(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 463-464
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 463-464

GUENÉE, [Antoine] Abbé, ci-devant Professeur de Rhétorique au Collége du Plessis, né dans le Diocese de Sens, est principalement connu par un Ouvrage intitulé,Lettres de quelques Juifs Portugais & Allemands à M. de Voltaire, où l’on venge la Nation Juive des calomnies de cet Ecrivain. On y releve avec force les erreurs, les méprises, les contradictions, les bévues, les absurdités dans lesquelles il est tombé, lorsqu’il a voulu disserter sur l’ancien Peuple de Dieu & sur les Livres sacrés. Il est peu d’Ouvrages polémiques écrits avec autant de solidité, de sagesse, de méthode, & d’honnêteté. Cependant M. de Voltaire n’y a répondu que par des plaisanteries & des injures toujours plus faciles que les raisons, surtout quand on défend une mauvaise cause. Mais ses invectives n’ont pu nuire au succès de ces Lettres, dont on vient de donner une cinquieme Edition, qui n’a pas été moins bien accueillie du Public que les précédentes.

On ne peut refuser à M. l’Abbé Guenée une grande érudition, une profonde connoissance de l’Histoire ancienne en général & de celle des Hébreux en particulier, une logique vive & pressante, de la justesse dans les idées, de la clarté & de la netteté dans le style, qui n’est peut-être pas assez animé, & un ton de modestie & de politesse d’autant plus généreux, que l’Auteur prend la défense de la vérité contre un Adversaire qui l’avoit traité d’Imbécille & de Franc Ignorant. Tel a été de tout temps le caractere du défunt Patriarche de la Philosophie ; il lui falloit des Lecteurs bénévoles ou de timides Adversaires & faciles à subjuguer, sans quoi il se dépitoit & prodiguoit les injures. Ne diroit-on pas que, semblable aux Divinités d’Homere, il n’avoit une contenance divine que pour avaler l’encens de ces aveugles Adorateurs ? En effet, dès que les parfums cessoient de brûler sur ses Autels, dès qu’un profane venoit entamer son offrande, dès qu’on osoit douter de la vérité de ses oracles, on voyoit alors ce Dieu se fâcher, se trahir, & se ravaler au dessous de l’homme.