(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 111-114
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 111-114

DANIEL, [Gabriel] Jésuite, Historiographe de France, né à Rouen en 1649, mort à Paris en 1728.

Avant de travailler à l’Histoire de France, il avoit composé plusieurs Ouvrages, entre autres, une Réponse aux Lettres Provinciales. On croira aisément que cette Réponse ne fut point accueillie comme les Lettres l’avoient été. Si le P. Daniel prétendoit avoir pour lui la raison & la vérité, son Adversaire avoit eu en sa faveur, ce qui a plus d’ascendant sur l’esprit des hommes, les armes du ridicule & de la bonne plaisanterie. D’ailleurs l’impression étoit déjà faite & irrévocable ; le Jésuite ne répondit au Satirique du Port-Royal, que long-temps après la publication des Provinciales, & les esprits étoient prévenus.

L’Histoire de France est ce qui établit à juste titre la célébrité du P. Daniel. M. de Voltaire en trouve le style trop foible ; il ajoute que l’Auteur n’intéresse pas, qu’il n’est pas Peintre *. Il est vrai qu’on chercheroit en vain dans le P. Daniel l’abondance des images, la vivacité des peintures, l’appareil des sentences, la force & l’énergie de l’expression. Cet Ecrivain n’a d’autre mérite que celui de la méthode, de la simplicité, de l’exactitude, & de la clarté ; mais M. de Voltaire, en bon Juge du style historique, n’auroit-il pas dû préférer ces qualités au brillant, à l’enthousiasme, à l’esprit de systême, qui forment précisément les mauvais Historiens ? Pouvoit-il ignorer que le premier devoir d’un Historiographe est d’être en garde contre son imagination ; qu’un esprit réfléchi est plus judicieux qu’un esprit plein de chaleur ; qu’il est plus essentiel de s’occuper à chercher, à démêler, à établir, à présenter la vérité, qu’à la défigurer en la chargeant d’ornemens ; qu’une histoire doit être regardée comme irréprochable, quand la narration est claire, suivie, exacte, quand les faits n’offrent rien de falsifié ou d’exagéré ; le style, rien d’artificieux & de passionné ; la chronologie, rien d’obscur ni d’embrouillé ? Si ces loix, indispensables pour être bon Historien, ne s’accordent pas avec les principes qu’il s’est faits à lui-même, dans son Essai sur l’Histoire de Charles XII, dans celle du Czar Pierre I ; on ne peut conclure autre chose, sinon que les Ouvrages que nous venons de nommer ne sont pas des Histoires, & que celui du P. Daniel en est véritablement une. On peut ajouter encore avec M. de Voltaire lui-même, que cet Historien est instruit, exact, sage & vrai, & que l’on n’a pas d’Histoire de France préférable à la sienne *.

M. le Président Hénault, à qui on peut s’en rapporter sur cette matiere, a justifié le P. Daniel sur la partialité qu’on lui a imputée. Cet Historien , dit-il, est plus impartial & plus instruit que beaucoup de gens ne l’ont cru . Cet Eloge n’empêche pas qu’il n’y ait des fautes dans son Histoire : ces sortes d’Ouvrages ne deviennent parfaits qu’avec le temps, qui offre chaque jour de nouvelles découvertes ; le meilleur ne sauroit être que celui qui a le moins de défauts. Le P. Griffet en donna une nouvelle édition en 1756, à laquelle il fit des changemens considérables, que le P. Daniel auroit faits lui-même, s’il eût vécu assez de temps pour tirer parti des nouveaux secours historiques qui ont facilité & enrichi le travail de son Editeur.