LX
procès lacoste. — madame lafarge. — succès malsain de cour d’assises. — prétendue découverte du cœur de saint louis. — polémique entre m. letronne et m. le prevost.
Le journal la Presse et un journal des tribunaux, le Droit, viennent, dit-on, de faire marché avec le chemin de fer d’Orléans pour recevoir par un convoi à part des nouvelles du procès Lacoste qui va se débattre dans le Midi : madame Lacoste est, comme madame Lafarge, une jeune femme qu’on accuse, d’avoir empoisonné son vieux mari. Belle pâture ! Ces deux journaux promettent par ce moyen de rendre compte des débats 24 heures avant les autres. Voilà de ces émotions dont on est avide désormais : la publicité des cours d’assises va de pair avec les romans-feuilletons. Le succès des Mystères de Paris est du même ordre que celui de madame Lafarge. La rue, l’antichambre, et trop souvent le salon ne retentissent que de cela. Ainsi les Romains et Romaines couraient aux combats de bêtes, aux jeux de gladiateurs. Si quelque chose pouvait faire douter à jamais en France de la reprise possible de l’art dramatique, ce serait la passion croissante de ces représentations judiciaires : le théâtre n’a plus rien à faire, ce semble, qu’à leur ressembler : ce qu’il fait. Se peut-il que ce soit au lendemain d’un succès d’Antigone que l’on coure à Donon-Cadot ? Sont-ce les mêmes personnes ? Enfin le fait est manifeste et le goût public déclaré. Ce qui n’est pas moins grave, c’est que ce sont ces mêmes personnes émues qui jugent, qui jugent par la personne des jurés. Ainsi, à ce procès Donon, il y a eu, dans le prononcé des jurés, contradiction manifeste et véritable trouble, lorsque, après avoir déclaré le jeune Donon innocent (ce qui aggravait nécessairement le crime de son accusateur Rousselet), ils ont ensuite déclaré celui-ci coupable, mais avec des circonstances atténuantes. En un mot, dans ce mélange et cette intervention sans frein de la passion publique aux représentations judiciaires, il y a ruine pour l’art, danger pour la justice, perversion de la morale moyenne en ce qu’on initie chaque classe aux émotions fortes.
La Revue de Paris, d’aujourd’hui 6, signale quelque chose de ces inconvénients.
— Il a paru il y a quelque temps un piquant volume de M. Letronne, intitulé : Examen critique de la découverte du prétendu cœur de saint Louis, faite à la Sainte-Chapelle le 15 mai 1843, etc. En travaillant à la restauration de la Sainte-Chapelle, les architectes trouvèrent en effet à cette date un cœur dans une boîte de fer blanc sous une dalle du pavé de l’abside. Grand émoi ! Le ministre de l’intérieur, l’archevêque, furent informés : jusqu’à plus ample examen, on déposa le cœur dans l’armoire de fer des Archives du royaume dont M. Letronne est garde général. On demanda de plus à celui-ci un Rapport qu’il fit en peu de pages, démontrant l’impossibilité que le susdit cœur fût celui de saint Louis. Cette conclusion pouvait sembler dans le goût de celles de M. Letronne, qui aime à les faire négatives ou dubitatives à l’égard surtout des choses réputées saintes : elle souleva de nombreuses réclamations. Une foule de personnes, qui donnent dans la réaction religieuse du jour, se mirent à désirer que le cœur en question fût précisément celui de saint Louis ; il ne s’agissait plus que de trouver des raisons. Elles ne manquent jamais, comme on sait. M. Auguste Le Prevost, membre de l’Académie des Inscriptions, homme instruit et bon antiquaire à l’endroit du moyen âge, écrivit au Moniteur pour tâcher de réfuter M. Letronne et pour repousser le philologue helléniste qui venait ainsi porter ses habitudes sceptiques et faire l’intrus au centre du moyen âge. La première lettre de M. A. Le Prevost fut suivie d’une autre ; les imaginations s’enflammèrent, et il fut, à un certain moment, décidé par acclamation que M. Letronne était battu et que c’était bien le vrai cœur de saint Louis qu’il gardait bon gré mal gré, dans l’armoire des Archives. M. Letronne a beaucoup d’ennemis comme tout critique de mérite ; chacun de ses ennemis se trouva aussitôt converti en un partisan du cœur de saint Louis. Bref ces partisans en dirent tant qu’ils finirent par se contredire, par se réfuter eux-mêmes, et que M. Letronne qui les avait laissés se réjouir et triompher revint lentement à la charge, et n’eut pas de peine à les battre tous en confirmant toutes les conclusions de son premier Rapport. C'est des diverses pièces de ce plaisant débat qu’il vient de composer un volume aussi instructif qu’amusant, et dont il tire pour moralité qu’il faut en toute question préférer la meilleure critique à la méthode fantastique.
« On le voit, dit-il à propos de son premier adversaire (M. A. Le Prevost), on le voit s’échauffer graduellement à chacune de ses lettres. Dans la première il se borne à montrer que mes conclusions sont trop absolues et qu’on peut y opposer quelques considérations propres à les affaiblir. Dans la deuxième le ton s’élève, l’enthousiasme se montre ; aussi les erreurs deviennent plus graves ; c’est là qu’on trouve des phrases éloquentes, à l’occasion d’une croix grecque gravée sur la pierre qui recouvrait la boîte. Cette croix où, dans son enthousiasme, il reconnaît une main du XIIIe siècle, ayant par le fait été tracée sous les yeux du citoyen Terrasse (garde des archives judiciaires) en l’an XI de la République française une et indivisible, fera désormais pendant avec le camp de Caligula et le prætorium du bon Oldbuck de Monkbarns40. Dans la troisième lettre, la question prend une importance excessive ; elle est proclamée une cause toute nationale, à laquelle de nobles et pieuses intelligences portent le plus vif intérêt. C'est là que, se débattant contre des difficultés inextricables, le savant auteur quitte à la fin le terrain historique, et, transportant la question au milieu des nuages, il recourt aux voies étranges, mystérieuses, inconcevables de la Providence, qualifiant de miraculeuse une découverte qu’avait amenée fortuitement, deux fois de suite41, la pioche d’un maçon. Quand on en vient là, toute discussion est superflue ; et, en vérité, du moment qu’il croyait nécessaire d’implorer le Deus ex machina, contre la règle de l’art, Nec Deus intersit, il aurait mieux fait de couper court tout de suite aux difficultés historiques, en admettant que le cœur de saint Louis, s’envolant miraculeusement de Monréale à Paris, à travers les airs, était venu s’enterrer lui-même dans la Sainte-Chapelle, à l’insu de tout le monde, gardant un incognito que personne ne pouvait violer. — On voit qu’avec un peu d’aide, quelque chose d’analogue à la Sainte Ampoule pouvait nous être rendu ; et, à l’heure qu’il est, il y a des gens qui ne me pardonnent pas d’y avoir mis obstacle. »
On a là un échantillon de la manière piquante et incisive de M. Letronne, et de la façon dont il dissèque ses adversaires peu agréablement pour eux.
— La traduction d’Antigone a paru en petit volume, dédiée au roi de Prusse et avec une préface emphatique et fausse. On y grossit toutes les horreurs et les trivialités qu’on s’efforce de voir dans le Théâtre grec pour en faire une défense du Théâtre romantique moderne. On y défend les Burgraves et Lucrèce Borgia à l’aide des chefs-d’œuvre antiques : les jeunes auteurs ne s’aperçoivent pas que c’est parce qu’ils ont ensauvagé Sophocle et lui ont imposé des contre-sens de couleur et des traits de moyen âge, qu’ils parviennent ensuite, tant bien que mal, à en faire un patron à leur idole-monstre. La noble et touchante figure d’Antigone devient ainsi un pendant d’Og et de Magog !