(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVI » pp. 215-217
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVI » pp. 215-217

LVI

anxiété des protestants. — attitude de mm. cousin et villemain dans la discussion de la loi sur l’enseignement secondaire. — peisse.

Depuis le commencement de toute cette discussion, les protestants sont dans une anxiété extrême, ils sont comme sur les épines, écoutant toujours s’il n’est pas question d’eux, si rien ne les blesse : le fait est que dans cette grande discussion entre les catholiques et l’Université, entre la religion dominante et la philosophie dominante, personne parmi les contendants ne pense au protestantisme ni aux dissidents des diverses communions. Les catholiques réclament pour eux seuls, et les éclectiques se défendent comme ayant seuls la bonne et vraie philosophie : pour les éclectiques, les autres sectes philosophiques ne comptent pas ; pour les catholiques les autres communions dissidentes sont moins que rien. Ces hautes puissances se comportent comme de gros États en guerre : ce qui est le plus à désirer pour les faibles, c’est qu’aucune décidément ne l’emporte ! La liberté est dans l’entre-deux. La Revue suisse a toujours été fidèle à cette ligne de conduite.

L'amendement du 1er article, qui enlève la rédaction du programme du baccalauréat à la seule Université et y joint le contrôle du Conseil d’État, a passé (hier 4) à la Chambre des pairs. Ainsi le vote a suivi le sens général de la discussion. Le coup est porté. — M. Cousin, dans ce dernier moment, a été éblouissant de verve et de liberté de paroles, il a captivé la Chambre, mais ne l’a pas convaincue. M. de Broglie l’a aussi admirablement réfuté.

L'attitude de M. Villemain en tout ce débat, en face de son adversaire intime M. Cousin, est particulière. C'est M. Cousin qui a, en quelque sorte, mené la discussion du côté de l’Université et qui a fait office de ministre, M. Villemain a cédé sur plus d’un point aux scrupules de la Chambre des pairs et aux amendements de la Commission. Il n’a pas consenti à suivre dans ses prévisions presque lamentables l’imagination éloquente de son collègue, comme lui-même s’est empressé de le dire. M. Villemain a paru dans tout ceci partagé entre la douleur de voir sa loi modifiée et l’Université un peu réduite, et le plaisir de voir la philosophie de M. Cousin recevoir une chiquenaude. Cette satisfaction et ce plaisir formaient un mélange visible en lui, ce qui faisait dire plaisamment à un de nos amis et compatriotes, le docteur R… qui a suivi de près tout ce débat, que le ministre était vraiment comme l’Andromaque de l’Antiquité, entre un sourire et une larme, δαϰρυόεν γελάσασα.

— Peisse est un bon esprit, mais pessimiste, instruit mais exclusif, trop chagrin pour sourire aux arts ; c’est un bon esprit de rez-de-chaussée ; il n’a jamais eu de belvéder. Bon critique d’ailleurs et judicieux écrivain.

Il est médecin, il a commencé par écrire sur Broussais et contre Gall, il est psychologue et a traduit quelque chose des Écossais, d’Hamilton, je crois. Il a été de la fondation du National avec Thiers, Mignet, dont il est compatriote. Il y écrivait alors des articles très-classiques contre les excès de l’école romantique et même contre ses meilleures productions. Il est devenu depuis inspecteur des beaux-arts ; il vient de manquer l’Académie des sciences morales où il était très-digne d’entrer. Un critique aussi sévère que lui le définit ainsi : « M. Peisse, un de ces écrivains discrets que deux ou trois hommes d’imagination font profession d’admirer beaucoup pour se donner des airs judicieux. » — Le fait est que M. Peisse a toujours été très-vanté par ses amis Thiers et autres, comme promettant beaucoup, et qu’il a très-peu produit. Armand Carrel le citait comme un des meilleurs écrivains du temps. Dans tous les cas, la louange de Peisse est rare et a son prix : ainsi M. Gleyre doit en être très-flatté.