(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 521-526
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 521-526

Clerc de Montmercy, [Claude-Germain le] Avocat au Parlement, & Docteur en Droit, de la Faculté de Paris, né à Auxerre en 1716 ; Poëte qui a la gloire d’avoir fait les plus longues Epîtres qui aient jamais existé. Quelques-unes ont jusqu’à deux mille trois cents vers, & ce ne sont pas les plus longues. Il est aisé de présumer que ceux mêmes à qui elles ont été adressées, n’ont pas eu le courage de les lire en entier. Cette excessive prolixité n’est pas le seul défaut qu’on puisse leur reprocher : il regne dans la plupart un ton de singularité qui fait disparoître le mérite des traits d’esprit qui s’y montrent de temps en temps. Celle qui a pour titre les Ecarts de l’imagination, est un délire perpétuel. L’Auteur s’y écarte presque toujours de la vérité, de la nature, du bon goût, & sur-tout de la raison. Elle est adressée à M. d’Alembert, dont la modestie n’a pas été sans doute éblouie par ces vers, où on lui prodigue des louanges qu’il doit avoir jugées lui-même très-outrées :

Le Philosophe Diogene,
A la honte du genre humain,
Marchant, la lanterne à la main,
Cherchoit un homme dans Athene.
Il veut trouver un sage, & ne voit que des fous ;
Déjà son front se ride, & son cœur se consterne.
D’Alembert, si le Ciel l’eût créé parmi nous,
Soudain, pour t’embrasser, jettant là sa lanterne,
Plus content qu’Archimede, & d’un ton élevé,
Cent fois il rediroit : Enfin je l’ai trouvé.

Un pareil enthousiasme devoit nécessairement conduire à des bévues : c’est pourquoi le Louangeur épistolaire, après avoir comparé son Héros à trois anciens Géometres, dont les connoissances ont été infiniment surpassées par leurs successeurs,

Songe que tu rends à la France
Diophante, Hipparque & Proclus.

continue ainsi son Panégyrique :

Quand les Chansons d’Horace amusoient ton enfance,
Tu joignois, dans son Art, la force à l’élégance,
Et défiois Lucrece, Empédocle, Aratus.

Qui se seroit attendu que l’Auteur des Mélanges de Littérature, d’Histoire & de Philosophie, l’adversaire déclaré des graces de la Poésie, dût jamais être opposé comme un rival redoutable dans l’art des vers, à Lucrece, qui les faisoit si bien ? Ce n’est certainement pas pour avoir fait celui qui termine un Quatrain à la louange du Maréchal de Saxe, où le Poëte Géometre, après avoir mis en pieces deux Héros de l’antiquité, César & Scipion, dit que Maurice eut pour sa part,

La tête du premier, & le bras du second.

M. de Montmercy n’a pas plutôt loué le génie poétique de M. d’Alembert, qu’il passe à la description du Temple de l’imagination. C’est dans ce Temple qu’il faut voir les choses & les hommes travestis d’une manière tout-à-fait étrange. Le Seau du Tassoni y sert de bénitier ; la Boucle de cheveux que Pope a célébrée, de goupillon ; l’Eloge de la Déesse est prononcé, dans les jours de solennités, par Erasme, devant la Lampe de l’enthousiasme, qui se tient en l’air sans être suspendue ; Quinault est un Opérateur herborisant dans les bois d’Idalie. On y trouve mille autres métamorphoses de ce goût.

L’Epître à M. Petit, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, est d’un autre genre de décoration. Tous les Médecins célebres y sont loués d’un style de Faculté qui n’est pas celui des Muses. L’Anatomie, l’Ostéologie, la Physiologie, la Pathologie, la Chirurgie, les Médicamens, sont les principaux objets de cette Epître, objets qui forment, comme on s’y attend bien, une nomenclature pénible, capable d’intéresser, tout au plus, les Médecins.

M. de Voltaire a eu aussi part aux Eloges de cette Muse infatigable. M. de Montmercy a composé en son honneur un Poëme, qui ne le cede pas pour la longueur à ceux dont nous venons de parler. Le zele du Mécene pour la Poésie, n’a pas dû le rendre indulgent sur celle de son Homere, quoiqu’il n’ait jamais dédaigné aucune espece de louange.

Après avoir fait sentir les travers où le défaut de goût a jeté M. le Clerc de Montmercy, nous conviendrons qu’il auroit pu rendre ses Productions plus estimables, si, au lieu de peindre les écarts de l’imagination, il se fût attaché à réprimer la sienne ; si son excessive fécondité eût été resserrée dans les bornes d’une juste modération, & s’il se fût toujours souvenu que la quantité des vers ajoute au ridicule, parce qu’il n’y a que ceux qui sont bons, fussent-ils en petit nombre, qui puissent faire une bonne réputation. Il a d’ailleurs d’heureux germes de talens pour la poésie & la versification. Son pinceau sait ennoblir, par intervalles, les choses les plus communes, & peindre d’une maniere intéressante les objets les plus arides. On trouve dans ses énormes Epîtres des morceaux pleins de force, d’élégance, de vivacité ; en sorte qu’en corrigeant ses Productions, & les réduisant à une juste étendue, il pourroit peut-être les relever du discrédit où elles sont tombées. A quoi bon se consumer en louanges froides & parasites, tandis qu’il eût pu s’exercer plus utilement sur d’autres sujets ? Messieurs de Voltaire, Diderot, Duclos, d’Alembert, qu’il a infatigablement célébrés, ont été des Divinités, sinon sourdes, du moins ingrates, qui n’ont pas daigné seulement le nommer parmi les Demi-Dieux de leur nouvel Olympe. Aussi dit-on que M. de Montmercy n’est pas plus tenté de reporter son encens sur leurs Autels, que de célébrer la reconnoissance philosophique.