Brebeuf, [Guillaume de] né à Rouen en 1618, mort en 1661.
Quoiqu’il ait fait plusieurs Ouvrages estimables, on ne connoît à présent que sa Pharsale, dont on a dit, dans tous les temps, beaucoup de bien & beaucoup de mal, & qui fournit également matiere à la louange & à la critique. Boileau a censuré trop sévérement cette Traduction, & en cela il a eu tort ; d’autres s’en sont déclarés les Apologistes outrés, & ils ont eu tort aussi. Les Gens de Lettres ne sauroient-ils donc jamais employer une juste mesure, dans les jugemens qu’ils portent sur certains Ouvrages ? Ne peut-on pas éviter une extrémité de blâme, comme une extrémité de louanges ? C’est cependant ce qu’il falloit observer à l’égard de la Pharsale de Brebeuf. On ne peut se dissimuler qu’il n’y ait dans un grand nombre de morceaux, une enflure & une affectation qui tient plus du Phébus que du vrai beau, auquel on ne peut rien substituer quand on ne l’a pas saisi. Les métaphores en sont très-souvent outrées, les pensées quelquefois gigantesques, & la chaleur qui y domine est plutôt une frénésie, qu’un véritable enthousiasme. Mais ces défauts n’appartiennent-ils pas plus à l’original qu’à la traduction ? Et si la traduction péche à ces égards, ne doit-on pas en faire remonter la cause aux défauts de l’Auteur primitif ? Lucain est en effet difficile à traduire d’une maniere intéressante, parce qu’il n’a pas pris soin de se rendre intéressant lui-même. Son Poëme est plutôt une histoire décharnée, parsemée de quelques traits de Morale & de Philosophie, qu’un véritable Poëme. Voilà pourquoi les traductions qu’on en a faites en prose, sans en excepter celle de M. Marmontel, n’ont pas réussi.
On doit donc savoir gré à M. de Brebeuf, d’avoir semé dans la sienne des vers heureux, des pensées sublimes, des morceaux d’une élégance & d’une précision que nos meilleurs Poëtes ne désavoueroient pas, & qu’ils ont même imités. S’il est défectueux en beaucoup d’endroits, ce n’est que pour s’être trop asservi au devoir rigoureux du Traducteur ; on ne connoissoit pas de son temps les Traductions libres, mises depuis si utilement en usage.
Nous avons de Brebeuf d’autres Poésies qui ne sont point à dédaigner, tels que ses Entretiens solitaires, où la piété, la morale profonde, la poésie, les pensées énergiques, font éprouver au Lecteur des sentimens aussi favorables à l’esprit du Poëte, qu’à ses bonnes mœurs & à sa Religion.