(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 230-234
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 230-234

DUTEMS, [Louis] ci-devant Ministre du Roi de la Grande-Bretagne à la Cour de Turin, de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, né à Tours en 1730.

Peu d’Ecrivains, sans se faire un objet capital de l’étude des Belles-Lettres & des Sciences, ont acquis plus d’érudition, & ont su en faire un usage aussi estimable & aussi utile. Nous ne parlerons pas de ses Opuscules poétiques, non plus que de ses petites Productions en prose, qui ne paroissent être que le fruit de ses délassemens, & annoncent néanmoins l’homme sage & l’esprit cultivé : nous nous arrêterons avec plaisir à son Ouvrage principal, qui a pour titre : Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux Modernes. Ce Livre réunit les connoissances les plus étendues, & la critique la plus judicieuse. M. Dutems se propose d’y démontrer que les plus célebres Philosophes du dernier temps, & les Philosophes actuels, doivent aux Anciens la plus grande partie de leurs opinions, de leurs systêmes, & de leurs prétendues inventions. Dans cette importante discussion, tout est appuyé sur les preuves les plus incontestables ; on cite, dans les Langues originales, les passages qui viennent au secours des assertions ; on les traduit le plus souvent en faveur de ceux qui n’entendent pas les Langues savantes. En voyant cet Auteur remonter à la source de tous les systêmes, développer la progression des idées humaines, produire, si l’on peut s’exprimer de la sorte, la généalogie des vérités & des erreurs, on ne peut s’empêcher de convenir que la Philosophie moderne n’a fait que répéter ce qui avoit été dit & redit dans tous les siecles & presque chez tous les peuples. Quelle démonstration humiliante pour ce Siecle philosophe ! quel coup porté à l’orgueil de ces Esprits superbes, convaincus, d’après les textes les plus formels, de n’être que des usurpateurs des lumieres étrangeres, & les plus foibles échos de tant de dogmes dont ils voudroient passer pour les créateurs ! L’investigateur infatigable ne leur laisse pas même la triste gloire d’avoir enfanté les premiers, les erreurs qu’ils se sont efforcés d’accréditer. Empedocle, Pythagore, Platon, Héraclite, Anaxagoras, Aristote, Epicure, Aristippe, &c. viennent réclamer, à l’aide de sa plume, la gloire de nous avoir appris tout ce que nous savons en matiere d’Astronomie, de Physique, d’Anatomie, de Chirurgie, de Médecine, de Mathématique, d’Optique, de Métaphysique, de Morale, &c. Toutes ces sciences sont suivies, examinées dans leurs différens progrès ; & cette seule exposition suffit pour prouver que les Modernes ont réellement ajouté peu de lumieres à ces divers objets de la curiosité humaine.

Cet Ouvrage, composé avec autant de méthode que de clarté, écrit avec autant de simplicité que de précision, est précédé d’une Préface, où l’Auteur expose ses idées sur le mérite des Anciens & des Modernes, avec une impartialité & une modestie qui donnent du poids à sa critique.

De pareilles Productions ne sauroient être lues avec trop de soin. Toutes les classes d’esprits y apprendront à régler, les uns leurs prétentions, les autres leur enthousiasme ; ceux qui s’érigent en maîtres, à ne pas sacrifier la reconnoissance à la vanité, à savoir rendre hommage à leurs prédécesseurs, à ne pas regarder comme un bien propre & personnel ce qu’ils ont recueilli sur des fonds étrangers ; ceux qui les admirent trop facilement, comprendront qu’il est essentiel de ne pas croire sur parole, de se tenir en garde contre les manéges de la présomption, & de s’instruire avant de vouloir assigner les rangs & fixer les réputations ; le vrai Philosophe enfin en tirera de nouveaux motifs de s’éclairer & d’être modeste, en apprenant que le cercle des idées humaines est étroit, & que l’agiter sans cesse, n’est ni l’étendre, ni le renouveler.

Les Lettres & les Sciences ont encore une nouvelle obligation à M. Dutems. Il nous a donné l’édition complette des Œuvres de Leibnitz, qui, comme on sait, étoient dispersées dans les Recueils des différentes Académies de l’Europe. Il ne falloit rien moins qu’un Savant éclairé & laborieux, pour se charger de ce travail. Recueillir, mettre en ordre, corriger, éclaircir ; telle a été la tâche que son zele infatigable a remplie ; &, ne fût-il connu que par cette seule édition, c’en seroit assez pour lui concilier la reconnoissance de tous les Savans : ajoutons que son respect pour la Religion lui a mérité l’estime des honnêtes gens, &, ce qui n’est pas moins honorable, les injures du Garasse * de la moderne Philosophie.