(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 401-402
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 401-402

2. GILBERT, [N.] né à Fontenoy-le-Château, près de Nancy, en 1750, mort à Paris en 1780.

Celui-ci, mort dans son printemps, avoit un véritable talent pour la Poésie & sur-tout pour la Satire. A travers des longueurs & des incorrections, on trouve dans ses Ouvrages une verve vigoureuse & la touche du génie. De l’élévation dans les sentimens, de la force dans les pensées, de l’harmonie quelquefois imitative dans l’expression, une coupe de vers originale, pleine d’aisance & de variété, étoient d’heureux présages pour le succès de sa Muse naissante. Les Littérateurs les moins portés à lui rendre justice n’ont pu s’empêcher de reconnoître dans l’Ode sur le Jugement dernier, dans la Satire du dix-huitieme siecle, & dans celle que l’Auteur a intitulée Mon Apologie, un excellent ton de versification, des images grandes & sublimes, des pensées courageuses, des tableaux pleins de feu & d’énergie, & un grand nombre de vers que les meilleurs Poëtes du siecle dernier n’auroient pas désavoués. Ces trois Ouvrages suffisent pour faire regretter la perte de M. Gilbert. Les progrès rapides de sa Muse font juger combien il eût pu ajouter à sa réputation, si des jours plus longs & plus heureux lui eussent permis de cultiver son génie poétique. On sent qu’il n’étoit pas encore parvenu à ce point de maturité que demande la perfection de l’art : mais quand on se rappelle les obstacles que la fortune la plus cruelle n’a cessé d’opposer à son amour pour la gloire littéraire, on a lieu d’être étonné du parti qu’il a tiré de ses talens naturels. Né de parens pauvres & obscurs, doué d’une ame fiere, incapable des bassesses qui procurent des protecteurs, il fut presque toujours aux prises avec le besoin & le désespoir, & auroit peut-être succombé à ce dernier, si des gens de Lettres que son courage & les talens qu’il annonçoit avoient intéressés à son sort, n’eussent attiré sur lui les bienfaits de quelques Grands. Il avoit obtenu par leur crédit, une pension du Roi, lorsqu’il a été enlevé aux Lettres de la maniere la plus malheureuse. On sait qu’il est devenu sou des suites d’une chute de cheval, & qu’il est mort peu de temps après, pour avoir avalé, dans sa démence, la clef de son logement.