(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

XLI

année stérile. — article de m. paulin limayrac sur les mystères de paris. — brochure de l’abbé combalot sur la liberté de l’enseignement. — prochaine inauguration du monument de molière. — discours du roi moins universitaire que celui de m. villemain. — article de m. forcade sur le parti légitimiste. — maladie de charles nodier. — sympathie universelle et gout de la france pour l’esprit.

Je reprends ma tâche en 1844.

— Dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier, nous avons un excellent article sur le parti légitimiste à Londres : voilà le vrai. — Quant à ce malheureux chiffre, j’hésite toujours : « Mettez 800, mettez 1000 ; qu’est-ce-que cela fait, une centaine de plus ou de moins, en présence d’une masse de tant de millions d’hommes ? — La grande faute des légitimistes est d’être allés là se faire peser et compter », comme on l’a très-bien dit.

— L'agitation, la trépidation de cette rentrée d’année ne sait sur quoi se porter d’essentiel et d’intéressant. On va, faute de mieux, et si l’on n’y prend pas garde, grossir des riens. En politique, la question universitaire, et surtout la dotation pour le duc de Nemours, sont jusqu’ici les bâtons flottants qui ont l’air de quelque chose de loin. — Mais en littérature, il n’y a pas même de bâtons flottants ; l’Histoire de l’Empire de Thiers ne viendra que dans dix-huit mois ; on n’a rien, on n’espère rien pour cet hiver. Oh ! qu’une belle et bonne œuvre serait la bienvenue, et que c’est misère à ceux qui le pourraient de laisser passer de tels moments uniques de la faveur et de l’avidité publiques ! Décidément l’esprit humain est plutôt stérile qu’autre chose, — surtout depuis juillet 1830.

— Ce petit volume de Saint-Marc Girardin, agréable, mais bien mince, avec toutes ses conditions de mesure et d’assaisonnement, a fort réussi ; près de deux mille exemplaires, dit-on, se sont écoulés en un mois. Mais c’est trop vite dévoré ; ce n’est pas une pièce de résisstance.

— La Revue des Deux Mondes du 1er donne un très-bon et judicieux article sur les Mystères de Paris par M. Paulin Limayrac. La Revue suisse voit avec plaisir qu’elle avait frappé d’avance dans le même sens et qu’en tirant sur le temps, elle avait atteint juste aux mêmes endroits. Cela doit nous encourager à ne pas nous croire trop provincial ni trop dupe. Et remarquez que cet article de M. Limayrac est le seul jusqu’ici qui ait traité ce livre détestable comme il convient ; si cet article n’était pas venu, il n’y en aurait eu aucun dans les journaux de Paris qui méritât de compter. Tant il n’y a plus de véritable critique organisée ! — Oui, nous le répétons aujourd’hui avec toute l’autorité de la réflexion, oui, l’inspiration essentielle des Mystères de Paris, c’est un fond de crapule : l’odeur en circule partout, même quand l’auteur la masque dans de prétendus parfums. Et chose honteuse, ce qui a fait le principal attrait, si étrange, de ce livre impur, ç'a été cette odeur même de crapule déguisée en parfum. — Heureusement ce triste épisode du carnaval littéraire est déjà une mystification de l’autre année. On dit que l’admiration dure encore en Allemagne, et qu’elle vient seulement d’atteindre à son apogée à Vienne, où plus d’une belle dame appelle par gentillesse son petit enfant Tortillard. Nous ne le croyons pas.

— L'abbé Combalot vient, à son tour, de publier sa brochure sur la liberté de l’enseignement et contre l’Université. On a dit de celle de M. de Montalembert datée de Madère que c’était du madère sec. Je crains que celle de l’abbé Combalot ne soit de la grosse et très-grosse bière assez mal brassée34. Il ne se distingue point par le goût, par le jugement, et il a de singulières saillies d’imagination. Toute cette levée de boucliers n’accommode pas les affaires du clergé.

— On va inaugurer le monument de Molière rue Richelieu, en face du n° 34 où il habitait. Il s’est élevé des difficultés et une polémique au sujet de cette inauguration. Le gouvernement y serait-il ou non représenté par le préfet de la Seine ? Il paraît réellement qu’on a hésité, et que, de peur de déplaire au clergé en acceptant si hautement le grand excommunié, le ministère de l’intérieur avait pensé à retirer son épingle du jeu. Dans ce cas le préfet et l’autorité municipale n’y auraient pas assisté. Le bruit qu’a fait ce contre-ordre a pourtant produit quelque effet, et le ministère s’est ravisé ! Mais il paraît bien qu’il y avait eu quelque hésitation.

Ce petit fait tout littéraire peut donner la mesure de la décision et de la hauteur de vue de nos hommes d’État dans les questions de conflit qui vont se présenter. — L'Académie française, par l’organe de M. Dupaty, a fait une motion afin de se mettre d’autant plus en avant pour Molière, lequel, en son temps, n’était pas de l’Académie.

— Voyez dans les Débats de ce matin (4 janvier) le discours du roi en réponse à celui de Villemain ; le roi s’y montre bien moins universitaire que son ministre, et ne parle que de la nécessité d’un enseignement religieux. Lisez et notez les nuances.

— L'article sur le parti légitimiste de la Revue des Deux Mondes est attribué à un jeune économiste et publiciste, M. Forcade. Il répond à l’impression de bien des esprits sensés et élevés. On peut remarquer seulement que vers la fin il est bien dur pour la noblesse française, qui n’a pas été seulement en tête dans les batailles, mais aussi dans les choses de l’esprit (La Rochefoucauld, Saint-Simon.) — Le grand Condé soutenait Boileau, et le maréchal de Richelieu appuyait Voltaire. Et de nos jours, qui donc a plus brillamment donné que ces gentilshommes, Chateaubriand, Lamartine, Bonald, etc. ? Il est vrai qu’avec tout ce brillant il y a toujours eu décousu et inconséquence.

— Charles Nodier, l’aimable et charmant écrivain, est, assure-t-on, gravement malade ; toute la littérature de Paris en est émue : on court à l’extrémité de Paris, à l’Arsenal, où il demeure, pour le voir, pour s’informer. Les témoignages d’intérêt sont continuels et universels, de tous les côtés, de tous les rangs. Aimable pays après tout que celui de France, où un simple homme de lettres qui ne peut rien, qui n’est rien, tient tant de place, et où se déclare si spontanément l’hommage de tous pour l’esprit, pour le talent et la grâce !