(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 256-257
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 256-257

FAGAN, [Christophe-Barthelemi] né à Paris en 1702, mort en 1755.

Sans rien ôter de sa gloire littéraire, on auroit pu retrancher du Recueil de ses Œuvres un grand nombre de Pieces, & les réduire à trois ou quatre qui méritoient seules d’être recueillies. Le Rendez-vous, la Pupille, l’Amitié Rivale, Joconde, sont, sans contredit, ce qui le distingue de la foule des Auteurs comiques de ce siecle. Les deux premieres, sur-tout, sont d’un comique agréable & piquant, d’un style simple & sans prétention. Les caracteres y sont variés, naturels ; les personnages ne disent que ce qu’ils doivent dire. On n’y trouve point de ces tirades parasites, de ces portraits encadrés avec effort, & tout exprès pour exercer les mains du Parterre, qui n’applaudit jamais tant que dans le moment où son jugement est le plus offusqué. Ces deux petites Pieces reparoissent souvent, & les Amateurs de la bonne Comédie les revoient toujours avec le même plaisir. On reconnoît d’excellentes choses dans l’Amitié Rivale & dans Joconde ; mais il y a trop à désirer & à reprendre, pour qu’on puisse les ranger parmi les bonnes Pieces.

M. Fagan étoit né avec du talent pour la Comédie ; mais les chagrins qui le dévoroient ne lui permettoient pas de donner à ses Ouvrages la perfection dont ils étoient susceptibles. Il devoit beaucoup à la Nature, & il en avoit reçu les germes du génie. Il auroit donc été plus loin, sans contredit, si l’indigence n’eût pas été pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le poison mortel du génie. La tristesse sombre, compagne inséparable du besoin, étouffa ou rétrécit les heureuses dispositions que l’aisance l’auroit mis à portée de cultiver & de développer.

Ce seul exemple devroit suffire pour engager les Mécènes modernes à mieux accueillir les vrais talens, & à ne pas accorder leur protection & leurs bienfaits à des Auteurs dont ils devroient être eux-mêmes les redoutables fléaux. C’est en demander peut-être trop. Les hommes, en général, n’approfondissent jamais rien ; l’illusion, la flatterie, les décident ; & par-là le bon goût & la Littérature trouvent leurs premiers destructeurs dans ceux qui pourroient le plus aisément en soutenir les droits & en perpétuer la gloire.