LI
élections de mérimée et de sainte-beuve a l’académie. — le constitutionnel vendu a véron. — le comte alexis de saint-priest. — le carême. — m. de ravignan. — m. lebrun. — le juif errant.
Rien de bien nouveau dans ce mois ; on parlait très-vivement, lors de notre dernière chronique, des élections à faire à l’Académie. Les deux choix de M. Sainte-Beuve et de M. Mérimée ont été approuvés par l’opinion. On s’accorde à penser que le tour de M. de Vigny maintenant ne sera plus reculé. L'entrée de ces hommes nouveaux semble donner le signal d’une révolution au sein de la docte compagnie : le vieux parti, dit académique, des rédacteurs du Constitutionnel et de ceux qui se croyaient voltairiens, a décidément le dessous.
— Il y a eu une petite révolution dans le journal même (le Constitutionnel) ; le vieux parti des Jay, des Étienne, battu à l’Académie, a été de plus évincé de ce journal où il régnait et trônait de temps immémorial. Les bénéfices baissant, les propriétaires ont provoqué une mise à l’enchère, et le journal a été adjugé à M. Véron, ancien directeur de l’Opéra, ancien fondateur de la Revue de Paris ; c’est une manière de financier artistique et littéraire. Il offre de gros prix aux rédacteurs ; il a pris Rolle, le rédacteur des feuilletons du théâtre au National ; il a acquis la collaboration de madame Sand pour qui la Revue indépendante était une ressource un peu maigre. On met encore en avant beaucoup de noms ; mais ces promesses magnifiques tiennent peu d’ordinaire, et le vieux Constitutionnel, en voulant se rajeunir comme Éson, pourrait bien avoir le destin de Pélias. On revient aisément aux vieilles images classiques en parlant du Constitutionnel.
— On parle aussi d’une autre transformation qui serait prochaine. La Revue de Paris quitterait sa forme de recueil et paraîtrait trois fois la semaine en feuille, de manière à servir ainsi de chaloupe-canonnière au gros vaisseau de la Revue des Deux Mondes auquel elle est liée. Il sortira peut-être quelque chose de nouveau de tout ce mouvement. La presse en a bien besoin : il ne s’y produit aucun talent remarquable depuis longtemps.
— Les Revues entrent de plus en plus dans une voie d’opposition, d’une opposition modérée, assez pratique, et qui gravite autour de MM. Thiers, Vivien. On attribue même à ce dernier la rédaction actuelle de la chronique de la Revue des Deux Mondes, où il aurait remplacé M. Rossi.
— La Revue des Deux Mondes publie un très-intéressant travail du comte Alexis de Saint-Priest sur la destruction des jésuites en Portugal, en Espagne, en France et à Rome, vers le milieu du dernier siècle ; c’est pour l’auteur une occasion de soulever un coin du voile qui recouvre encore l’histoire diplomatique de ce temps-là. Les grandes figures de Pombal, d’Aranda, de Choiseul, de Ganganelli, etc., y sont dessinées à merveille. M. le comte Alexis de Saint-Priest est l’auteur d’une Histoire de la royauté depuis Auguste jusqu’à Hugues Capet, où il entrait beaucoup d’érudition et de talent. Dans le morceau qu’il vient de publier très à propos, il fait preuve d’un esprit fin, rapide, brillant et à la fois politique ; il a été successivement ambassadeur à Rio, à Lisbonne, et en dernier lieu à Copenhague. Il est petit-fils de l’ancien ministre de Louis XVI.
— Le carême produit cette année son courant ordinaire ; il y a foule de retraites, de conférences ; l’abbé de Ravignan à Notre-Dame, ailleurs l’abbé Bautain et d’autres attirent la jeunesse et les fidèles. Malgré les fautes politiques des évêques, la mode néo-catholique se soutient. Tout cet hiver pourrait se résumer dans ces mots : Suite et continuation du précédent.
M. de Ravignan pourtant a plus que de la candeur et de l’onction, il a une haute vertu évangélique, de l’austérité, de l’autorité. Il se tue à faire le bien. Il prêche depuis toute cette semaine trois fois le jour à Notre-Dame, à six heures du matin pour les ouvriers de la Cité, à une heure pour les femmes du monde, à huit heures du soir pour les hommes. Il crache le sang et continue jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il ait gravi tout son calvaire. Il y a du vrai chrétien dans une telle pratique.
— La question des jésuites, si artificielle et si factice qu’elle soit de notre temps, est enfin inoculée et, sans agiter, occupe. Les livres se publient coup sur coup à ce sujet, et se débitent et se lisent avec intérêt et curiosité. On vient de voir un homme du monde, M. de Saint-Priest, y chercher et y trouver une occasion de nouveauté, un prétexte piquant à des portraits politiques et diplomatiques. On lira dans un autre esprit le premier volume d’une Histoire de la Société de Jésus que vient de publier M. Crétineau-Joly : cet auteur est déjà connu par une Histoire des guerres de la Vendée, dont la première partie est des plus intéressantes ; il appartient au parti légitimiste et religieux ; on le loue comme écrivain plus qu’à d’autres égards ; il a eu un procès scandaleux avec M. de Genoude pour injures et calomnies réciproques, et on a été tout étonné de les voir sortir de l’audience bras dessus bras dessous. Quoi qu’il en soit, M. Crétineau-Joly a nombre de pièces inédites et rares qu’on lui fournit, et il en fait assez bon usage. Il va sur les brisées de M. Capefigue et avec plus de talent peut-être. Son premier volume de l’Histoire des jésuites a, dit-on, un vif intérêt. M. Libri s’occupe aussi d’un livre sur les jésuites ; on devine que ce n’est pas dans le même sens.
Au reste, la passion n’est dans tout ceci qu’à la surface, on a besoin d’occasion, de sujet pour s’occuper, pour se combattre, pour s’illustrer. Faute d’autre, la question des jésuites s’est offerte et on s’y est jeté avec activité, on l’a cultivée, on l’a réchauffée, et elle a produit. Production de serre chaude, après tout ! Si elle venait à manquer, on serait fort embarrassé. On ne saurait que faire de son activité, de son talent, de ses colères.
— M. Lebrun, l’auteur de Marie Stuart, vient de recueillir ses œuvres complètes : deux volumes ont paru, dont le premier contient les tragédies d’Ulysse, de Marie Stuart et le Cid d’Andalousie, imprimé pour la première fois ; le second volume contient le Poëme de la Grèce et des odes qui s’y rapportent, ainsi qu’un poëme sur Napoléon. Un troisième volume, non encore paru, donnera des poésies lyriques et plus intimes, tout à fait inédites. C'est une bonne et sérieuse publication.
— Le Constitutionnel de Véron doit publier le Juif errant de M. Eugène Sue et l’a payé, dit-on, 100 000 francs.