(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIV » pp. 209-212
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LIV » pp. 209-212

LIV

discussion de la loi sur l’enseignement supérieur a la chambre des pairs. — réfutation d’un article de m. émile saisset sur l’éclectisme.

Je vous ai bien mal résumé la discussion de la Chambre des pairs : elle continue sur les articles de la loi, mais la discussion générale est fermée. Cette discussion a été grave, éloquente, lumineuse, assaisonnée même d’incidents. Le public éclairé y a prêté une attention qui fait honneur. Il est très-certain qu’on ne conclura pas cette année, mais les idées germeront. Plusieurs pensent qu’il aurait mieux valu en finir cette année et bâcler une loi pour clore la bouche aux déclamations du clergé. D'autres pensent qu’il n’y a pas d’inconvénient à attendre et que le bien se dégagera. En somme l’Université a été quelque peu atteinte. La philosophie officielle a pris d’elle-même le rôle d’accusée. Le principe de la concurrence à côté et en face de l’Université a été posé d’après le Rapport même de M. de Broglie ; il est difficile que ce principe, dans de certaines limites, n’arrive pas à triompher. Le comte Arthur Beugnot l’a très-vivement soutenu à la Chambre des pairs et l’a demandé illimité. Le défenseur le plus applaudi de l’Université ou du moins de l’enseignement par l’État, a été M. Rossi. Le comte Portalis a défendu très à propos la tradition gallicane et remis à sa place M. de Montalembert. M. Guizot, en voulant planer sur le débat et rester dans la sphère générale, a, contre son ordinaire, été un peu vague. MM. Cousin et Villemain ont médiocrement réussi, et ce dernier même a paru bien souvent faible dans ses répliques.

Au dehors le clergé a eu les deux brochures très-honorables, et d’un ton parfait, de M. de Ravignan et de l’abbé Dupanloup.

— Les Lettres de M. Libri sur les jésuites et sur le clergé ont paru : la vivacité de cet écrit semblera sans doute peu politique aux universitaires et aux éclectiques incriminés. Mais Libri n’est pas éclectique ; c’est un philosophe du xviiie  siècle qui pousse sa pointe à travers ce débat et ne songe qu’à frapper son vieil ennemi.

— M. Émile Saisset (dans la Revue des Deux Mondes du 1er mai) sera plus avoué par l’école éclectique, dont il est l’un des jeunes membres. Il y aurait pourtant bien des réponses à faire à certaines de ses assertions. La Revue suisse les a faites à l’avance. Le cartésianisme d’après le xviiie  siècle, ne saurait être aussi inoffensif, aussi sincèrement chrétien que le cartésianisme d’ auparavant ; et en effet il ne l’est pas du tout. M. Saisset a beau dire des injures (car il en a dit) aux sceptiques, aux matérialistes ; il a beau dire que ces systèmes n’ont de prise aujourd’hui que sur les âmes basses et les esprits obtus (page 472), il échappe très-difficilement lui-même et les siens à ce scepticisme qui ne diffère pas notablement du matérialisme quant au résultat moral ; de plus il viole les droits de la philosophie qu’il prétend défendre en s’exprimant de la sorte sur des doctrines peu hautes et peu consolantes à coup sûr, mais envers qui les philosophes proprement dits n’ont pas à se montrer si injurieux. On pourrait, au nom même de la liberté de penser, répondre à M. Saisset : Vous n’êtes pas philosophe et votre philosophie n’en est pas une véritablement, car elle vous est commandée, car elle part d’un point d’avance déterminé (le doute méthodique), et elle arrive à des résultats d’avance assignés ; car si l’un de vous, jeunes professeurs, s’avisait d’aboutir à un résultat un peu différent, il serait à l’instant révoqué et réduit au silence (M. Cousin l’a déclaré en pleine Chambre des pairs). Or est-ce là une philosophie véritable que celle qui n’est pas libre de choisir son point de départ et d’aboutir aux résultats quelconques où sa recherche la conduira ? Les esprits vraiment libres ne trouvent donc pas plus leur compte à l’éclectisme universitaire que les catholiques orthodoxes. La tendance de cet éclectisme a été de se rédiger en une sorte de religion philosophique officielle, il a essayé même un jour d’avoir son catéchisme. Ce sont là des objections qu’on ne lui fait pas en France et (chose singulière !) la liberté de penser, qui doit supposer possibles d’autres résultats philosophiques que l’éclectisme, n’a pas eu son organe dans la discussion.

— M. Sosthène de La Rochefoucauld, duc de Doudeauville, vient de publier un volume d’Esquisses et Portraits, où figurent un grand nombre de femmes du monde : le livre semble très-peu digne d’un homme, d’un gentilhomme qui doit savoir les convenances. Il faut laisser ces indiscrétions à M. Alphonse Karr et à M. Nestor Roqueplan, aux gens qui écoutent aux portes.

— L'auteur a déjà publié il y a quelques années un recueil de Maximes ; il a cru devoir cela à son nom de La Rochefoucauld. Il est dès longtemps jugé.