(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428
/ 5837
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428

GOMICOURT, [Augustin-Pierre de] Secrétaire du Gouvernement de Picardie & d’Artois, de l’Académie d’Amiens, sa patrie.

Né avec des talens propres à le faire exister par lui-même, après avoir donné deux bons Ouvrages de son propre fonds, il s’est attaché à des Compilations, & par malheur il ne paroît pas avoir su bien choisir ses matériaux. On en a de lui une intitulée, Esprit des Philosophes & Ecrivains célebres de ce siecle, à la tête desquels il a mis M. d’Alembert. Nous avons d’abord cru que cette primauté étoit pour suivre l’ordre alphabétique ; mais le Compilateur assure très-positivement que c’est par ordre de mérite & de distinction : c’est parce que je crois , dit-il très-sérieusement, pouvoir assigner à cet Auteur estimable la premiere place parmi les Philosophes de nos jours, non seulement de ma Nation, mais de toutes celles de l’Europe . Si telle a été sa persuasion, il auroit dû au moins ne pas nous présenter un Esprit aussi volatil que celui de cet Extrait. Le premier Philosophe de l’Europe y paroît dans un raccourci qui étonne, & d’une sécheresse plus que géométrique, ce qui n’est pas propre à faire honneur à la Philosophie. Aussi ne faut-il pas être surpris que le Public, dont le Compilateur bénévole a voulu pressentir le goût, n’ait pas désiré de lui voir augmenter sa Collection. Cet homme substantiel eût bientôt réduit tous nos Philosophes à rien.

Il n’est pas plus heureux, lorsqu’il dit que notre Siecle ne le cede en rien aux plus celebres de l’antiquite. A-t-il pu ignorer que ceux de Périclès, d’Auguste, de Léon X, & de Louis XIV, seront toujours, par excellence, les Siecles du goût & de la raison ? Sur quel fondement seroit donc assurée la préséance du notre ? Seroit-ce sur les lumieres philosophiques ? Mais ne sait-on pas que tous ces beaux Siecles ont dégénéré, quand ces météores ont paru ?

M. de Gomicourt est beaucoup plus connu par un Ouvrage périodique, intitulé, l’Observateur François à Londres, où il sait répandre de l’intérêt sur les matieres qu’il traite. Il faut croire qu’abandonné à lui-même, son jugement est moins exposé aux méprises, que lorsque l’enthousiasme philosophique lui sert de guide.

GOUDELIN, [Pierre] né à Toulouse, mort dans la même ville en 1649, âgé de 67 ans, célebre Poëte Gascon, dont les Ouvrages subsisteront tant qu’on parlera la Langue dans laquelle ils sont écrits, & qui serviront à la faire subsister elle-même.

Il s’est exercé dans l’Epigramme, le Sonnet, l’Epître, l’Idylle, la Chanson, l’Ode & le Chant Royal, & a excellé dans tous ces genres. Nous osons dire, sans crainte d’être démentis par ceux qui sont en état d’apprécier ses Ouvrages, qu’il le dispute à nos meilleurs Poëtes par l’agrément & la fécondité des images & des fictions, l’élégance & la variété des tours, la justesse & l’originalité des expressions, & sur-tout par l’harmonie imitative. Quoi-qu’il eût reçu de la nature une imagination vive & brillante, un caractere tendre & enjoué, & un génie véritablement poétique, nous doutons qu’il eût également réussi, s’il avoit écrit en François, Langue pauvre & timide en comparaison de celle qu’on parle en Languedoc. Celle-ci est non seulement riche & hardie, mais pittoresque, flexible, douce, énergique, variée, & harmonieuse. Elle n’a ni expressions triviales, ni images basses, parce que le Peuple y donne le ton, & qu’une Langue qui n’est point sujette au caprice des Cours & des Académies, ne peut ni s’appauvrir, ni dégénérer*.

Bayle, Doujat, Pelisson, le P. Vaniere, Campistron, à qui la Langue de Goudelin n’étoit point étrangere, faisoient beaucoup de cas de ses Poésies ; c’est sans doute ce qui a engagé M. Titon du Tillet à placer ce Poëte dans son Parnasse François. La ville de Toulouse, pleine d’admiration pour ses talens, & d’estime pour ses vertus, lui fit une pension pendant les vingt dernieres années de sa vie, &, lorsqu’il fut mort, plaça son buste dans le Capitole, à côté de celui du Poëte Maynard, son Compatriote.