(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 210-213
/ 5837
(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 210-213

DUFRESNY, [Charles Riviere] Valet-de-Chambre de Louis XIV, & Contrôleur de ses Jardins, né à Paris en 1648, mort dans la même ville en 1724.

Un goût universel pour les Beaux-Arts, des talens pour les cultiver avec succès, doivent le faire regarder comme un de ces génies heureux, propres à faire admirer les richesses de la Nature. La Musique, le Dessin, la Peinture, l’Architecture, la Poésie, ont exercé tour-à-tour son activité ; les Belles-Lettres, & sur-tout la Poésie comique, paroissent cependant avoir eu la préférence.

La plupart de ses Comédies offrent des caracteres neufs, peints avec finesse, & parfaitement soutenus. Le dialogue est juste & concis, le comique des personnages est tiré de la pensée, quelquefois de la situation, & ne consiste point dans des jeux de mots ou de froides saillies, ressources ordinaires des Auteurs médiocres. Les portraits qu’elles présentent tirent leur principal agrément de la Critique, & non de la Satire, comme ceux de quelques Poëtes comiques qui sont venus après lui. Avec autant de parties estimables, ses Pieces manquent, en général, du côté de l’intrigue, & leurs dénouemens ne répondent pas au jeu & à la vivacité des Scenes. Regnard, dit-on, lui doit son Joueur. Ce qu’il y a de certain, c’est que, lorsque Dufresny voulut faire représenter le sien, il n’étoit plus temps : celui de Regnard s’étoit emparé des suffrages ; ce qui acheva de brouiller irréconciliablement ces deux Auteurs.

Louis XIV honora toute sa vie Dufresny d’une bienveillance particuliere, & le combla de bienfaits, sans jamais le pouvoir enrichir. Il avoit deux passions qui dévoroient tout, l’amour de la table & celui des femmes. Un homme de ce caractere sembloit ne devoir jamais se fixer ; cependant il se maria deux fois. En secondes noces, il épousa sa Blanchisseuse, pour s’acquitter de ce qu’il lui devoit. M. le Sage raconte ainsi ce trait dans son Diable Boiteux. « Je veux envoyer aux Petites Maisons un vieux garçon de bonne famille, lequel n’a pas plutôt un ducat qu’il le dépense, & qui, ne pouvant se passer d’especes, est capable de tout faire pour en avoir. Il y a quinze jours que sa Blanchisseuse, à qui il devoit trente pistoles, vint les lui demander, en lui disant qu’elle en avoit besoin pour se marier à un Valet-de-chambre qui la recherchoit. Tu as donc d’autre argent, lui dit-il ; car où diable est le Valet-de-chambre qui voudra devenir ton mari pour trente pistoles ? Hé mais ! répondit-elle, j’ai encore, outre cela, deux cents ducats. Deux cents ducats ! répliqua-t-il avec émotion ; malpeste ! tu n’as qu’à me les donner à moi, je t’épouse, & nous voilà quitte à quitte ; & la Blanchisseuse est devenue sa femme ».

On raconte que Dufresny ayant un jour reproché à l’Abbé Pellegrin qu’il portoit du linge sale : Tout le monde, lui répondit l’Abbé, n’est pas assez heureux pour pouvoir épouser sa Blanchisseuse.

Dufresny a travaillé au Mercure de France. Les volumes qui sont de lui, fourmillent de ces traits d’esprit & d’enjouement, qu’il savoit répandre dans toutes ses Productions. On a encore de lui des Amusemens sérieux & comiques, qui eurent dans le temps beaucoup de succès, & qui peuvent encore amuser aujourd’hui. Il y introduit un Siamois, faisant une critique de nos usages & de nos mœurs. Il est assez vraisemblable que cette ingénieuse Production a fourni l’idée des Lettres Persannes, des Lettres Turques, des Lettres Chinoises, &c. Mais les imitateurs n’ont pas été aussi sages & aussi réservés que lui.