(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXX » pp. 126-128
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(1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXX » pp. 126-128

XXX

peu de succès de la reprise de lucrèce. — la liberté de l’enseignement. — madame de girardin.

J'attends vainement : pas une pauvre petite nouvelle, pas un seul petit brin de mousse ou de vermisseau.

— Ce n’en est pas une de nouvelle que l’Odéon ait rouvert avant-hier 28 par Lucrèce ; madame Dorval jouait Tullie, mademoiselle Maxime faisait Lucrèce. Cela a été froid, et même l’acteur qui jouait le père a perdu je ne sais pourquoi la tête, et au lieu de l’assassin pâlissant, il s’est avisé de dire polisson, ce qui a bien fait rire.

Le Semeur est inconséquent quand il soutient les doctrines de Quinet et de Michelet qui mènent à la non-liberté de l’enseignement, lui Semeur qui veut l’entière séparation de l’Église et de l’État : mais c’est ainsi qu’on fait toujours ; on est pour la doctrine absolue jusqu’à ce que la passion ou l’intérêt s’en mêlent : alors on fléchit tout doucement.

Je reviens. — Le fait est qu’il n’y a pas de doctrine absolue pour les États et que tout est relatif, subordonné à l’utilité publique. — Ainsi quelle que soit la rigueur du raisonnement, il serait fatal qu’en France on laissât le clergé se fortifier et s’organiser davantage en parti. L'Université n’est pas toujours aussi intéressante qu’elle pourrait l’être ; les chefs n’ont jamais eu, depuis longtemps, ce cœur généreux, libéral, affectueux, ami désintéressé du bien, qui conviendrait dans la direction de la jeunesse, qu’avait, par exemple, le premier grand maître Fontanes, et dont l’effet moral se ferait aussitôt sentir ; ils ont été des administrateurs plus ou moins habiles et attentifs, des ministres plus ou moins accapareurs et ambitieux. Les chefs de collége, à leur exemple, sont plutôt des administrateurs, des espèces de préfets qui font plus ou moins exactement leur devoir, mais tout cela sans que le sang circule et que le cœur s’en mêle. Les études pourtant, par la bonne distribution et la discipline, se fortifient de plus en plus. La machine va bien. — Quant aux adversaires, au clergé, malgré les avantages partiels et paternels que peuvent présenter deux ou trois de leurs écoles, il est certain que, si on les laissait faire, ils paralyseraient le mouvement d’études et fanatiseraient ou abêtiraient les jeunes esprits. Or convient-il maintenant, par scrupule excessif et par tendresse plus que délicate de conscience, de respecter leur zèle violent et de les laisser faire, parce qu’ils sont peut-être convaincus et qu’ils argumentent assez bien du droit ? — Il en sera de cette demande de liberté illimitée d’enseignement comme du rappel d’O'Connell ; c’est une machine de guerre, une énormité impossible à obtenir, mais à l’aide de laquelle on se bat et on tiraille. Cela finira par quelque petite concession qu’on fera le plus tard possible.

Les vers de Musset dans le numéro du 1er octobre de la Revue des Deux Mondes, Le miei Prigioni, sont sur ce qu’il a été mis quinze jours en prison pour la garde nationale. — Il y a un article sur l’Allemagne qu’on me dit très-bon, de M. Saint-René Taillandier, auteur d’une bonne thèse sur Scot Érigène.

Le recueil des feuilletons de madame de Girardin a un certain succès. Janin, dans la Revue de Paris, a écrit sur ou contre ; Old-Nick, dans le National, a fait deux grands articles comme s’il s’agissait des fortifications ; et voilà la Revue des Deux Mondes qui met son Lagenevais27 en campagne, son homme armé et masqué des jours de secrète justice. Tout cela au sujet d’anciens feuilletons. C'est assurément un succès, c’est un hommage du moins à la position que s’est faite l’auteur par son grand esprit. Madame de Girardin a son rang très-sûr de ce côté ; sa plume est de celles qui font le mieux les armes.