(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 48-49
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 48-49

2. CORNEILLE, [Thomas] Frere de Pierre, de l’Académie Françoise & de celle des Inscriptions, né à Rouen en 1625, mort à Andely en 1709.

Quand il n’auroit fait qu’Ariane & le Comte d’Essex, le Baron d’Albicrack & le Festin de Pierre, Pieces qu’on joue encore avec beaucoup de succès, il seroit supérieur à presque tous les Tragiques & Comiques de nos jours. On a dit que le nom de son frere étoit un honneur dangereux pour lui : on doit en convenir ; mais, malgré cela, son frere ne pouvoit être mieux remplacé à l’Académie Françoise. D’ailleurs, il est tant d’Auteurs qui n’ont un nom que parce qu’ils n’ont pas de frere, qu’il y auroit de l’injustice à lui refuser la gloire qu’il mérite, parce qu’il en a eu un plus célebre que lui. « La distance qui étoit entre leurs esprits, dit M. l’Abbé de Voisenon, n’en mit aucune dans leurs cœurs. Ils étoient extrêmement unis, & logeoient ensemble. Thomas travailloit bien plus facilement que Pierre ; & quand celui-ci cherchoit une rime, il levoit une trappe & la demandoit à Thomas, qui la lui donnoit aussi-tôt. L’un étoit un Dictionnaire de rimes, & l’autre un Dictionnaire d’idées & de raisonnemens. »

On ignore assez communément qu’on doit à Thomas Corneille d’excellentes Observations sur Vaugelas, un Dictionnaire des Arts, pour servir de supplément au Dictionnaire de l’Académie, & un Dictionnaire universel, géographique & historique, en trois vol. in-folio, le meilleur & le plus étendu de ceux qui l’avoient précédé. M. de la Martiniere, M. Claustre, les Continuateurs de Moreri, M. l’Abbé d’Expilly, y ont puisé une infinité d’articles qu’ils auroient cherchés vainement ailleurs.

Tant de titres pour figurer dans la République des Lettres, ne sont-ils pas propres à prouver que Thomas Corneille peut exister par lui-même, & ne rien perdre par la célébrité de son frere ? Une vanité mal éclairée a donc pu seule le porter à changer son nom en celui de Delisle, & Moliere a eu raison de tourner en ridicule cette foiblesse.