Charron, [Pierre] Théologal de la Cathédrale de Condom, né à Paris en 1541, mort subitement dans une rue de la même ville, en 1603 ; génie profond & facile qui tenoit de celui de Montagne, son ami. Il avoit, outre cela, un esprit naïf & judicieux, un style simple, quelquefois énergique, & sur-tout une manière de concevoir & de présenter les choses, qui en fait un Auteur original.
C’est l’idée qu’on se forme de Charron à la lecture de ses Ouvrages. Son Traité de la Sagesse l’a fait ranger, par le Jésuite Garasse, au nombre des Incrédules ; & les Philosophes de nos jours, sur ce beau témoignage, se sont empresses de se l’associer, tant il est vrai qu’ils savent tirer parti de tout. On a vu l’Auteur d’Emile s’appuyer de quelques-uns de ses passages, pour étayer ses opinions contre le Christianisme. Il est vrai que la manière de procéder de Charron peut présenter d’abord l’idée de Scepticisme aux esprits superficiels ou intéressés ; mais il est aisé de prouver qu’il n’a jamais douté de la Religion qu’il professoit ; qu’au contraire son intention a toujours été de la défendre.
Si l’on fait attention au caractere de cet Auteur, développé dans ses propres Ouvrages, on verra qu’il n’écrivit son Livre de la Sagesse, que pour réfuter les doutes de quelques Beaux-Esprits de son temps, au nombre desquels étoit son ami Montagne. Le Théologal de Condom avoit l’ame naturellement paisible, & ennemie de ces disputes où les Esprits impétueux & durs ont presque toujours l’avantage. Il prit le parti de répondre, la plume à la main, aux objections qu’on lui faisoit dans la société, & ce fut dans cette intention qu’il composa son Traité de la Sagesse, dans lequel il expose, avec bonne foi & sans déguisement, les sentimens de tous les Sceptiques qu’il vouloit réfuter. On y voit un Philosophe Chrétien, assez ferme pour ne pas craindre de mettre dans toute leur force les argumens de ses Adversaires. Il les étend peut-être avec trop d’indulgence ; mais il ne faut que lire attentivement son Livre, pour connoître combien il étoit éloigné de ces ruses si rebattues aujourd’hui, où l’on présente les difficultés avec plus de complaisance que les solutions. Aussi fait-on le cas qu’on doit faire de ces Docteurs méthodiques, toujours déterminés à ne rien croire, quoiqu’ils disent faire profession de chercher la vérité.
Un autre Ouvrage de Charron, qui ne laisse aucun doute sur la sincérité de sa foi, c’est son Livre des trois Vérités, publié en 1594. La premiere de ces Vérités est, qu’il n’y a qu’un Dieu & qu’une vraie Religion ; la seconde, que de toutes les Religions, la Chrétienne est la seule qui soit divine ; la troisieme, que de toutes les Communions du Christianisme, il n’y a que la Catholique Romaine qui soit la véritable Eglise. Par la premiere de ces Vérités, il combat les Athées, les Païens, les Juifs & les Musulmans ; par la seconde & par la troisieme, les Hérétiques & les Schismatiques.
Qu’on vienne nous dire, après cela, qu’un tel homme avoit des sentimens opposés aux Vérités, qu’il soutient avec tant de force & de clarté. Ne seroit-ce pas vouloir prouver par les contraires les faits les plus évidens, renverser toutes les notions de l’esprit humain, insulter à la crédulité publique ? Tel est cependant le style ordinaire des prétendus Amateurs de la Vérité.