(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 344-346
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 344-346

Bougeant, [Guillaume-Hyacinthe] Jésuite, né à Quimpert en 1690, mort à Paris en 1743.

On ne peut s’empêcher de trouver trop de gaieté dans son Amusement Philosophique sur le Langage des Bêtes : le ton qu’il y prend, sort un peu trop des bornes prescrites à la gravité de son état ; mais on peut dire en même temps que cette Dissertation agréable, dont on ne doit pas adopter toutes les idées, est la production d’un esprit aimable & pétillant, qui égale Fontenelle pour le talent de revêtir les choses les plus sérieuses des graces du badinage & de la légéreté. Cependant, si le P. Bougeant se fût borné à ce seul Ouvrage, il mériteroit tout au plus une place parmi les Littérateurs frivoles.

Il a des droits bien plus assurés à la célébrité, par son Histoire du Traité de Westphalie, & par celle des Guerres & des Négociations qui précéderent ce Traité, sous les Ministeres de Richelieu & de Mazarin. C’est dans ces deux Ouvrages qu’il déploie avec supériorité une noblesse, une finesse, une élégance, une pureté, un agrément & une précision de style qu’on trouve dans peu d’Historiens, & qu’aucun n’a peut-être portés au même degré que lui. Il est difficile d’écrire avec autant de sagacité, & de s’exprimer avec plus de goût.

On doit être peu étonné, après cela, des éloges que M. de la Chalotais donne à cet Auteur, dans le Réquisitoire prononcé par lui, à l’occasion de l’affaire des Jésuites. Ce qui doit seulement surprendre, c’est de voir ce Magistrat avancer d’un ton décisif, que le P. Bougeant est presque le seul Jésuite dont on puisse véritablement estimer les Ouvrages. Il n’a pas prétendu sans doute qu’on l’en crût sur sa parole ; une pareille décision donne une idée trop foible de son jugement & de sa Littérature, pour être adoptée par ceux qui connoissent combien cette Société a été féconde en bon Littérateurs. C’est ici le lieu d’assurer que l’impartialité seule excite notre réclamation. Nous nous sommes dit, dès le commencement de cet Ouvrage, & nous soutiendrons toujours cette façon de penser :

Tros, Ratulusve fuat, nullo discrimine habebo.

On a encore du P. Bougeant, des Ouvrages Théologiques, où l’on retrouve le même esprit de méthode, de précision & de clarté.

Ceux qui connoissent ses Comédies de la Femme Docteur, du Saint déniché, des Quakers François, y remarquent un sel & une gaieté très-propres à faire sentir le ridicule des travers qu’il attaque. Il est facile de concevoir, par ces Pieces, qu’il eût pu se distinguer dans plus d’un genre, si son état lui eût permis de donner carriere à tous ses talens. Il n’est donc que plus estimable d’avoir sacrifié ses goûts à ses devoirs. C’est ce sentiment qui le porta à rétracter l’Amusement Philosophique, & à composer son Exposition de la Doctrine Chrétienne par Demandes & par Réponses, divisée en trois Catéchismes, l’Historique, le Dogmatique & la Pratique, pour expier, disoit-il, la frivolité de cette premiere Production.