(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 80-81
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 80-81

2. CRÉBILLON, [Claude-Prosper Jolyot de] fils du précédent, né à Paris en 1707, mort dans la même ville en 1777.

La plupart de ses Ouvrages ne sont guere lus aujourd’hui que par de jeunes Officiers dans les garnisons, & n’ont dû leur célébrité qu’à la licence & à la malignité qui en font le principal caractere. Avec de l’esprit, de l’imagination, une finesse de tact & la connoissance du monde, qui percent dans ses Romans les plus médiocres, M. de Crébillon auroit pu enrichir la République des Lettres par des travaux estimables. Il n’eût pas, à la vérité, acquis autant de gloire que son pere, dont les talens étoient supérieurs aux siens ; mais il se fût garanti du blâme d’avoir préféré le coupable plaisir d’amuser le libertinage & la frivolité, au mérite solide de donner des Productions décentes & utiles. Il n’avoit qu’à mieux choisir ses sujets. Quel peut-être le fruit de ces Romans, dont le ton cavalier & cynique fait le principal ornement ? On les achete d’abord par curiosité, on les lit avec empressement ; l’honnête homme n’ose convenir qu’il les a lus, & chacun finit par les payer du mépris qu’ils méritent.

Il faut encore remarquer que la Littérature perd autant que les mœurs dans ces sortes de Productions. Est-il facile de bien écrire, quand on fait parler le vice ? Non : les Ouvrages de M. de Crébillon en sont la preuve : Tanzaï, le Sopha, Alcibiade, &c. n’ont pas même le mérite du style. Il n’est jamais meilleur Ecrivain, que lorsque l’honnêteté guide sa plume. Aussi ses Lettres de la Marquise de ***, les Egaremens du cœur & de l’esprit, sont-ils mieux écrits & plus agréables que ses autres Romans. L’Auteur y développe avec art les plus secrets ressorts des passions ; tous les mouvemens d’un cœur entraîné par la tendresse y sont peints avec naturel, intérêt, & variété. C’est à ce ton, c’est à ce style que M. de Crébillon auroit dû s’attacher par préférence. Le Public eût joui alors sans danger du fruit de ses talens, & ses tableaux ne ressembleroient pas à ceux des Peintres de nudité, qu’il faut dérober à tous les yeux.