DOLET, [Etienne] né à Orléans en 1509, mort à Paris en 1546.
Il avoit reçu quelques talens de la Nature. Né avec une grande vivacité dans l’esprit, il cultiva assez heureusement la Poésie Latine, les Sciences, & n’écrivoit pas mal, pour son temps, dans sa propre Langue ; mais emporté par son imagination fougueuse, il s’engagea dans les plus pitoyables travers. Ses Eloges & ses Critiques, ses travaux & ses plaisirs, tout étoit outré par le peu d’empire qu’il avoit sur lui-même. Il n’avoit, soit dans ses Ecrits, soit dans ses mœurs, d’autres regles que ses propres opinions ; &, selon le génie des esprits sans principes & sans frein, il traitoit de fables les dogmes de la Religion, & d’entraves ridicules les loix de la probité. Avec un tel caractere il devoit naturellement s’attirer bien des revers ; aussi ne lui manquerent-ils pas. Il parcourut tout le Royaume, & par-tout il se fit des affaires. A Toulouse, on le mit en prison pour un Discours qu’il eut la hardiesse de débiter contre les habitans de cette ville, & le Parlement en particulier. A Lyon, il commit un assassinat, & ne se sauva de l’échafaud que par le crédit de ses protecteurs. Dans d’autres villes, il se rendit coupable de nouveaux crimes, qui, joints à celui d’athéisme, dont il faisoit ouvertement profession, le firent condamner par le Parlement de Paris, à être brûlé, & la Sentence fut exécutée.
On ne voit pas que les Philosophes se soient empressés de réclamer ou de justifier un pareil zélateur de la liberté. Son athéisme trop déclaré & trop pratiqué, l’a peut-être exclu de l’association, & a retenu les plumes éloquentes qui auroient été tentées de le réhabiliter comme tant d’autres. Il y a cependant apparence qu’il eût trouvé grace aux yeux des Auteurs du Systême de la Nature. Les principes de cet Ouvrage monstrueux sont précisément les mêmes que ceux de Dolet, & le sort de Dolet a sans doute rendu plus prudens ceux qui ont voulu écrire comme lui.
Si l’on veut savoir comment on pensoit de son temps sur cet étrange
personnage, on peut en juger par cette Lettre d’un certain Jean Angeodanus, où l’on ne trouvera pas la politesse du
style, mais une peinture assez fidele d’un Athée. « Seulement à
le voir, dit-il, on démêloit un étourdi,
un fou, un insensé, un furieux, un enragé, un glorieux, un
impertinent, un menteur, un débauché, un
méchant, un querelleur, un impie, un Ecrivain sans Dieu, sans foi,
sans religion quelconque ; & l’on voyoit si bien tout cela,
que ni le bronze ni la toile n’eussent jamais pu être, comme son
visage, l’image d’un monstre. Il est du nombre de ceux qui sont à la
fois, selon Erasme, à plaindre & risibles. Il
a déshonoré, autant qu’il étoit en lui, à force de passions & de
vices, & les Belles-Lettres qu’il entendoit parfaitement, &
le Saint-Chrême qu’il avoit malheureusement reçu »
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