes. — m. galoppe d’onquaire. — lettre de chateaubriand. — le journal des débats. — alexandre dumas. — m. buloz. — mot de chateaubriand. — mot de m. thiers.

La Revue des Deux Mondes publie une satire de M. Amédée Pommier sur les trafiquants littéraires ; ces vers-là, pour n’en rien dire davantage, nous semblent bien crus et d’une verve terriblement latine. Il en est d’assez piquants :

Autrefois on faisait ses ouvrages soi-même,
On portait sur ce point le scrupule à l’extrême ;
Maintenant on s’y prend de tout autre façon…
……………..
Car les livres nouveaux que Paul met en lumière
Sont combinés par Jean et sont écrits par Pierre.
……………..
Un ouvrage, à présent, c’est l’enfant de Ninon,
Equivoque produit que chacun a pu faire,
Dont, à la courte paille, il faut tirer le père.

M. Amédée Pommier, nous dit-on, a déjà publié beaucoup de recueils de vers et plusieurs ouvrages, le Livre de sang, les Océanides, etc., dans lesquels il y avait de grands excès du mot propre et des descriptions impitoyables de crudité : c’est un converti qui revient à mieux et qui s’amende, qui se fait satirique un peu dans le genre, mais dans un meilleur sens que Barthélemy. — Quoi qu’il en soit, c’est moins par des satires directes, ce nous semble, qu’il faut combattre l’ennemi, que par des exemples plus calmes et en continuant de marcher de plus en plus, et chacun de son mieux, dans sa direction littéraire, sans s’en laisser détourner. Patience et courage. Le public finira par faire leur part aux talents sincères et modestes qui ne viseront qu’à se perfectionner.

— On lit dans cette même Revue un morceau important de M. Nisard sur l’influence de Descartes dans la littérature française. C'est un chapitre de l’ouvrage qui paraît en même temps : Histoire de la littérature française ; les deux premiers volumes sont en vente. On peut déjà augurer les qualités et les mérites qui ne sauraient manquer à cette publication. M. Nisard est un écrivain de talent, sérieux et peut-être un peu trop occupé de le paraître, qui s’attache à faire valoir les grandes figures, à défendre et à venger les réputations classiques, à démontrer en toutes choses, à glorifier les propriétés et les avantages de ce qu’on appelle l’esprit français, c’est-à-dire raison, clarté, etc. Ce morceau même sur Descartes déclare assez l’esprit de l’ouvrage, et bien qu’on puisse craindre qu’il n’y ait dans cette façon de voir un peu de construction a posteriori et que ce soit se montrer, nous le croyons, par trop satisfait de soi-même et de sa propre littérature, on recherchera justement l’ouvrage de M. Nisard qui comble une lacune dans l’enseignement ; les cours de M. Villemain en effet ne forment pas une histoire littéraire complète, et M. Ampère néglige de continuer la sienne qu’il n’a pas poussée au-delà des origines.

— La comédie sur laquelle on comptait beaucoup au Théâtre Français, Une Femme de quarante ans, a réussi, et a paru agréable, mais non pas aussi neuve qu’on aurait pu le croire d’après les promesses. Ce n’est pas encore un Molière ou un Beaumarchais que nous devrons à M. Galoppe d’Onquaire, pas plus que l’on n’a encore un Corneille en M. Ponsard.

— Voir la lettre de Chateaubriand publiée dans l’Univers du 3 décembre. Je la lis dans les Débats de ce matin 448. Cette lettre ne change rien à ce que nous avons dit, elle prouve seulement qu’on n’a pas consulté M. de Chateaubriand pour disposer cette publication par feuilletons. Tout ceci confirme la vérité de nos réflexions de tout à l’heure49. L'auteur, en mettant ses œuvres à des prix si exagérés, se livre par là même aux bailleurs de fonds et se dessaisit, en quelque sorte, de ses droits paternels sur l’œuvre.

Tel qu’il est, et avec tous les défauts et les infractions qu’il se permet, le Journal des Débats reste le journal le plus décent, le seul même en France qui continue de respecter jusqu’au sein de la publicité certaines habitudes de bonne compagnie, et il est à souhaiter que, dans cette lutte contre la Presse, il réussisse à garder sa prééminence.

La quinzaine promet d’être bruyante ; mais vous avez les éléments.

Les Débats publient ce matin la réponse de M. Dujarrier, gérant de la Presse, à la lettre que les catholiques et les royalistes avaient arrachée à Chateaubriand. Que tout cela est triste ! La Revue de Paris de ce matin contient d’assez bonnes réflexions.

La Démocratie pacifique (journal fouriériste), d’hier 4, contenait contre Buloz un article d’Alexandre Dumas qui est bien la plus grossière philippique qu’on puisse imaginer : tout cela grandit Buloz et le pose en homme public.

Mais quelles mœurs littéraires et quand on sait les mobiles de ces attaques !

Un des écrivains monarchiques et religieux était allé chez Chateaubriand au sujet de ces tristes débats d’argent ; et voyant le portrait de Fontanes : « Où est la critique de M. de Fontanes, monsieur le vicomte ?

» — Fontanes ! s’écria Chateaubriand : les misérables ! ils ne savent plus même son nom ! »

Thiers, indigné de ce débordement, disait l’autre jour que s’il n’était pas lié par des traités pour cette histoire à écrire, il briserait sa plume de dégoût et de honte, de voir la littérature descendue si bas.

— Ces mots-là des chefs indiquent l’effet produit sur bien des esprits et sont d’un bon augure : il y aura avant peu réaction vers le bien.