CORDEMOI, [Gérault de] de l’Académie Françoise, né à Paris, mort en 1684.
Cet Auteur est peu connu, & cependant mériteroit de l’être, par la bonté de ses Ouvrages. Ce n’est pas exagérer son mérite, que de dire qu’il étoit un des Ecrivains les plus polis & les plus éclairés du siecle dernier. Bossuet, qui se connoissoit en Littérateurs estimables, le plaça auprès de M. le Dauphin, en qualité de Lecteur, & l’Académie Françoise le choisit, peu de temps après, pour un de ses Membres.
Nous avons de lui divers Traités de Métaphysique, d’Histoire & de Politique, recueillis en un volume souvent réimprimé. Ce Recueil contient un grand nombre d’observations intéressantes, instructives, lumineuses, dont plusieurs étoient certainement neuves lorsqu’elles parurent. Au fond des pensées, l’Auteur joint les agrémens d’un style pur, net & facile. Rien de plus judicieux que le Chapitre qui concerne Hérodote ; celui qui est intitulé, de la nécessité de l’Histoire, de son usage, de la maniere dont il faut y mêler les sciences, en la faisant lire à un Prince, est rempli de préceptes sages, de réflexions saines, de critiques justes & bien présentées. Le Traité de la Réformation d’un Etat est un des meilleurs morceaux de politique que nous connoissons.
Le plus connu des Ouvrages de cet Ecrivain presque oublié, est l’Histoire générale de la France, durant les deux premieres Races de nos Rois, en deux vol. in-folio. On a avancé qu’il l’avoit presque achevée, sans savoir que Grégoire de Tours étoit un de nos premiers Historiens. Quoi qu’il en soit, le P. Daniel l’a trop déprimée, & ce Jésuite a eu d’autant plus de tort de la décrier, qu’il y a puisé lui-même de quoi répandre un grand jour sur les premiers temps de notre Monarchie, débrouillés par Cordemoi avec beaucoup de discernement. C’est d’après les difficultés vaincues, qu’on doit juger du travail des hommes, & non d’après le résultat. Il en coute plus pour faire les premiers pas dans une carriere qu’il faut se frayer, que d’y courir avec rapidité lorsque les obstacles sont levés.
Cordemoi annonce par-tout des idées saines sur la maniere d’écrire l’Histoire, & celle de France en particulier ; on peut en juger par quelques-unes de ses réflexions.
« Il faut, dit-il, marquer, autant qu’on le peut, les temps & les lieux, la maniere dont on vivoit dans chacun des pays qu’on parcourt dans le récit ; ne raconter que les grands événemens, & n’écrire en détail que les causes des grands changemens.
N’oublier ni les femmes, ni les enfans des Rois ; mais ne parler des Rois mêmes, qu’à propos des affaires, & ne relever aucune circonstance de leur vie, qu’autant que cette circonstance aura contribué aux grands changemens.
Songez bien que les Rois sont, à la vérité, les plus remarquables personnes de l’Histoire, mais que les grands changemens en sont le véritable sujet ; que, comme souvent un Ministre, & quelquefois une femme, y a plus de part que les Rois, on est obligé, en plusieurs endroits, de donner plus de place & de relief à ce qu’a fait ce Ministre, ou cette femme, qu’à ce que le Roi de leur temps a fait.
Quand les affaires publiques font le fil de l’Histoire, il est toujours suivi : quand les Rois n’y sont considérés qu’autant qu’ils ont servi à les faire changer, on les y fait entrer avec bien plus d’agrément, que lorsqu’on se met en tête de ne parler des affaires que selon qu’elles servent à relever ou diminuer la gloire des Rois.
Il n’est permis de suivre toutes les années d’un Prince, & toutes ses actions en détail, que quand on entreprend d’écrire sa Vie en particulier ; alors on peut ne parler des affaires, que pour le faire paroître tel qu’il a été : mais en écrivant l’Histoire d’une Nation, il ne faut parler des Princes, que pour faire paroître quels ont été les différens ressorts de l’Etat.
Quand on rapporte tout à une personne, les Lecteurs n’y prennent jamais tant d’intérêt que quand on rapporte tout au Public.
Il faut insinuer dans l’Histoire un amour de vertu, & de quoi donner un honnête désir de gloire ; sur-tout faire connoître avec adresse, en quoi consiste la véritable gloire. On ne le peut mieux faire, qu’en réglant le prix des actions, par la conformité qu’elles ont au devoir, & en faisant penser qu’il est bien plus louable de faire pour le bien public quelque chose qui paroisse ordinaire ou médiocre, que de faire quelque chose de fort éclatant, qui ne lui serve de rien, ou qui lui coute trop.
Si la matiere principale de l’Histoire n’est pas la Vie des Princes, le but principal qu’on doit se proposer en l’écrivant, c’est de les instruire : & c’est une raison de rapporter tout aux affaires publiques, & de leur faire connoître qu’il n’y a rien de beau ou de bon à exécuter, que ce qui tend à détourner un mal ou à procurer un bien public. »
Les Littérateurs cultivés reconnoîtront d’abord dans ces maximes, bien des principes qui nous ont été débités récemment comme des découvertes ; & si l’on jugeoit d’après elles certains Historiens qui s’en sont fait honneur, pourroient-ils seulement mériter ce titre ?