(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 13-15
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 13-15

COLLETET, [Guillaume] Avocat au Conseil & au Parlement, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1598, mort dans la même ville en 1659 ; Poëte sans imagination, sans goût, sans élocution, & cependant un de ceux que le Cardinal de Richelieu faisoit travailler pour le Théatre.

Ce Ministre qui savoit mieux récompenser que juger les talens, lui fit un jour présent de six cents livres pour six mauvais vers qu’il lui avoit lus ; libéralité que Colletet paya par ce Distique, aussi naturel qu’ingénieux.

Armand, qui pour six vers m’as donné six cents livres,
Que ne puis-je, à ce prix, te vendre tous mes Livres !

Un pareil marché lui eût été aussi avantageux que nécessaire ; car il mourut si pauvre, qu’il ne laissa pas de quoi se faire enterrer. Il se maria trois fois, & sa servante Claudine fut sa derniere épouse. Pour justifier un pareil choix, il entreprit de la faire passer pour une Muse, en publiant quelques vers sous son nom. Malgré cette précaution, la Muse cessa d’être inspirée dès qu’elle eut perdu son Apollon, c’est-à-dire qu’après la mort de Colletet, Claudine né publia que les Vers suivans, pour se dispenser d’en produire d’autres.

Le cœur gros de soupirs, les yeux noyés de larmes,
Plus triste que la Mort dont je sens les larmes,
Jusque dans le tombeau je vous suis, cher époux ;
Comme je vous aimai d’une ardeur sans seconde,
Comme je vous louai d’un langage assez doux,
Pour ne plus rien aimer, ni rien louer au monde,
J’ensevelis mon cœur & ma plume avec vous.

Le Public ne fut point la dupe de ce petit manége. On fut que Colletet, avant de mourir, avoit composé les adieux de Claudine au Parnasse : aussi La Fontaine, qu’on dit avoir été amoureux de cette femme, qui l’avoit même célébrée par quelques vers, s’égaya-t-il à ses dépens par ceux-ci :

Les Oracles ont cessé :
Colletet est trépassé.
Dès qu’il eut la bouche close,
Sa femme ne dit plus rien :
Elle enterra vers & prose
Avec le pauvre Chrétien.
En cela je plains son zele,
Et ne sais au pardessus
Si les Graces sont chez elle,
Mais les Muses n’y sont plus.
Sans gloser sur le mystere
Des Madrigaux qu’elle a faits,
Ne lui parlons désormais
Qu’en la langue de sa mere.
Les Oracles ont cessé :
Colletet est trépassé.

Claudine n’est pas la seule femme dont la mort d’un mari ou d’un ami ait entiérement desséché le génie. Nous avons vu beaucoup de femmes cesser d’écrire après un pareil accident, & beaucoup d’autres sont à la veille de ne plus écrire, par la même raison.

Colletet laissa un fils, [François, né en 1628] qu’il ne faut confondre avec son pere que du côté de la Poésie & de la pauvreté. C’est du fils que Despréaux a dit dans sa premiere Satire :

Tandis que Colletet, crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine,
Savant en ce métier si cher aux Beaux-Esprits,
Dont Montmaur autrefois fit leçon dans Paris.

Un Rat de cave, disoit Richelet dans son Dictionnaire, gagne tous les ans sept ou huit cents francs, tandis que le pauvre François Colletet, qui ne vit que de sa plume, fait Poëme sur Poëme, & ne gagne pas le quart de cette somme.