(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 252-254
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 252-254

Beauvais, [Jean-Baptiste-Charles-Marie de] Evêque de Senez, né en Basse-Normandie en 1733.

Ses Oraisons funebres annoncent de vrais talens pour l’éloquence, & sur-tout l’art si précieux & si rare aujourd’hui, d’intéresser par le sentiment. Peu d’Orateurs Chrétiens offrent plus d’exemples de cette onction qui attendrit, de ce pathétique qui maîtrise, de cette noblesse d’expressions qui donne du poids aux idées les plus communes. Dans celle de l’Infant Dom-Philippe, Duc de Parme, M. de Beauvais a su tirer avec habileté le plus grand parti des circonstances, & trouver le moyen de faire aimer son Heros, par l’adresse des détails, par un naturel & un ton de sensibilité qui lui est particulier. Celle de Louis XV n’a point démenti le zele courageux & patriotique qu’il avoit montré du vivant de ce Prince. On sait que dans ses Sermons il l’avoit rappelé à ses devoirs, en lui représentant, d’une maniere aussi respectueuse qu’énergique, le désordre des mœurs publiques, comme une suite de ses foiblesses. Dans cette Oraison funebre, l’Orateur a su concilier les devoirs du Panégyriste avec ceux du Ministre de l’Evangile : il célebre les vertus du Monarque, sans manquer à la vérité ; il déplore ses malheurs, sans manquer à sa mémoire. C’est sur-tout dans cet Ouvrage qu’il a rempli les deux grands préceptes de S. Augustin sur le ministere de la parole sacrée, sapienter dicere, eloquenter dicere. Composition simple & fiere, tableaux vrais & touchans, diction noble & facile, qui dédaigne ce vain luxe de métaphores, & ces tours apprêtés qui ne séduisent que les esprits sans goût. L’Oraison funebre de M. le Maréchal du Muy, le Panégyrique de S. Louis, portent le même caractere d’éloquence. On peut pardonner à M. de Senez de prodiguer l’apostrophe & l’exclamation, parce que le retour fréquent de ses figures est chez lui un effet de cette heureuse liberté qui conserve aux traits de l’imagination toute leur rapidité, & fait disparoître cette empreinte du travail, si contraire au pathétique ; mais dangereuse méthode, qui, employée par des Orateurs médiocres ou timides, jetteroit leur style dans de vaines déclamations.

Il est à propos de remarquer, au sujet des Sermons de M. de Beauvais, qui ne sont point imprimés, qu’en sacrifiant au goût du siecle, ennemi de tout ce qui sent la discussion, il n’a pas du moins à se reprocher, comme tant d’autres Prédicateurs, d’affoiblir la majesté de la Religion. Sa maniere est plutôt d’attacher par les peintures, que par le raisonnement ; & l’on sent que l’élévation & le courage des pensées, la noblesse & l’énergie des expressions, la vigueur & la vérité des tableaux sont très-capables d’y suppléer. Ceux qui l’ont entendu ont donc raison de le regarder comme un Orateur dont la maniere n’appartient qu’à lui seul, qui, laissant aux autres le soin de prouver les dogmes de la Religion, se borne à un objet non moins estimable, & plus utile peut-être, celui d’en développer la morale, d’en faire aimer les devoirs & respecter l’autorité.