(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 298-300
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 298-300

Bitaubé, [Paul-Jérémie] de l’Académie de Berlin, né en Gascogne en 17..

Cet Auteur que nous avions, par erreur, annoncé pour mort, dans les précédentes éditions de cet Ouvrage, est depuis long-temps établi en Allemagne, où il cultive avec succès la Littérature Françoise. Ses premiers pas dans la carriere n’ont pas été heureux : il y a débuté par des Poésies froides & prosaïques, & par un Poëme en prose, intitulé Joseph, dont l’effet le plus sûr est de procurer le sommeil ou l’ennui. Ce n’est pas qu’on ne rencontre dans ce dernier Ouvrage quelques morceaux pleins d’élégance, de naturel & de pathétique ; mais ils sont en trop petit nombre pour faire pardonner les longueurs, les inutilités & les défauts de correction & de goût qu’on y remarque.

Sa Traduction de l’Iliade parut d’abord, en 1760, sous le titre d’Essai, & fut suivie, deux ans après, de ce que l’Auteur appelle une Traduction libre, & qu’on peut regarder plutôt comme un bizarre travestissement ; Homere y est défiguré d’un bout à l’autre, plus qu’il ne l’a jamais été par la Mothe. L’Auteur l’accompagna d’un Discours préliminaire, où il traitoit sans façon son Original de Radoteur, Madame Dacier de femme sans esprit & sans goût. L’autorité de M. de Fontenelle, celle de Perrault, de la Mothe, de l’Abbé Terrasson, venoient à l’appui de cette judicieuse déclamation, où il disoit, entre autres choses, que les défauts d’Homere l’avoient tellement choqué, & dégoûté de le traduire, que la plume lui en étoit souvent tombée des mains.

Il est aisé de juger du succès que dut avoir un Ouvrage si propre à soulever contre lui les Erudits & tous les bons Littérateurs.

Le soin que M. Bitaubé prit, il y a quelques années, de refondre cette Traduction libre, & d’en donner une entiere & plus fidelle, n’a pas fait revenir les esprits sur cette Production restée médiocre, quoique vantée par les Journalistes ; mais son Poëme en prose sur la fondation des Provinces-Unies, intitulé Guillaume de Nassau, lui a mérité le suffrage & l’estime des Connoisseurs. Cet Ouvrage, le meilleur de tous ceux qu’il a donnés jusqu’à présent, est une véritable Epopée. Le sujet en est beau, le plan vaste & bien rempli, l’action grande, instructive & morale. Rien de plus vrai ni de mieux soutenu que les caracteres. L’exposition des évenemens est simple, naturelle, & attachante ; presque tous les Episodes sont liés au sujet, & sortent de l’action principale. Ce Poëme, en un mot, se fait lire avec le plus vif intérêt ; & après Télémaque, il n’a paru, en ce genre, dans notre langue, rien de mieux conçu, ni de plus heureusement exécuté.