(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 414-416
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 414-416

Bussy, [Roger de Rabutin, Comte de] de l’Académie Françoise, né à Epiri dans le Nivernois en 1618, mort à Autun en 1693 ; Bel-Esprit de la Cour de Louis XIV, & un des plus polis Ecrivains de son siecle ; nous ne disons pas des meilleurs, parce qu’avec de la vivacité dans l’esprit, de la facilité pour écrire, il a peu de littérature, trop de penchant à la satire, plus de finesse que de justesse dans le raisonnement, & sur-tout un ton de prétention qui dépare toutes ses bonnes qualités.

On fait que son Histoire amoureuse des Gaules fit beaucoup de bruit, & lui attira de grandes disgraces ; on doit savoir aussi que les infamies qu’on y a ajoutées, ne sont pas de lui. Cet Ouvrage parut en Public contre son gré, & ne formoit alors qu’un petit volume in-16, qui a été considérablement augmenté par des Réfugiés. Ce fut Madame la Marquise de Beaume qui trahit M. de Bussy, en publiant le Manuscrit qu’il lui avoit confié ; ce qu’elle ne fit qu’après s’être brouillée avec lui, à la suite d’une liaison très-intime. L’Auteur fut mis à la Bastille. Il en sortit huit mois après, pour cause de maladie, & fut exilé dans ses Terres en Bourgogne, où il passa dix-sept ans à cultiver les Lettres, toujours avec la même ardeur & les même défauts.

Ses Lettres sont une nouvelle preuve du peu de naturel qu’il mettoit dans ses Productions, ou, pour mieux dire, il y est toujours Bel-Esprit, Ecrivain élégant, mais homme trop plein de lui-même, ne craignant pas d’ennuyer ses amis par la jactance perpétuelle de son mérite, ni le Public, qu’il avoit vraisemblablement en vue, en écrivant à des particuliers.

Le P. Bouhours cite souvent, avec éloge, quelques morceaux des Placets qu’il adressoit au Roi pour obtenir la fin de sa disgrace : ces morceaux sont éloquens, pleins de pensées délicates & bien exprimées, sans intéresser toutefois le sentiment, quoiqu’ils aient l’appareil du sentiment.

L’Ouvrage dans lequel il fournit moins à la critique, est l’Instruction pour se conduire dans le monde, Instruction qu’il fit pour ses enfans, & où il annonce l’homme qui connoît le monde, un esprit qui fait penser sagement, un Philosophe qui apprécie à leur juste valeur les biens & les maux de la vie. La Religion dirigeoit alors sa plume. Par cette raison, il n’en écrivoit que mieux. La vanité, l’envie de briller, l’amour de soi-même, sont de mauvais guides pour le bonheur de nos jours & l’honneur des talens. Il rétracta, long-temps avant sa mort, les égaremens de sa jeunesse, & sur-tout ces Productions malignes & licencieuses, où l’esprit se pare des vices du cœur, comme dit M. le Duc de Nivernois. L’Histoire amoureuse des Gaules, & cette Légende scandaleuse dont Boileau parle* dans sa huitieme satire, exciterent en lui des regrets, qui le mettent au dessus des Auteurs coupables qui ont suivi la même carriere, sans s’être repentis comme lui.